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LES DÉBUTS DE L’IMMIGRATION ÉTRANGÈRE EN ALLEMAGNE

En 1955, la République fédérale signa un premier accord de main d’œuvre avec l’Italie puis, dans les années qui suivirent, d’autres accords avec l’Espagne, la Grèce, la Turquie, le Portugal, le Maroc, la Tunisie et la Yougoslavie. L’appel de travailleurs étrangers engendra la formation de minorités étrangères. Or, le génocide juif avait entraîné la disparition du phénomène minoritaire au sein de la nation allemande. Ce chapitre examine l’attitude de l’Allemagne de l’Ouest face à la réapparition de minorités. Il montre comment, pendant les dix premières années d’immigration, la société ouest-allemande débuta un apprentissage de la présence étrangère. Cette apprentissage comprit deux étapes : la reconnaissance de son caractère permanent et son acceptation. Selon les milieux, l’acceptation de l’immigration revêtit différentes formes. La forme minimale reconnut aux étrangers un droit à des conditions de vie décentes, c’est-à-dire le plein bénéfice des droits octroyés par l’État social et une protection contre les discriminations. La forme maximale conçut l’étranger comme un concitoyen et souhaita lui voir accorder exactement les mêmes droits qu’aux Allemands, y compris la citoyenneté.

Toute société comprend des éléments qui n’acceptent pas la présence étrangère. Dans toutes les démocraties occidentales, il existe en effet des individus et des milieux qui prônent des mesures discriminatoires à l’encontre des groupes ethniques formés par l’immigration, voire leur ségrégation, leur expulsion ou même leur extermination. Nous n’attendrons donc pas de la société allemande une complète élimination des éléments raciste en son sein, pour conclure à l’ouverture de son rapport aux immigrés.

Les positions des instances ministérielles, des milieux syndicaux et patronaux à propos de l’introduction des premiers travailleurs immigrants sont un indicateur de la nature des contacts initiaux de la société allemande avec l’immigration étrangère. La politique migratoire menée par les autorités ministérielles et les mesures à caractère social définies dans le cadre de cette

© Nadia Boehlen 37 politique rendent compte de l’attitude des dirigeants face l’apparition d’une présence étrangère. La littérature décrit généralement cette politique comme une politique de rotation de la main d’œuvre qui importe de la force de travail pour une période limitée, en fonction de la conjoncture économique75. Pendant une période de récession, les travailleurs étrangers doivent pouvoir être contraints de retourner dans leur pays d’origine ; leur intégration n’est ni envisagée, ni souhaitée. Cette description rend compte de manière erronée de la politique à l’égard des étrangers, l’Ausländerpolitik, qui fut réellement pratiquée. Elle n’intègre pas l’action et l’attitude d’une série d’acteurs régionaux et non gouvernementaux. Or, le comportement de ces acteurs fut crucial pour l’acceptation de l’immigration à l’échelle de la société. Le rapport particulier qui se mit en place entre dirigeants et Allemands ordinaires lorsque l’immigration apparut dans l’espace public, constitue un dernier aspect important de l’attitude de la société allemande face à l’apparition d’une population étrangère.

L’introduction des premiers travailleurs étrangers

Jusqu’au début des années 1950, l’économie allemande puisa dans la population d’expulsés et de réfugiés pour satisfaire ses besoins en force de travail. Mais, dès 1952, une demande de main d’œuvre se fit sentir dans certains secteurs, ceux de l’agriculture badoise et de l’industrie minière rhénane en particulier. La même année, l’Association des agriculteurs du Bade du Sud recruta quelques centaines de travailleurs saisonniers italiens en accord avec l’office régional du travail. Les autorités fédérales du travail (ministère et Office fédéraux du Travail) s’efforcèrent de limiter cette introduction de saisonniers italiens au niveau régional. En accord avec le ministère des Affaires étrangères et celui de l’Économie, et avec l’aide de l’Office fédéral du travail, la Direction allemande pour l’industrie du charbon (Deutsche Kohlenbergbau-Leitung, DKBL) chercha à

75

Voir par exemple : BADE J. K., Vom Auswanderungsland zum Einwanderungsland ?

