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LE RAPPORT AUX IMMIGRÉS PENDANT LA GUERRE D’ALGÉRIE

Depuis le XIXe siècle, la société française s’était habituée à voir

s’implanter des immigrés européens. Elle admit donc aisément qu’ils fussent amenés à se fondre en son sein. Ce ne fut pas le cas des immigrés nord-africains, et spécialement des Algériens. Pendant les dix années d’après-guerre, les Français plaçaient déjà ces immigrés coloniaux au bas d’une échelle de préférence. Mais au fond, leur présence, perçue comme un effet secondaire de la colonisation, les indifférait. Ce n’est que dans le contexte de la décolonisation et tout particulièrement à l’aune de la guerre d’Algérie, que les immigrés nord-africains commencèrent à exaspérer les Français. Ce fut également dans ce contexte que les dirigeants en vinrent à ce préoccuper de ces immigrés, mais uniquement dans une perspective répressive : la traque aux éléments nationalistes.

Les dirigeants face à l’immigration

En 1946, les Algériens étaient classés dans la catégorie des immigrés désignés comme Africains, 54’000 au total ; ils n’étaient pas comptabilisés séparément dans les statistiques. En 1954, l’accroissement du nombre d’Algériens était déjà significatif, puisqu’ils étaient alors au nombre de 212’000, soit 12% de la population étrangère. Leur nombre augmenta plus fortement encore jusqu’en 1974. En 1962, à l’indépendance de l’Algérie, les Algériens étaient 350’000 en France, soit 16% de la population étrangère. En 1975, ils étaient 711'000 (21% de la population étrangère) ; ils formaient ainsi le second groupe d’étrangers par importance numérique, après les Portugais339. En même temps qu’augmenta le nombre d’Algériens, la France s’achemina et s’enlisa dans la guerre d’Algérie.

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SCHOR R., Histoire de l'immigration en France, de la fin du XIXe siècle à nos jours, op.

© Nadia Boehlen 126 Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, l’attitude générale des pouvoirs publics à l’égard de l’immigration algérienne correspondit à une relative indifférence. Tant que l’immigration familiale resta peu significative et que les bidonvilles n’étaient pas encore apparus, ils ne s’y intéressèrent que de manière sporadique. Les ministères se bornèrent à financer l’action d’œuvres caritatives et d’associations privées, qu’ils chargèrent de créer des foyers, des centres de transit ou des dispensaires, d’organiser des cours de langue et de mettre en place des services d’assistance. À l’occasion, ils incitèrent les préfectures à adopter une attitude bienveillante à l’égard de ceux qu’ils désignaient comme les Français musulmans d’Algérie et à les aider à évoluer en Métropole. Ils suggérèrent en particulier d’améliorer l’orientation et la reconversion professionnelle de ces immigrés ainsi que leur logement. Mais ils ne dotèrent pas les préfectures de moyens qui leur aurait permis d’appliquer de tels programmes. Dans le domaine du logement, par exemple, les ministères de l’Intérieur et du Travail se bornèrent à encourager les préfets à utiliser les maigres possibilités existantes : octroi de subventions à des associations se spécialisant dans l’hébergement collectif et utilisation des 1% de la contribution patronale prévue par la loi pour la participation des employeurs à la construction de logements340.

Les responsables ministériels ne commencèrent à se préoccuper véritablement de l’immigration algérienne que dans le cadre du processus de décolonisation. À partir du début des années 1950, s’observèrent sur le territoire métropolitain les premières luttes intestines entre différents courants nationalistes, Mouvement Nationaliste Algérien (MNA) contre Parti communiste puis, à partir de 1954, fédération de France du Front de Libération Nationale (FLN) contre MNA. Ce n’est qu’à partir de 1957-1958 que le FLN obtint une emprise décisive sur l’immigration algérienne au détriment du MNA, encore que ce dernier maintint des bastions dans le Nord et l’Est.

Peu avant le début de la guerre d’Algérie déjà, les autorités françaises cherchèrent à empêcher l’emprise du nationalisme algériens sur la population immigrée. Pendant le conflit elles adoptèrent des moyens de plus en plus

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Voir par exemple : Ministère de l’Intérieur, ministère du Travail et de la Sécurité Sociale à Messieurs les préfets, « Circulaire n°281, objet : habitat des citoyens français musulmans en Métropole », 02.09.1954, CARAN F/1a/5035.

