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Les années 1966-1968, qui correspondent au gouvernement de la Grande Coalition, représentèrent une phase de transition dans l’histoire de la République fédérale. Elles se caractérisèrent par « leur position ambivalente » entre une période imprégnée de conservatisme et une période faite de mutations profondes200. La manière dont évolua l’attitude de la société allemande face à l’immigration s’insère tout à fait dans ce mouvement de l’histoire. De fait, pendant les années 1966-1968, de plus en plus d’éléments indiquèrent une acceptation de l’immigration, tandis que d’autres signalèrent que cette acceptation reposait alors sur des bases fragiles.

En 1966, la République fédérale entra pour la première fois dans une phase de récession. À la fin de l’année, 300’000 personnes n’occupaient plus d’emploi. La crise, surmontée rapidement, amena la société allemande à s’interroger sur la nature de la présence étrangère. Fallait-il considérer cette présence uniquement en termes économiques et chercher, par conséquent, à se défaire d’une main d’œuvre superflue en temps de crise ? Ou fallait-il, au contraire, considérer que les étrangers se trouvaient dans une situation d’immigration ? Ce chapitre examine comment la société allemande se positionna face à ces questions. Il interprète les années 1966-1968 comme une période charnière de l’apprentissage qu’effectua l’Allemagne face à l’immigration, des années pendant lesquelles l’acceptation de l’immigration progressa, sans être acquise. Ainsi, les responsables ministériels rejetèrent une politique de rotation de la main d’œuvre et de plus en plus de milieux acceptèrent le caractère durable de la présence étrangère. En même temps, s’observèrent une recrudescence de l’hostilité envers les étrangers et l’apparition de l’extrémisme de droite comme phénomène politique important. Cependant, les manifestations de rejet des

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L'expression « position ambivalente » est de KLESSMANN C., Zwei Staaten, eine

Nation, Deutsche Geschichte 1955-1970, Bonn, Bundeszentrale für politische Bildung,

© Nadia Boehlen 74 étrangers ne menacèrent pas l’apprentissage que la société fit face à l’immigration, elles l’amenèrent au contraire à renforcer ce processus.

L’Ausländerpolitik pendant le gouvernement de la Grande Coalition

Il n’y eut pas de changement de cap spectaculaire dans la politique menée à l’égard des travailleurs étrangers pendant le gouvernement de la Grande Coalition. Toutefois, des règles apparurent qui vinrent régir la conduite de cette politique. Comme ce fut le cas pendant les dix premières années d’immigration, la définition de l’Ausländerpolitk pendant la récession fut le résultat d’une série de conciliations entre les points de vue de différentes instances ministérielles et administratives.

L’article 48 du traité de Rome affirma la liberté de circulation des travailleurs dans les États membres de la CEE et, corrélativement, l’abolition de toute discrimination à leur encontre pour l’accès aux emplois. Des règlements devaient amener progressivement la libre circulation des travailleurs au sein de la CEE ; l’ordonnance 15 : de 1961, fut le premier d’entre eux. Elle élargit la liberté en matière d’emploi, prévoyant notamment que l’embauche de travailleurs sur une base individuelle ne serait plus limitée. Elle introduisit également un droit au regroupement familial, limité aux conjoints et aux enfants de moins de 21 ans. En 1964, l’ordonnance alla plus loin, puisqu’elle supprima la priorité de la main d’œuvre nationale, sauf exceptionnellement, dans certaines régions ou professions. Cependant, les restrictions en matière de libre circulation ne disparurent réellement que lorsqu’il fut avéré que les migrations intra- européennes ne pouvaient plus revêtir qu’une faible ampleur201. D’ailleurs, la souveraineté des États en matière d’emploi fut sauvegardée par le règlement 1612 du 19 octobre 1968, promulgué quelques mois après l’établissement de l’Union douanière.

Tout comme les autres pays d’immigration, la République fédérale conserva une totale souveraineté sur sa politique migratoire. Cela apparaît très

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VIET V., La France immigrée, Construction d'une politique, 1914-1997, Paris, Fayard, 1998, pp. 275-279

© Nadia Boehlen 75 clairement dans la position qu’elle adopta face aux demandes répétées de l’Italie d’accorder à ses ressortissants une priorité sur le marché de l’emploi allemand202. Les autorités du travail allemandes estimèrent, se référant aux ordonnances de la CEE, qu’elles n’avaient pas à fermer les frontières à des ressortissants de pays tiers en vertu du principe de liberté de circulation. Elles soulignèrent que ces ordonnances ne parlaient que d’un effort particulier pour pourvoir les emplois vacants avec des ressortissants de pays membres de la CEE, mais pas d’une obligation203. De toute façon, la réticence à appliquer le principe de libre circulation fut accrue au moment de la récession. Ainsi, en janvier 1967, le ministère de l’Économie souligna que la RFA n’engagerait pas de travailleurs italiens supplémentaires à un moment où des centaines de milliers d’Allemands se trouvaient sans emploi204.