Deutschland 1880-1980, Berlin, Colloquium Verlag, 1983 ; PAGENSTECHER C., Ausländerpolitik und Immigrantenidentität, Zur Geschichte der « Gastarbeit » in der Bundesrepublik, Berlin, Dieter Bertz Verlag, 1994 ; SCHNAPPER D., L’Europe des immigrés, op. cit. ; HAMMAR T., (Ed.), European immigration Policy. A comparative Study,

© Nadia Boehlen 38 embaucher des Autrichiens ainsi que des Allemands (des réfugiés d’origine allemande ou des Allemands s’étant rendu à l’étranger pendant la guerre) qui vivaient dans des États d’Europe occidentale. Les initiatives visant à introduire des travailleurs de langue allemande dans le secteur minier connurent un succès très limité. Quelques centaines d’Autrichiens et de Sud-tyroliens seulement furent embauchés sur une base saisonnière76.

Quand, en décembre 1953, l’Italie proposa au gouvernement fédéral d’entamer des négociations au sujet de la main d’œuvre, celui-ci savait que le besoin de bras supplémentaires pour l’économie allemande se chiffrerait en millions à la fin des années 195077. Il approuva donc le principe de discussions préparatoires qui débutèrent en mars 1954. L’Italie souhaitait conclure rapidement à un accord de main d’œuvre, mais l’Allemagne jugeait prématuré de s’engager d’une manière ou d’une autre. Pendant les mois qui suivirent, il ne se passa pas de rencontres italo-allemandes sans que la question des travailleurs migrants ne fût abordée par la partie italienne. Finalement, le 22 septembre 1954, lors d’une apparition devant la presse à Milan, Ludwig Erhard, le ministre allemand de l’Économie, déclara au ministre italien des Affaires étrangères, Mario Martinelli, que son gouvernement était prêt à considérer les propositions italiennes concernant un accord de main d’œuvre78.

La déclaration d’Erhard devant la presse italienne suscita un certain nombre de réactions. Plusieurs groupements d’intérêts manifestèrent leur refus d’une introduction de travailleurs étrangers. L’opposition fut particulièrement forte au sein du parti social-démocrate (Sozialdemokratische Partei Deutschland, SPD) et dans les milieux syndicaux. Le parti rejeta l’importation de main d’œuvre en invoquant la situation du marché du travail allemand, où des centaines de milliers de personnes se trouvaient encore sans emploi. Il craignait aussi que l’introduction d’une main d’œuvre bon marché ne tirât les salaires allemands vers le bas. Peu après la déclaration d’Erhard à Marinelli, la direction de l’Union des

76 Johannes-Dieter Steinert a étudié dans le détail les réponses adoptées par les secteurs qui

manquaient de main d'œuvre jusqu'au moment où les autorités fédérales décidèrent d'organiser le recrutement des travailleurs étrangers. STEINERT J.-D., Migration und

Politik, Westdeutschland – Europa – Übersee, 1945-1961, Osnabruck, Secolo Verlag, 1995,

pp. 209-239.

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En janvier 1953, le ministère du Travail avait estimé un besoin supplémentaire de main d'œuvre se chiffrant à 1,7 millions de personnes pour la fin des années 1950. Ibid., p. 217.

© Nadia Boehlen 39 syndicats allemands (Deutscher Gewerkschafstbund, DGB), indiqua que l’introduction de travailleurs italiens était inacceptable tant que le chômage frappait des Allemands79. Comme le souligna Ludwig Rosenberg, membre de la direction du DGB, les syndicats n’étaient pas hostiles aux Italiens et, par conséquent, ne rejetaient pas leur accueil en RFA. Ils souhaitaient cependant que l’on préparât soigneusement leur venue, afin que leur fût garanti un cadre de vie humain ainsi que des conditions de travail parfaitement identiques à celles de leurs collègues allemands. Ils voulaient aussi que la nécessité de l’importation d’une grande quantité de main d’œuvre fût soigneusement évaluée80. Tout comme les syndicats, le SPD ne s’opposait pas à l’importation de travailleurs italiens en raison d’une quelconque hostilité à leur encontre. C’est en tous cas ce que souligna Erwin Schoettle, membre du SPD, lorsque, en décembre 1955, il porta la question de l’importation de la main d’œuvre italienne devant le Parlement fédéral, critiquant la démarche du ministre de l’Économie, compte tenu de la situation sur le marché du travail allemand81. Les groupements d’intérêts des expulsés et des réfugiés protestèrent également contre une introduction de travailleurs étrangers et soulignèrent que des Allemands se trouvaient encore dans des camps, sans emploi82. Un dernier argument avancé par les opposants à l’introduction d’immigrants était le risque d’infiltration communiste qu’aurait créé leur venue83.