© Nadia Boehlen 127 répressifs qui finirent par devenir les instruments d’une guerre transposée en métropole.

Depuis 1871, date de la suppression d’un régime colonial militaire au profit d’un régime civil, les attributions relatives à l’Algérie étaient dévolues à l’Intérieur. C’est pourquoi, dès 1945, l’organisation de l’action sociale pour les Algériens fut répartie entre ce ministère, qui assurait la liaison avec le gouvernement général de l’Algérie, et celui du Travail et de la Sécurité Sociale ; les autres ministères, notamment ceux de la Santé publique et de l’Éducation nationale jouèrent un rôle d’appoint. Le Service Social d’Aide aux Émigrants ne s’impliqua pas dans l’action sociale à l’égard des travailleurs algériens ; d’autres associations privées financées par le ministère de l’Intérieur furent engagées sur ce terrain. Ce fut également le ministère de l’Intérieur qui coordonna les différents secteurs ministériels impliqués dans des questions ayant trait à la présence d’immigrés algériens sur le territoire métropolitain, d’abord de manière informelle, puis, avec le début des hostilités en 1954, de manière formelle. Il obtint ainsi la présidence d’un comité interministériel, le Comité pour les affaires sociales intéressant la population musulmane algérienne en métropole. En avril 1958, la capacité d’intervention de l’Intérieur sur l’immigration algérienne fut encore renforcée par la création d’un Service des Affaires Musulmanes et de l’Action Sociale (SAMAS)341, directement rattaché au cabinet du ministre de l’Intérieur.

À partir de 1952, le ministère de l’Intérieur plaça auprès d’inspecteurs généraux de l’administration en mission extraordinaire quatre conseillers techniques pour les affaires musulmanes ; il s’agissait en fait d’administrateurs civils de l’Algérie. Au cours des années 1950, leur nombre augmenta et ils furent placés auprès des préfets. Ils eurent pour mission de soustraire les Français musulmans à l’influence des mouvements nationalistes. Jusqu’en 1956, ils cherchèrent à effectuer cette mission essentiellement à travers un travail d’assistance sociale. Au cours des hostilités ils adoptèrent cependant des méthodes répressives. En février 1958, le ministère de l’Intérieur estima en effet

341 Le SAMAS fut le résultat de la fusion entre le bureau des œuvres sociales et celui des

affaires sociales musulmanes qui avaient dépendu jusqu’alors respectivement de la direction des services financiers et du contentieux et de la direction des affaires d'Algérie. Voir VIET V., La France immigrée, Construction d’une politique, 1914-1997, op. cit., pp. 184-191.

© Nadia Boehlen 128 que l’activité des conseillers techniques ne pouvait plus être limitée aux questions sociales et qu’ils seraient également affectés, sous l’ordre des préfets, au maintien de l’ordre public. Leur intervention dans ce domaine devait se faire, d’après les directives ministérielles, avec une discrétion suffisante pour ne pas gêner une prétendue action à caractère social342.

D’autres mesures renforcèrent les moyens d’intervention du ministère de l’Intérieur sur l’immigration algérienne. Une loi du 26 juillet 1957 étendit ainsi en métropole les dispositions de la loi sur les pouvoirs spéciaux. Adoptée en mars 1956, cette dernière habilitait le gouvernement à prendre sur le territoire algérien « toutes mesures exceptionnelles en vue du rétablissement de l’ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire »343. Étendue au territoire métropolitain, elle autorisait l’internement de personnes condamnées en application des lois sur les groupes de combat et les milices privées. Après l’adoption de la loi de juillet 1957, des rafles furent organisées afin de vérifier l’identité des Français musulmans d’Algérie et leur implication éventuelle dans la cause nationaliste. Dans le cadre de ces opérations, ces derniers furent internés dans différents lieux. À Paris, l’ancien Vélodrome d’Hiver, qui avait servi à la rafle des Juifs de juillet 1942, fut, dès 1958, utilisé à cette fin, tout comme l’hôpital Beaujon et le gymnase Japy. En janvier 1959 fut créé le centre d’internement de Vincennes. Dans le cadre des rafles d’Algériens, des caves des 13e et 18e arrondissements servirent de lieux de tortures. Enfin, quatre camps d’internement furent créés entre 1957 et 1959 sur le territoire métropolitain : Mourmelon-Vadenay en Marne, Saint-Maurice-L’Ardoise dans le Gard, Thol dans l’Ain et le Larzac en Aveyron344.

