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par Marc Porée

Dans le document La vérité, 
 what else (Page 27-30)

BYRON, VITE

complète narrerait les aventures d’une jeune es-clave, Leïla, qui, selon la coutume musulmane, fut jetée à la mer pour infidélité, et qui fut vengée par un jeune Vénitien, son amant, à l’époque où les Sept-Îles étaient une possession de la répu-blique de Venise. Le chrétien du titre y est opposé en un combat à mort au pacha Hassan, préfigu-rant ainsi le « choc des civilisations » décrit par Samuel Huntington. Vaincu, Hassan accède au Paradis des Houris, d’où il lance contre son ad-versaire une série de malédictions, dont celle, fameuse entre toutes, qui dépeint le Giaour (ja-mais autrement nommé) en vampire condamné à sucer le sang de toute sa race. Parmi les nom-breux morceaux de bravoure qui rythment le poème, figure en bonne place la scène où un mys-térieux sac (condamnant le cadavre de la femme infidèle) est jeté à la mer, mobilisant toutes sortes d’échos shakespeariens :

       « ce n’était qu’une lueur         Jouant sur les ondulations de l’eau ;         Il diminuait de taille à mes

yeux,         Simple galet en train de disparaître ;           Ce ne fut bientôt qu’une tache blanche,         Joyau englouti défiant la vue ;           Maintenant ses secrets cachés sommeillent,       Connus des seuls Génies des profon-deurs           Qui, tremblant dans leurs grottes de corail,         N’osent pas les chuchoter à la

houle. » S’éloignant au fond de l’eau, le sac n’en cesse pas pour autant de retenir, de séduire : Victor Hugo, dans ses Orientales, reprendra le motif (« Clair de lune »). C’est sur des distiques lapi-daires que s’achève le poème : « Ces fragments sont tout ce que nous savons, / De celle qu’il aima et celui qu’il tua. » Avec Le Corsaire, en trois chants complets, l’inspiration se fait plus ample, de nature opératique, plutôt que roma-nesque. Le personnage du héros byronien,

éter-nellement sombre, dédaigneux, torturé par la culpabilité, mais néanmoins sauvé par son grand cœur, y est éclipsé par le duo des femmes amou-reuses : Médora, l’épouse oblative, et Gulnare, l’esclave criminelle, qui tue pour rendre à Conrad sa liberté chérie. La Grèce n’est plus, Athènes n’est plus dans Athènes, mais l’intrigue, qu’on pourrait croire de pur divertissement, et en tout cas de nature bien plus romantique qu’authenti-quement sexuelle, rompt néanmoins avec les conventions du genre. Des contre-feux s’y édi-fient, léguant « aux temps à venir le nom d’un Corsaire / Qui a mêlé une vertu à mille crimes ».

Mazeppa, lui, vole sur les ailes du vent. Le poème fend l’air au rythme du cheval sauvage qui emporte sur son dos le jeune page polonais, surpris en flagrant délit d’adultère. Jamais récit, narré par un hetman défait à la guerre et vieillis-sant, n’aura traduit de manière aussi explicite la nostalgie de la jeunesse enfuie, le désir de re-nouer avec les sensations d’une intensité littéra-lement exquise, car procédant d’un supplice re-cherché et rendu le plus douloureux possible.

Fifty shades of Byron, complaisamment. Chaque cahot du tumultueux parcours enfonce un peu plus profondément les cordages trempés de sang dans la chair du corps dénudé, comme dans celle du vers emporté par la folle cavalcade. Ce n’est pas pour rien que le Mazeppa byronien s’est im-posé comme icône gay. Surgie de la forêt, égale-ment peuplée de loups voraces, une horde de chevaux sauvages se porte à la rencontre du couple formé par Mazeppa et son coursier, dé-sormais sur le point de rendre l’âme. A thousand horse, and none to ride : « Un millier de chevaux et aucun cavalier », comme le traduit Pavans.

Faisant cercle autour du mourant bientôt appelé à saisir le vif, les chevaux à la robe sombre, dont pas un seul poil n’est blanc, transparent symbole là encore, esquissent les conditions d’un saisis-sant devenir-animal. Et la langue de se faire sau-vagement autre, et le vers de renifler, de hennir, de ronfler, d’écumer, de tressaillir… Quand, fina-lement, les chevaux se détournent du spectacle, chacun rentre dans son ordre, animal et humain.