Jusqu’à la fin de l’année 1954, seuls quelques acteurs proches des milieux patronaux approuvaient la position du ministère de l’Économie. Dans un article publié le 22 décembre 1954, la Frankfurter Allgemeine Zeitung loua ainsi les efforts de prévision du gouvernement dans le domaine économique84. Les autorités fédérales du Travail ainsi que la plupart des organisations patronales estimaient, en revanche, que les besoins sectoriels de main d’œuvre pouvaient

79 « DGB Nachrichtsdienst, Bundespressestelle des DGB », 27.09.1954, Deutscher

Bundestag, Pressesammlung.

80 Der Mittag, « Ludwig Rosenberg, Vorstandsmitglied des DGB, Brauchen wir

ausländische Arbeiter ? », Deutscher Bundestag, Pressesammlung.

81 Deutscher Bundestag, 2. Wahlperiode, 59. Sitzung, 09.12.1954.

82 « Mitteilung an die Presse, Presse- und Informationsamt der Bundesregierung, Nr.

1472/54, Bundesministerium für Vertriebene, Füchtlinge und Kriegsgeschädigte », 30.12.1954, Deutscher Bundestag, Pressesammlung.

83 « SPD Pressedienst, Peter Ranau, Vorsicht, Herr Erhard », 18.12.1954, Deutscher

Bundestag, Pressesammlung.

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© Nadia Boehlen 40 encore être couverts par une meilleure répartition des personnes sans emploi. À la mi-décembre, le ministère du Travail se rallia cependant à la position d’Erhard et le Cabinet décida de continuer les négociations sur l’importation de main d’œuvre avec le gouvernement italien85. Peu après, le DGB exprima également son consentement à la poursuite de ces négociations, à la condition qu’aucun étranger ne fût introduit en RFA tant que des personnes y seraient sans emploi. Il demanda aussi des garanties pour que les étrangers fussent employés strictement aux mêmes conditions que les Allemands86. Au début de l’année 1955, le parti social- démocrate adopta la même position que le DGB et exigea des autorités fédérales qu’elles prissent des mesures pour résorber complètement le chômage avant d’importer de la main d’œuvre87.

À partir de ce moment, le ministère de l’Économie et celui du Travail s’efforcèrent de tempérer les critiques autour d’une convention sur les travailleurs migrants. Dans leurs déclarations publiques, les responsables de ces deux ministères indiquèrent que l’économie allemande serait confrontée à une importante pénurie de main d’œuvre dans un futur proche, raison pour laquelle il fallait envisager un accord avec l’Italie. L’accord, prirent-ils alors soin de préciser, ne fonctionnerait qu’en cas de réel besoin de force de travail étrangère88.

Les discussions avec l’Italie autour des travailleurs migrants reprirent en décembre 1954. Si, à ce moment, la partie allemande se montra favorable à la signature d’une convention, elle ne concéda aucune promesse sur un quelconque engagement de travailleurs italiens89. Au printemps 1955, la pénurie de main

Bundestag, Pressesammlung.

85 STEINERT J.-D., Migration und Politik, Westdeutschland – Europa – Übersee, 1945-

1961, op. cit., pp. 225-227.

86 DGB, Abteilung Sozialpolitik an der Bundestanstalt für Arbeit, Herr Dr. Scheuble,

24.03.1955, Deutscher Bundestag, Pressesammlung ; « DGB Informationsdienst, Bundespressestelle des Deutschen Gewerkschaftbundes », 04.04.1955, FESt., DGB- Bundesvorstand, Bestell Nr. 24/3518 ; DGB-Bundesvorstand an Bundesministerium für Arbeit und Sozialordnung, 01.07.1955, BA, B149 6228 ; « DGB Informationsdienst, Bundespressestelle des Deutschen Gewerkschaftbundes », 05.07.1955, Deutscher Bundestag, Pressesammlung ; « DGB Informationsdienst, Bundespressestelle des Deutschen Gewerkschaftsbundes », 12.12.1955, Deutscher Bundestag, Pressesammlung.

87 « Grosse Anfrage der Fraktion der SPD betr. Beschäftigung ausländischer Arbeitskräfte »

2. Wahlperiode, Drucksache 1138, 19.01.1955 ; Arbeitsminister Storch, 2. Wahlperiode, 66. Sitzung, 17.02.1955.

88 Voir notamment la réponse du ministre du Travail Storch au Parlement fédéral, citée dans

la note précédente.