Avec l’avènement de la Ve République, les moyens déployés pour

combattre les éléments nationalistes en métropole furent encore accrus. En juin 1958, le gouvernement institua un Secrétariat général pour les affaires algériennes. Directement rattaché au cabinet du Premier ministre, le secrétariat centralisait les relations entre le délégué général du gouvernement en Algérie et les administrations métropolitaines ; il avait pour mission de suivre l’exécution

342 « Note : Renforcement de l’action politique et sociale concernant les Français de souche

Nord-Africaine résidant en Métropole », 10.07.1959, CARAN F/1a/5013.

343 STORA B., Histoire de la guerre d’Algérie, (1954-1962), Paris, La Découverte, 1993,

© Nadia Boehlen 129 des décisions gouvernementales relatives à l’Algérie345. À partir de l’été 1958, cet organe mit à disposition du ministère de l’Intérieur des officiers des affaires algériennes issus des sections d’action urbaines et des sections d’action spécialisées qui effectuaient jusqu’alors leur besogne dans la colonie sous les ordres du ministère de la Défense. Sept d’entre eux furent placés auprès de la Préfecture de police de Paris et trois dans les Bouches-du-Rhône. L’arrivée de ces officiers chargés de débusquer les activistes nationalistes en métropole, marqua véritablement, si tel ne fut pas déjà le cas avec la loi de juillet 1957 sur les pouvoirs spéciaux, le début de la guerre en métropole. L’ordonnance du 7 octobre 1958, qui supprimait toute condition préalable d’ordre judiciaire à l’internement, facilita la tâche des officiers, en leur permettant toute liberté d’action. Le ministère de l’Intérieur chargea les officiers des affaires algériennes de la traque ainsi que de l’élimination des éléments nationalistes et du rattachement des Français musulmans à la cause de l’Algérie française. Pour la réalisation de ce programme, il proposa les méthodes suivantes : une prise de contact avec la masse des Français musulmans, une purge spectaculaire, la recherche et l’arrestation des activistes346.

À l’été 1960, le Secrétariat général pour les affaires algériennes dota la Préfecture de police de Paris de moyens supplémentaires pour faire face, selon la terminologie d’usage, à la situation exceptionnelle provoquée par l’activité terroriste dans les milieux algériens. Il ordonna la création de sections administratives techniques, sections également formées dans les départements des Bouches-du-Rhône, du Rhône et de Seine-et-Oise. La force de police auxiliaire, créée pendant l’hiver 1959-1960 par la Préfecture de police de Paris, seconda les sections administratives dans leur travail. Le fonctionnement de cette unité spéciale était calqué sur celui des harkas, pour rappel des troupes auxiliaires formées de Français musulmans et rattachées à des bataillons ou à des compagnies en Algérie. Les propos d’un commandant dans un rapport sur l’activité des sections administratives techniques où était loué le soutien décisif du Préfet de

344 EINAUDI J.-L., La bataille de Paris, 17 octobre 1961, Paris, Seuil, pp. 215-321. 345

VIET V., La France immigrée, Construction d’une politique, 1914-1997, op. cit., p. 192.

346

« Note : Renforcement de l’action politique et sociale concernant les Français de souche Nord-Africaine résidant en Métropole », 10.07.1959, CARAN F/1a/5013.

© Nadia Boehlen 130 police, Maurice Papon, nous renseigne sur la nature de l’action menée par la force de police auxiliaire :

Son originalité fait d’elle un outil incomparable dans la lutte directe contre la rébellion. (...) Constituée en compagnies, sous règlement de discipline militaire et non pas sous le règlement de discipline particulier à la police parisienne. (...) Dès son entrée en fonction en mars 1960, la F.P.A a montré son dynamisme, sa cohésion, son mordant. Elle a changé la forme du « combat des foules » mené à Paris. Elle a transformé la défense passive en lutte active347.

