application diophantienne
3.2 Paires de Lucas et de Lehmer
3.2.1 D´efinitions et notations.
Une paire de Lucas est une paire (α, β) d’entiers alg´ebriques tels que α + β et αβ soient des entiers relatifs premiers entre eux et αβ ne soit pas une racine de l’unit´e. Si (α, β) est une paire de Lucas, on lui associe la suite des nombres de Lucas (un(α, β)) d´efinie par
un = un(α, β) = α
n− βn
α− β , (n = 0, 1, 2 . . . ).
Une paire de Lehmer est une paire (α, β) d’entiers alg´ebriques tels que (α + β)2 et αβ soient des entiers relatifs premiers entre eux et α
β ne soit pas une racine de l’unit´e. Si (α, β) est une paire de Lehmer, on lui associe la suite des nombres de Lehmer
˜ un= ˜un(α, β) = ( αn−βn α−β si n est impair, αn−βn α2−β2 sinon.
Definition 3.2.1 Soit p un nombre premier et soit (α, β) une paire de Lucas. On dit que p est un diviseur primitif de un(α, β) si et seulement si p divise un(α, β), mais ne divise pas (α− β)2u1. . . un−1.
Definition 3.2.2 Soit p un nombre premier et soit (α, β) une paire de Lehmer. On dit que p est un diviseur primitif de ˜un(α, β) si et seulement si p divise ˜un(α, β), mais ne divise pas (α2− β2)2u˜1. . . ˜un−1.
Definition 3.2.3 Une paire de Lucas (respectivement de Lehmer) (α, β) est dite n-d´efectueuse si et seulement si un(α, β) (respectivement ˜un(α, β)) n’a aucun diviseur pri-mitif.
3.2.2 Quelques r´esultats classiques.
Proposition 3.2.4 Soient (α, β) une paire de Lehmer et (˜un) la suite des nombres de Lehmer correspondante. On a les assertions suivantes :
1. Pour tout entier positif n, on a (αβ, ˜un) = 1. 2. Si d est un diviseur de n, alors ˜ud|˜un et u˜n
˜ ud, ˜ud
divise n d. 3. Pour tout entier positif m et n, on a (˜um, ˜un) = ˜u(m,n).
4. Si un nombre premier p ne divise pas αβ (α2− β2)2, alors p divise ˜up−1u˜p+1. 5. Si un nombre premier p divise ˜um alors p divise u˜mp
˜ um .
6. Dans l’assertion pr´ec´edente, si p > 2, alors p divise exactement1 ˜ump
˜ um . 7. Si 4|˜um, alors 2 divise exactement u˜2m
˜ um.
8. Si un nombre premier p > 2 divise (α− β)2 alors p divise ˜up; si p > 3 alors p divise exactement ˜up.
9. Si un nombre premier p divise (α + β)2 alors p divise ˜u2p; si p > 3 alors p divise exactement ˜u2p.
Preuve On d´efinit la suite ˜vn = ˜vn(α, β) par
˜ vn =
αn+βn
α+β si n est impair, αn+ βn sinon.
Dans la suite de la preuve, A0, A1, . . . , An d´esignent des entiers alg´ebriques. – preuve de l’assertion (1) : On a (α + β)2n = α2n+ β2n+ αβA0 = v2n+ αβA0. Comme (αβ, (α + β)2) = 1, on a (v2n, αβ) = 1. De mˆeme α2n+1+ β2n+1 α + β = α 2n+ β2n+ 2n−1 X k=1 (−1)kαkβ2n−k = v2n+ αβA1, donc (v2n+1, αβ) = 1. Soit alors n un entier impair :
˜ un= α
n− βn
α− β = α
n−1+ βn−1+ αβA2 = vn−1+ αβA2.
Comme (vn−1, αβ) = 1, on a (˜un, αβ) = 1 si n est impair. Fixons n pair. ˜ un= α n− βn α2− β2 = α n−1+ βn−1 α + β + αβ αn−2− βn−2 α2− β2 = α n−1+ βn−1 α + β + αβA3 = vn−1+ αβA3, d’o`u (˜un, αβ) = 1 si n est pair.