Face à l’apparition du chômage, l’Office fédéral du travail chercha à mener une politique qui, si elle avait été appliquée, aurait été proche d’une politique de rotation de la main d’œuvre. Cette administration souhaita obtenir une réduction du nombre d’immigrés présents en RFA. Elle chercha à réguler la présence étrangère en fonction de la situation sur le marché de l’emploi, mais, selon les dires de son directeur, « en douceur et habilement, sans provoquer de vagues »205. En vertu de l’article 48 du traité de Rome, les ressortissants d’États membres de la CEE obtinrent automatiquement le renouvellement de leur permis de travail. Les autorités de police ne purent donc les contraindre à retourner dans leur pays206. Cela fut dès lors possible uniquement avec les ressortissants d’autres États. En décembre 1966, l’Office fédéral du travail édicta des circulaires pour

202 « Promemoria », Ministero degli Affari Esteri, 05.01.1967, BA, B149 22381 ;

« Gemeinsame Aufzeichnung über deutsch-italienische Gespräche », 15./01.06.1967, BA, B149 22381.

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Durchschrift für MR Dr. Ernst, « Priorität des Arbeitsmarktes in der Gemeinschaft », 00.01.1967, B149 22381 ; Bundesarbeitsministerium an das Auswärtige Amt, nachrichtlich an den Herrn Bundesminister des Innern, den Herrn Bundesminister für Wirtschaft, den Herrn Präsident der Bundesanstalt für Arbeit, 31.01.1967, BA, B149 22381.

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Bundesministerium für Wirtschaft an das Auswärtige Amt, das Bundesministerium für Arbeit, das Bundesministerium des Innern, 24.01.1967, BA, B149 22381.

205 Cette conception apparaît par exemple de façon explicite dans la correspondance

suivante : Bundesanstalt für Arbeit an Bundesministerium für Arbeit, 06.02.1967, BA, B149 54448.

206 Entraient également dans cette catégorie d’étrangers qui avaient droit au renouvellement

de leur permis de travail s’ils perdaient leur emploi, les étrangers exerçant une activité indépendante depuis au moins cinq ans, ceux résidant depuis huit ans sur le territoire de la République fédérale et ceux mariés avec un ressortissant de nationalité allemande.

© Nadia Boehlen 76 obtenir leur renvoi dans les pays d’origine une fois qu’ils perdaient leur emploi. Une première circulaire poussa les administrations locales à ne renouveler les permis de travail des ressortissants de pays non-membres de la CEE que s’ils occupaient un emploi ou, dans le cas contraire, seulement s’il paraissait possible de leur en attribuer un. La circulaire stipulait que les offices du travail pouvaient entreprendre de replacer cette catégorie d’étrangers sur le marché de l’emploi, mais qu’ils n’étaient pas tenus de le faire207. Une circulaire complémentaire précisa les conditions d’octroi de l’assurance chômage. Elle prévit des indemnités de chômage dépendant de la possession d’un permis de travail pour les Yougoslaves, les Turcs et les Portugais208.

Des circulaires édictées au début de l’année 1967 par l’Office fédéral du travail, distinguèrent entre ressortissants de pays membres et non-membres de l’OCDE. D’après ces circulaires, les bureaux de l’emploi délivreraient un permis de travail d’une durée de 13 semaines à la première catégorie d’étrangers au chômage. Les travailleurs tunisiens et marocains entrés en RFA conformément aux termes des conventions de main d’œuvre bénéficieraient des mêmes conditions. La prolongation du permis de travail des autres ressortissants de pays non-membres de l’OCDE sans emploi serait, en revanche, laissée à la discrétion des administrations locales209.

Les autorités du Land le plus touché par la crise et dont la population étrangère était la plus importante, la Rhénanie du Nord-Westphalie, menèrent une politique plus souple que celle voulue par l’Office fédéral du travail et n’opérèrent pas de distinctions en fonction de la nationalité des immigrants. Avant que l’Office fédéral du travail n’eût édicté ses circulaires, en décembre 1966, le ministère de l’Intérieur du Land poussa les autorités de police à prolonger les titres de séjour. Il précisa que si les étrangers perdaient leur emploi et, consécutivement, leur permis de travail, il convenait, dans un premier temps, de renouveler leur titre de séjour pour trois mois. Puis, lorsque ce délai arrivait à échéance, le titre pouvait être prolongé pour trois autres mois si des emplois

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Les travailleurs saisonniers étaient également privés du renouvellement de leur permis de travail. Bundesanstalt für Arbeit, an alle Dienststellen der Bundesanstalt, 27.12.1966, BA, B149 54448.