Ce n’est pas un hasard si les structures répressives mises en place dans le cadre de la guerre d’Algérie débouchèrent sur des actions meurtrières, à commencer par les arrestations et internements suivis d’exécutions pendant toute la durée du conflit, jusqu’à la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961. Lors de cette manifestation organisée à l’initiative du FLN, entre 30’000 et 40’000 Algériens s’étaient assemblés pour protester contre l’interdiction faite par la Préfecture de police à leur communauté de circuler entre 20h et 4h30 du matin et de circuler en groupes aux autres heures de la journée. Cet assemblement fut réprimé dans le sang. L’intervention des forces de police fit vraisemblablement des centaines de morts348.

Certains chercheurs ont établi, rétrospectivement, le parallèle entre le sort des Algériens sous la France républicaine pendant la guerre d’Algérie et celui des Juifs sous Vichy et le régime nazi349. Certains d’entre eux ont également estimé,

faisant à nouveau le parallèle avec Vichy, que l’État de droit cessa de fonctionner pendant cette période. Benjamin Stora a ainsi pu dire :

On sait que l’État de droit n’existe que comme résultat d’une série de décisions, de comportements et aussi de discours des responsables politiques, des magistrats, des administrateurs. L’État de droit a dérogé à ses principes parce qu’il n’a jamais reconnu, y compris dans le discours, l’existence d’une guerre et

347 « L'assistance technique aux Français Musulmans d'Algérie à la Préfecture de Police à

Paris, Commandant Cunibile », 1961, GA Dr 50.

348 EINAUDI J.-L., La bataille de Paris, 17 octobre 1961, op. cit., pp. 215-321.

349 Pierre Vidal-Naquet a été jusqu'à comparer l'État colonial algérien, qualifié de totalitaire,

avec l'État nazi. Cf. Le Monde, Florence Beauge, « L'accablante confession du général Aussaresses sur la torture en Algérie », Pierre Vidal Naquet, « Il faut prendre ce livre pour ce qu'il est, les mémoires d'un assassin », 03.05.2001.

© Nadia Boehlen 131 l’inévitable cortège de mesures coercitives. Le silence a prévalu. Après Vichy, s’il est un moment où l’État de droit a cédé facilement en France à l’État de police, c’est bien dans le temps de la guerre d’Algérie350.

Ces parallèles entre racismes d’État ou pratiques autoritaires sont-il vraiment justifiés ? Il est certain qu’il y eut des débordements policiers fortement teintés de racisme. Les témoignages abondent dans ce sens ; le plus parlant d’entre eux est peut-être le film Octobre à Paris réalisé à partir d’images tournées pendant la manifestation du 17 octobre 1961351. Comme en témoignent ces images, d’une violence étouffante, des Algériens furent, à ce moment, roués de coup, internés et assassinés. Cependant, ces débordements eurent lieu dans le cadre de l’État de droit. De fait, tous les moyens adoptés pour réprimer l’insurrection nationaliste, que ce fût en Algérie ou en métropole, le furent uniquement après que l’Assemblée nationale eût légiféré.

Qu’en est-il du racisme envers les Algériens pendant ces années ? Fut-il vraiment semblable à celui qui exista à l’égard des Juifs sous Vichy ou en Allemagne nazie ? Le racisme anti-Algérien, en métropole tout comme dans la colonie, et l’antisémitisme de la période vichyssoise et nazie, relèvent de logiques différentes. Pendant les années 1930 et 1940, les Juifs eurent à subir une variante spécifique de ce que Pierre André Taguieff appelle un racisme d’extermination. Ce type de racisme est fondé sur la précellence de l’identité propre dont dérive un impératif de préservation. Il en découle que l’autre est considéré comme un élément dangereux, nuisible à sa propre race, d’où découle la volonté radicale de l’exclure, pour au bout du compte le détruire352. Or, l’Allemagne nazie mit en œuvre un programme d’extermination systématique fondé sur ce type de racisme, et plus spécifiquement, sur un antisémitisme radical. La France de Vichy y participa d’ailleurs activement, puisqu’elle livra des Juifs étrangers et des Juifs français préalablement dénaturalisés353. Le racisme que subirent les Algériens après la Seconde Guerre mondiale fut autre ; il s’agit d’un racisme de type

350 Cité in STORA B., La gangrène et l'oubli, La mémoire de la guerre d'Algérie, op. cit,

p. 93.