L’assertion (1) est prouv´ee.
– preuve de l’assertion (2) : Si d|n, en ´ecrivant αn= βd+ (αd− βd)n
d, il vient αn− βn αd− βd = n dβ n−d+ αd− βd n d−2 X k=0 n/d k βkd αd− βdn d−k−2 . (3.12)
Si n− d est pair, l’´egalit´e pr´ec´edente multipli´ee par αn−d devient αn−du˜n ˜ ud = n d(αβ) n−d+ A4u˜d,
et si n− d est impair (donc 2|n, 2 ∤ d), elle devient αn−d(α + β)u˜n ˜ ud = n d (αβ) n−d+ A5u˜d.
L’assertion r´esulte de ces deux ´egalit´es et du fait que (˜un, αβ) = 1.
– preuve de l’assertion (3) : soient donc m, n deux entiers positifs. Il existe deux entiers positifs r et s tels que rm− sn = (m, n). Posons k = rm et l = sn de sorte que k− l = (k, l). On v´erifie que
αk− βk
αl+ βl − αl− βl
αk+ βk = 2 (αβ)l
αk−l− βk−l . Comme k− l = (k, l), si k − l est pair, il vient
˜
ukvl− ˜ulvk= 2 (αβ)lu˜k−l, et pour k− l impair
(α + β)2u˜kvl− ˜ulvk = 2 (αβ)lu˜k−l si l est impair, ˜
ukvl− (α + β)2u˜lvk = 2 (αβ)lu˜k−l si k est impair.
Si 2 ne divise pas (˜uk, ˜ul), l’assertion (1) et les trois ´egalit´es pr´ec´edentes montrent que (˜uk, ˜ul)|˜uk−l. Supposons maintenant que 2 divise ˜uk et ˜ul. Puisque u˜2k
˜
uk = vk, on a, en posant d = k et n = 2k dans les deux equations suivant (3.12), que si k est pair
alors 2|vk (rappelons que (αβ, ˜uk) = 1), tandis que si k est impair, alors 2|(α + β)2vk; et la mˆeme chose a lieu avec k remplac´e par l. On d´eduit encore des trois ´equations pr´ec´edentes que (˜uk, ˜ul)|˜uk−l.
Rappelons que αn− βn=Y d|n Φd(α, β), (3.13) o`u Φd(α, β) = n Y j=1,(j,n)=1 α− ζjβ,
ζ ´etant une racine primitive d-i`eme de l’unit´e. On d´eduit de (3.13) que ˜um|˜uket ˜un|˜ul, donc que (˜um, ˜un) divise (˜uk, ˜ul) ; comme ce dernier divise ˜uk−l= ˜u(m,n), on en d´eduit donc que (˜um, ˜un) divise ˜u(m,n). Comme (3.13) montre que ˜u(m,n) divise ˜um et ˜un, l’assertion est prouv´ee.
– preuve de l’assertion (4) : si p > 2, on a
(α− β)2(α + β)2u˜p−1u˜p+1= α2p+ β2p− α2+ β2 (αβ)p−1. Par le petit th´eor`eme de Fermat, il vient
(α− β)2(α + β)2u˜p−1u˜p+1≡ 0 mod p, et l’assertion est prouv´ee si p > 2. Supposons p = 2. On a
˜
up−1u˜p+1= ˜u3 = α2+ β2+ αβ.
Si 2 ∤ αβu3, alors il divise α2+ β2 + 2αβ = (α + β)2. L’assertion est encore prouv´ee dans ce cas.
– preuve de l’assertion (5) : De l’´egalit´e (3.12), on a pour p premier et m≥ 1 entier αmp− βmp αm− βm = pβm(p−1)+ p−2 X k=0 p k βkm(αm− βm)p−k−1. (3.14) Supposons d’abord p > 2. De (3.14), il vient
˜ ump
˜ um
= pA6+ (αm− βm)p−1. (3.15) Comme A7u˜m = αm− βm, on en d´eduit que si p|˜um, alors p|u˜mp
˜
up . Supposons p = 2. Dans ce cas, (3.14) donne
α2m− β2m
Or α2m− β2m αm− βm = (α + β) ˜u2m ˜ um si m est impair, ˜ u2m ˜ um si m est pair.