208

Bundesanstalt für Arbeit an alle Dienststellen der Bundesanstalt, 27.12.1966, BA, B149 54448.

© Nadia Boehlen 77 vacants apparaissaient210. Après la promulgation des circulaires de l’Office fédéral du travail, le ministère de l’Intérieur de Rhénanie du Nord-Westphalie incita les administrations locales à prolonger les permis de travail de tous les étrangers, de sorte qu’ils puissent bénéficier des assurances chômage. Cette attitude fut motivée par la crainte de voir apparaître un nombre important d’entre eux à charge de l’aide sociale211.

Face aux régulations adoptées par l’Office fédéral du travail et aux politiques menées par les Länder, les ministères fédéraux adoptèrent différentes positions qu’ils durent concilier les unes par rapport aux autres. Le ministère de l’Économie, mentionna le caractère inacceptable d’une distinction entre différentes catégories d’étrangers et jugea irrationnel, étant donné le faible niveau de chômage et le probable renversement de la conjoncture, de forcer des travailleurs qui avaient été formés à quitter la RFA212. Le ministère des Affaires étrangères, qui subissait la pression de certains pays d’origine, défendit une position semblable. Il déplora en outre la précarisation du statut des étrangers qu’impliquait l’application des circulaires de l’Office fédéral du travail213. Le ministère du Travail estima qu’on ne saurait expulser des étrangers s’ils perdaient leur emploi, qu’ils fussent ressortissants d’État membres de la CEE, de l’OCDE ou non214. Enfin, d’après le ministère de l’Intérieur, aucune clause des accords internationaux de main d’œuvre n’obligeait à renouveler le titre de séjour des étrangers. Le fonctionnaire en charge de l’immigration au sein de ce ministère pendant la Grande Coalition, Heuer, avait cependant une position nettement plus tolérante sur la question de leur présence que son prédécesseur, Breull, lequel s’était systématiquement opposé à la possibilité d’une installation des travailleurs

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Ministerium des Innern an Regierungspräsidenten Aachen, Arnsberg, Düsseldorf, Köln, Münster, 20.12.1966, BA, B149 54448.

211 Der Innenminister des Landes Nordrhein-Westfalen an das Landesarbeitsamt Nordrhein-

Westfalen, Düsseldorf, 06.01.1967, BA, B149 54448.

212

Bundesminister für Wirtschaft an den Bundesminister für Arbeit und Sozialordnung, nachrichtlich an das Auswärtige Amt, den Bundesminister des Innern, den Bundesminister für Wirtschaftliche Zusammenarbeit, 23.03.1967, BA, B149 46753.

213

« Ergebnisprotokoll über die Sitzung des Arbeitskreises für Fragen der Beschäftigung ausländischer Arbeitnehmer im Bundesministerium für Arbeit und Sozialordnung am 24.01.1967 », 16.02.1967, BA, B149 46753.

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Bundesarbeitsministerium an das Auswärtige Amt, nachrichtlich an den Herrn Bundesminister des Innern, den Herrn Bundesminister für Wirtschaft, den Herrn Präsident der Bundesanstalt für Arbeit, 31.01.1967, BA, B149 22381.

© Nadia Boehlen 78 turcs, marocains et tunisiens. Surtout, il ne faisait pas de distinction entre différents groupes nationaux d’étrangers215.

À la fin de janvier 1967, les membres des différents ministères fédéraux s’entendirent pour rejeter tout traitement dissemblable fondé sur la nationalité d’origine des immigrants. Ils estimèrent que tous les étrangers qui avaient travaillé légalement en RFA devaient bénéficier de l’assurance chômage ainsi que des possibilités de replacement sur le marché de l’emploi. Ils rejetèrent également le principe d’expulsions de chômeurs216. Dans un premier temps, les autorités fédérales enjoignirent l’Office fédéral du travail de faire en sorte que les allocations de chômage fussent versées aux étrangers licenciés, indépendamment de leur éventuel départ de RFA ou de la possibilité de les replacer sur le marché de l’emploi217. Puis, les différents ministères s’entendirent pour qu’un permis de travail, limité dans un premier temps à 26 semaines, fût distribué à tous les étrangers sans emploi et privés d’un droit au renouvellement de ce document. L’Office fédéral du travail fut sommé d’appliquer cette décision ; les autorités fédérales et régionales de l’Intérieur adaptèrent leur règlement sur les titres de séjour en fonction218.