351 Octobre à Paris, film de Jacques Panijel, 1962.

352 TAGUIEFF P.-A., La force du préjugé, essai sur le racisme et ses doubles, Paris, tel

Gallimard, pp. 49-94 et pp. 162-173.

353

BURRIN Ph., La France à l’heure allemande, 1940-1944, Paris, Seuil, 1995, pp. 161-165, 176-179.

© Nadia Boehlen 132 colonial, résultant, d’après une définition du même Taguieff, d’une identification de l’autre comme étant inférieur. De là découle la volonté de le dominer et de l’exploiter, mais non pas celle de l’exterminer354. De fait, pendant la guerre d’Algérie, si militaires et policiers internèrent, torturèrent et tuèrent des musulmans, ce fut pour la cause de l’Algérie française et, corrélativement, pour maintenir les Algériens dans leur statut de colonisés. Mais ils ne cherchèrent pas à mettre en œuvre un programme d’extermination des Français musulmans.

Les meurtres d’Algériens furent le résultat de dérapages engendrés par la structure répressive mise en place dans le cadre de la guerre. Ils furent d’autant plus facilement perpétrés qu’ils le furent souvent par des hommes qui avaient combattu sur le terrain colonial pour une Algérie française dont ils sentaient bien qu’elle ressemblait de plus en plus à une chimère. Comme ils attribuaient la responsabilité de la perte de la colonie aux Algériens, ils n’en furent que plus violents dans les actions menées contre eux. Que ces hommes fussent de surcroît pétris de préjugés racistes ne fait aucun doute355. Par ailleurs, l’attitude des dirigeants n’incita pas leurs exécutants à la modération, bien au contraire.

Si les responsables ministériels ne cherchèrent pas à mettre en œuvre de programme raciste, ils restèrent dans le meilleur des cas indifférents au sort de la population algérienne. Ils passèrent ainsi sous silence les actions meurtrières perpétrées contre des immigrés algériens dans le cadre du conflit colonial, en particulier les ratonnades d’octobre 1961. De plus ils ne se préoccupèrent pas des conditions de vie de cette population.

Jean-Luc Einaudi a montré la manière dont les dirigeants étouffèrent la vérité au sujet des évènements d’octobre 1961. D’après les propos du ministre de l’Intérieur, Roger Frey, le lendemain de la manifestation, les forces de l’ordre, dont certains membres furent tués et blessés, n’auraient fait que veiller au maintien de l’ordre356. La Présidence de la République et l’ensemble du gouvernement relatèrent les faits de manière similaire : les heurts qui eurent lieu auraient été provoqués par les militants du FLN. Policiers et CRS n’auraient fait que veiller au maintien de l’ordre et à la sécurité de la population. Les événements

354 TAGUIEFF P.-A., La force du préjugé, essai sur le racisme et ses doubles, op. cit.,

pp. 173-176.

355 Pour le racisme des acteurs de la guerre d’Algérie, se référer à la première partie du

© Nadia Boehlen 133 d’octobre étaient inacceptables, mais inhérents à la guerre. Les propositions d’enquêtes sénatoriales ou parlementaires sur ces événements, qualifiés d’« incidents » par les autorités de police, furent rejetées par le gouvernement. De plus, en 1962 et 1963, toutes les informations judiciaires ouvertes en raison de la découverte de cadavres et de plaintes portées contre des policiers furent closes par un non-lieu357.

En somme, aux yeux des dirigeants, les immigrés algériens ne furent rien de plus que les éléments embarrassants d’une guerre coloniale. S’ils furent pris en compte dans les politiques gouvernementales, ce fut uniquement sous cet angle, c’est-à-dire sous l’angle répressif.

La politique à caractère social à l’égard des Algériens demeura inexistante. Depuis le début de la guerre d’Algérie, et surtout avec l’avènement de la Ve

République, seuls quelques simulacres de tentatives furent faites pour améliorer la situation des immigrés nord-africains. La politique sociale à l’égard de ces derniers ne fut dotée que de moyens fantoches.

La création en 1957 du Conseil supérieur pour l’étude des affaires sociales concernant les ressortissants de l’Afrique du Nord, rattaché au ministère du Travail, est tout à fait représentative d’un type de structure mis en place pour promouvoir l’action sociale à l’égard des immigrés, mais dénudé de toute efficacité. De fait, l’activité de cette structure contrôlée par le ministère de