Il n’empêche :  un bref instant, la frontière s’est effacée, une expérience-limite a pu se dire, pré-cédant de peu une syncope, l’évanouissement du témoin, sauvé de la mort, comme toujours chez Byron, par une femme.

Mais on n’échappe pas, très littéralement cette fois, à l’enlisement et à la coagulation honnis. À croire, ainsi que le dirait Pierre Bayard, que

« demain est écrit », et que le poète avait anticipé 


BYRON, VITE

les circonstances de son trépas. De fait, Byron meurt, non pas les armes à la main, mais terrassé par une ancienne fièvre maligne, sans doute réac-tivée par les émanations  en provenance des

« marécages » insalubres encerclant la ville de Missolonghi. Mais, en venant à la rescousse des

Grecs, dont la reconnaissance lui sera éternelle-ment acquise, en ouvrant la voie à leur indépen-dance retrouvée, Byron a « franchi / L’abîme des mers, ajout[é] un courant à l’Océan, / Un esprit aux âmes qui animaient nos pères, / Et un homme libre de plus. » Byron ou la braise qui jamais ne s’éteint.

Poésie p. 29 EaN n° 82

Lord Byron par Richard Westall (1813)

Durs Grünbein
 Presque un chant


Poèmes choisis par l’auteur
 Trad. de l’allemand 


par Jean-Yves Masson et Fedora Wesseler Gallimard, 231 p., 23 €

Le décor n’est pas gai. Né à Dresde en 1962, Durs Grünbein a passé ses années d’enfance et d’adolescence dans cette ville qui a longtemps porté les stigmates des bombardements de février 1945 : « Ce que j’aperçus en premier, écrit-il dans une « Note sur moi-même », ce furent des fragments de murs gris, des brèches entre les maisons, […] le sol éventré et fouillé » ; « Ma ville natale avait été détruite par la guerre »,

« cruellement rejetée un siècle en arrière par les bombes ». À quoi est venu s’ajouter l’échec si-lencieux de l’utopie socialiste de la RDA. Le paysage urbain qui en découle, c’est, pour le poète, une « zone grise » – son premier recueil, de 1988, s’intitule Zone grise le matin (Grau-zone morgens) –, la (Grau-zone floue que veut bien tolérer la bureaucratie, cette « institution invi-sible » qui détruit « chaque instant un peu joyeux ». « Il n’y a guère de quoi rire le matin », note le jeune poète pour qui les trams bondés et le béton gris sont les emblèmes de cette exis-tence sans imaginaire, de ce matérialisme triste,

et Durs Grünbein de relever l’ironie involontaire du régime qui, dans une insulte aux Muses, bap-tise « École des beaux-arts » « un palais gris béton » (« Vita brevis »).

Enfant, « il a reniflé les relents des décharges publiques, les miasmes / Des cantines et des abattoirs, et la puanteur des trams bondés » et cette « saison en enfer » qu’il dit avoir vécue lui impose, à lui aussi, un devoir de sincérité et de lucidité, le devoir d’« être absolument moderne

». Au regard de cette expérience, difficile d’ac-corder encore crédit à la poésie conventionnelle, un « fatras » mensonger et sans utilité. Son en-trée en poésie se fait avec Rimbaud, synonyme pour lui d’une « déflagration » intime qui libère des énergies nouvelles : c’en est fini avec lui des formes classiques, traditionnelles, et il admet « la suavité qu’il y a dans la destruction des formes », même s’il pourra par la suite choisir de conserver la structure classique de l’élégie, de reprendre le cadre serré du sonnet ou de s’inspirer des haïkus de Maître Bashô.

« Presque un chant » : le titre de cette anthologie est aussi celui d’un poème d’une intense mélan-colie de la part d’un poète qui s’avoue « écœuré » : « Tout commence à être / compliqué / quand le gris d’éléphant de ces murs de banlieue te tape sur le système / au point que tu / ne fais plus at-tention aux innombrables / moments positifs ».

Reste à écrire de « patientes élégies », malgré 


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