Si 2|˜um avec m pair ou m impair et 2 ∤ (α + β)2, alors comme pr´ec´edemment, on d´eduit que 2|u˜2m
˜
um . Si 2 divise (α + β)2 = ˜u4 + 2αβ, alors 2 divise ˜u4, et donc par l’assertion (3) ne peut diviser ˜um avec m impair. L’assertion est prouv´ee.
– preuve de l’assertion (6) : De l’´egalit´e (3.14), on peut ´ecrire pour p > 2 αm(p−1)u˜mp
˜
um − p (αm− βm) A8− (αm− βm)p−1αm(p−1) = p (αβ)m(p−1). (3.16) S’il ´etait possible d’avoir p2|αm(p−1) ˜ump
˜
um pour p|˜um, alors (3.16) montrerait que p|αβ, en contradiction avec l’assertion (1). L’assertion (6) est prouv´ee.
– preuve de l’assertion (7) : C’est une cons´equence facile de l’assertion (1) et de l’´etude faite dans le cas p = 2, lors de la preuve de l’assertion (5).
– preuve de l’assertion (8) : pour avoir la premi`ere partie, il suffit de prendre m = 1 dans (3.15). Supposons que p > 3 divise (α− β)2. De (3.12) appliqu´e avec m = 1, alors
˜
up ≡ pβp−1 mod p2. Par l’assertion (1), on a donc p||˜up.
– preuve de l’assertion (9) : idem que pr´ec´edemment en prenant m = 2.
Corollaire 3.2.5 Soit (α, β) une paire de Lehmer et (˜un) la suite associ´ee des nombres de Lehmer. Soit p un nombre premier ne divisant pas αβ. Il existe alors un entier m tel que p divise ˜um. Soit mp le plus petit entier jouissant de cette propri´et´e. On a alors
p|˜um ⇐⇒ mp|m, (3.17)
et
mp = p si p > 2 et p|(α − β)2, mp = 2p si p|(α + β)2,
Preuve L’existence d’un entier m tel que p|˜um r´esulte de la conjonction des asssertions (4), (8) et (9) de la proposition pr´ec´edente.
L’implication ”⇐ ” dans (3.17) r´esulte de l’assertion (2), et l’implication ” ⇒ ” r´esulte de (3).
Le fait que mp = p si p > 2 et p|(α−β)2, r´esulte de l’assertion (8). Le fait que mp|(p±1) si p ∤ (α2− β2)2 r´esulte de l’assertion (4). Le cas p = 2 et p ∤ (α + β)2 r´esulte aussi de (4). Dans ce dernier cas m2 = 3. Il nous reste `a montrer mp = 2p si p|(α + β)2. Si p = 2, il n’y a rien `a faire. Supposons p > 2. Par la formule du binˆome
αp− βp ≡ (α − β)p mod p. (3.18)
Comme pgcd ((α + β)2, (α− β)2) divise 4, le nombre alg´ebrique α− β est premier `a p. Par (3.18), il vient
˜
up(α, β)≡ (α − β)p−1 mod p. (3.19)
Comme le terme de gauche de (3.19) est premier `a p, il en est de mˆeme de ˜up(α, β), ie mp 6= p. Or par l’assertion (9) de la proposition pr´ec´edente, p divise ˜u2p(α, β) et (3.17) montre que mp divise 2p. Comme mp 6= 2 et mp 6= p, on a donc m2p = 2p.
3.2.3 Nombres de Lucas ou de Lehmer sans diviseur primitif.
Pour les paires de Lucas ou de Lehmer (α, β) qui sont r´eelles, (c’est `a dire α et β r´eels), Carmichael et Ward ont montr´e le r´esultat suivant :
Th´eor`eme 3.2.6 Soit n > 12 un entier. Il n’existe aucune paire de Lucas ou de Lehmer n-d´efectueuse.
Dans le cas g´en´eral, la classification des triplets (α, β, n) tels que (α, β) soit une paire de Lucas ou de Lehmer n-d´efectueuse a ´et´e obtenue par Bilu, Hanrot et Voutier : voir [12].