Les ministères fédéraux n’exclurent pas le retour des étrangers dans leur pays s’ils demeureraient une période prolongée sans emploi. Ils décidèrent la cessation du versement de l’assurance chômage et le non-renouvellement du permis de travail après 26 semaines de chômage, pour autant que le marché du travail n’ait pas offert de perspectives219. Le ministère de l’Intérieur souhaita pourtant éviter des expulsions forcées. Il enjoignit en effet les autorités de police de prolonger les titres de séjour pour une durée d’une année, même si les étrangers n’occupaient pas d’emploi. Si, après ce laps de temps, ils n’étaient plus au bénéfice de l’allocation chômage et qu’aucune offre de travail ne se profilait,

215 Bundesministerium des Innern an das Bundesarbeitsministerium, die Bundesanstalt für

Arbeit und das Bundesministerium für Wirtschaft, 13.02.1967, BA, B149 22388 ; « Ergebnisprotokoll über die Sitzung des Arbeitskreises für Fragen der Beschäftigung

ausländischer Arbeitnehmer im Bundesministerium für Arbeit und Sozialordnung am 24.01.1967 », 16.02.1967, BA, B149 46753.

216 « Ergebnisprotokoll über die Sitzung des Arbeitskreises für Fragen der Beschäftigung

ausländischer Arbeitnehmer im Bundesministerium für Arbeit und Sozialordnung am 24.01.1967 », 16.02.1967, BA, B149 46753.

217 Bundesarbeitsministerium an Bundesanstalt für Arbeit, der Präsident, 07.03.1967, BA,

B149 54448.

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© Nadia Boehlen 79 alors seulement le titre de séjour ne serait pas renouvelé220. Dans ce cas, les autorités régionales pouvaient encore tolérer un séjour supplémentaire de trois mois sans les papiers requis221.

La crise économique révéla le statut particulier des travailleurs yougoslaves, dont la présence et l’emploi en RFA n’étaient régulés par aucun accord de main d’œuvre. Dès le première moitié des années 1960, les milieux économiques poussèrent les autorités fédérales à conclure une convention fixant un cadre juridique à l’emploi des Yougoslaves222. Pourtant, si des négociations eurent lieu en 1963, 1964 et 1965, la Doctrine Hallstein retint le gouvernement allemand de conclure une telle convention jusqu’en 1967. À partir du printemps 1967, le ministre des Affaires étrangères de la Grande Coalition, Willy Brandt, soucieux de donner un nouveau cours à l’Ostpolitik, entendit améliorer les relations avec la Yougoslavie. Il exhorta donc les ministères du Travail, de l’Économie et des Finances à donner leur consentement à la reprise de négociations de main d’œuvre avec cet État223. En raison de la récession, ces ministères s’opposaient en effet à la conclusion d’un accord qui, d’après eux, amènerait une augmentation du nombre de travailleurs yougoslaves présents en RFA. À l’automne 1967, ils souscrivirent toutefois à la signature d’une convention avec la Yougoslavie, à la condition qu’elle ne fixât pas un droit aux allocations familiales et que son champ d’application fût limité aux ouvriers qualifiés et aux femmes. Le ministère des Affaires étrangères poussa les autres ministères à abandonner ces limitations224. Finalement, l’accord signé le 12 octobre 1968 avec la Yougoslavie, accorda le même statut aux ressortissants de cet État qu’à ceux des autres pays d’émigration225.

219 Ibid.

220 « Ausländerreferentenbesprechung in Goslar », 19/20.04.1967 ; Bundesministerium für

Arbeit und Sozialordnung, BA, B106 39992 ; Der Bundesminister des Innern, an die Herren Innenminister (-senatoren) der Länder, 15.12.1967, B149 54448.

221 « Ausländerreferentenbesprechung in Goslar », 19/20.04.1967, BA, B106 39992. 222

Voir par exemple : Bundesvereinigung der deutschen Arbeitsgeberverbände an das Bundesministerium für Arbeit, 03.07.1964, BA, B149 6240.

223 Der Bundesminister des Auswärtigen an den Bundesminister für Arbeit und

Sozialordnung, 21.04.1967, BA, B149 6241 ; « Anlage zur Kabinettsache des Auswärtiges Amts », 05.06.1967, BA, B149 6241 ; Der Staatssekretär des Auswärtiges Amts an den Staatssekretär des Bundesministeriums für Arbeit, 25.09.1967, BA, B149 6241.

224 Der Bundesminister des Auswärtigen an den Bundesminister für Arbeit und

Sozialordnung, 20.01.1968, 24.07.1968, BA, B149 22399.

225

Il s'agit en fait de trois accords différents : un sur le recrutement de travailleurs yougoslaves, un autre sur la sécurité sociale et le dernier sur les allocations de chômage.

© Nadia Boehlen 80 Pendant les années 1966-1968, l’action sociale à l’égard des étrangers devint plus consistante. Depuis le milieu des années 1960, le ministère du Travail se mit à définir un budget fédéral pour l’intégration des étrangers. Plusieurs administrations et ministères fédéraux en assumèrent la charge. En 1967, par exemple, le ministères de l’Intérieur dégagea 2,5 millions de DM, le ministère pour les Questions allemandes 300'000 DM et l’Office fédéral du travail 1,5 millions. Le ministère du Travail prévit 150'000 DM pour la coordination de l’action des instances fédérales et régionales engagées dans l’Ausländerpolitik. Il investit des fonds pour encourager la construction de logements qui, en 1967, s’élevèrent à 3 millions de DM sous forme de prêts226. Il finança aussi le matériel pédagogique destiné à l’enseignement de la langue allemande ainsi que la formation du personnel dispensant cet enseignement. Il chargea l’Institut Goethe de mettre en place des méthodes pédagogiques modernes. L’Institut transforma un cours de langue allemande, créé originellement par la radio bavaroise pour les travailleurs italiens, en cours audiovisuel destiné à l’ensemble des ressortissants étrangers.

Comme pendant les dix premières années d’immigration, les acteurs régionaux et non gouvernementaux assumèrent l’essentiel du travail d’assistance sociale pour les étrangers. Pendant les années 1966-1968, les Länder augmentèrent les moyens et améliorèrent les mesures pour encourager l’intégration des étrangers. Pour l’année 1967, l’ensemble des Länder mit à disposition 1,624 millions de DM pour l’action sociale en faveur des nouveaux venus. Les plus gros budgets furent ceux de Rhénanie du Nord-Westphalie (900’000 DM), du Bade-Wurtemberg (300’000 DM) et de la Basse-Saxe (200’000)227. Depuis le milieu des années 1960, la Rhénanie du Nord-Westphalie et le Bade-Wurtemberg organisèrent des journées de rencontre et de formation pour les travailleurs sociaux actifs auprès des étrangers. Les financements des

Voir « Vermerk : Deutsch-jugoslawische Verhandlungen über den Abschluss einer Anwerbevereinbarung, eines Abkommens über soziale Sicherheit einschliesslich des Kindergeldes und ein Abkommen über Arbeitslosenversicherung », 18.10.1968, BA, B149 22400.

226 « Stellungnahme zu dem Beschluss 1b der Tagesordnung der 39.

Arbeitsministerkonferenz », 26-27.01.1967, BA, B149 62802.

227

« Betreeungsmittel der Länder und der Bundesanstalt in den Haushaltsjahren 1967 und 1968 », BA, B149 63078.

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Länder et du gouvernement fédéral permirent aux organisations caritatives et

syndicales de renforcer leur réseau d’aide aux immigrants.

Face à la récession, les responsables ministériels rejetèrent une politique de rotation de la main d’œuvre. Ils optèrent au contraire pour une stabilisation du statut des immigrés. De plus, il améliorèrent et augmentèrent les mesures pour favoriser leur intégration. S’ils refusèrent un renvoi massif des travailleurs étrangers, ce fut sans doute en partie par calcul économique, puisque tout indiquait un retournement futur de la conjoncture. Cependant, émergea également parmi eux un consensus sur la nécessité de traiter décemment tous les groupes d’immigrés, consensus qui découla certainement d’une volonté de se démarquer des pratiques racistes nazies. Concrètement, cela se traduisit par l’apparition pour les étrangers d’un droit à un séjour et à une couverture sociale indépendamment de la situation économique et par le refus de tout traitement discriminatoire fondé sur l’origine.

Une acceptation progressive

Pendant les années 1966-1968, les milieux les plus ouverts à l’immigration se mirent à considérer explicitement l’immigration en termes d’intégration, alors que d’autres milieux en vinrent progressivement à accepter la présence étrangère.

La définition de l’action sociale amena les milieux non gouvernementaux actifs auprès des étrangers, les syndicats et les associations caritatives, à considérer l’immigration en termes d’intégration. Les préoccupations à propos de l’insertion des enfants étrangers dans l’école allemande sont particulièrement révélatrices de leur volonté de voir les nouveaux venus s’intégrer à la société. L’Aide sociale pour les travailleurs (Arbeiterwohlfahrt, AWO) souligna ainsi la