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STEINERT J.-D., Migration und Politik, Westdeutschland – Europa – Übersee, 1945-

© Nadia Boehlen 41 d’œuvre provoqua les premiers blocages dans l’économie allemande. Les autorités fédérales se résolurent alors à conclure un accord avec l’Italie.

Le ministère du Travail voulut séparer les négociations sur les travailleurs migrants de celles de type économique. Il entendait ainsi sortir de l’orbite du ministère de l’Économie et affirmer sa responsabilité dans le domaine de la politique migratoire. Lorsque les discussions italo-allemandes débutèrent, le 11 juillet 1955, le processus décisionnel pour les questions liées aux travailleurs étrangers était centralisé au ministère du Travail90. Les autres ministères impliqués dans la politique migratoire (Intérieur, Économie, Affaires étrangères, Finances, Agriculture, Culture et Construction) étaient consultés soit par correspondance écrite soit, à partir du début des années 1960, dans le cadre de cercles de travail. Une fois une décision arrêtée dans le cadre de l’une de ces deux formes de concertation interministérielle, les ministères poussaient les échelons régionaux à agir conformément à cette décision. Les ministères régionaux, les grandes organisations patronales, syndicales et caritatives intervinrent auprès du gouvernement fédéral et furent à même d’influer la politique migratoire en fonction de leurs intérêts et de leurs conceptions.

Du côté allemand, la convention de main d’œuvre italo-allemande fut préparée au sein de séances interministérielles qui réunirent, outre des membres du ministère du Travail, ceux des ministères de l’Économie, de l’Agriculture et des Affaires étrangères.

En mars 1955, négociateurs italiens et allemands parvinrent à la définition d’un protocole commun qui définissait les modalités d’introduction des ressortissants italiens en Allemagne. Ils tinrent compte des revendications des partenaires sociaux et fixèrent l’égalité des conditions de travail entre Allemands et Italiens, c’est-à-dire à travail égal, l’octroi d’un salaire, d’une couverture sociale et d’avantages sociaux identiques91. Ils s’accordèrent sur la définition de contrats de travail pour les immigrants d’une durée maximum d’une année,

90 Ibid. 91

La clause de l'égalité de traitement ne fut pas rédigée directement dans l'accord de recrutement italo-allemand, mais dans une de ses annexes, celle portant sur les contrats de travail. Voir « Bekanntmachung der Vereinbarung zwischen der Regierung der Bundesrepublik Deutschland und der Regierung der Italienischen Republik über die Anwerbung und Vermittlung von italienischen Arbeitskräften nach der Bundesrepublik Deutschland,vom 11.01.1956, am 20.12.1955 in Rom unterstrichen », BA, B149 6228.

© Nadia Boehlen 42 renouvelables selon la législation du travail en vigueur en République fédérale. Mais ils n’introduisirent de limitation ni pour la durée de leur emploi, ni pour celle de leur séjour. Il envisagèrent aussi la possibilité d’un regroupement familial92. Conformément à la volonté de la partie allemande, une clause du protocole stipulait l’obligation pour l’État italien de reprendre ses ressortissants « dont la présence n’était plus désirée sur le territoire de la République fédérale »93. D’autres clauses prévoyaient des mesures pour faciliter l’adaptation des travailleurs étrangers à la société allemande, telles qu’une information sur les conditions de vie ou l’assistance sociale des immigrants par le personnel des organisations caritatives94. Deux points restèrent en suspens jusqu’au moment de la signature de la convention : le paiement d’une assurance chômage aux travailleurs saisonniers qui perdaient leur emploi et le transfert des allocations familiales pour les enfants demeurés en Italie. Les négociateurs décidèrent finalement qu’en raison de la nature par définition temporaire de leur travail, les saisonniers ne bénéficieraient pas d’une assurance chômage. En revanche, ils penchèrent en faveur du versement des allocations familiales aux travailleurs italiens dont la famille résidait en Italie95.

Avant que l’accord italo-allemand ne fût signé, certains syndicats manifestèrent encore leur opposition à l’introduction de travailleurs italiens. Début novembre, le DGB demanda un droit de regard sur le nombre de travailleurs étrangers introduits en RFA ainsi que sur leur répartition dans les différents secteurs de l’économie. Le mois suivant, le Syndicat pour le Jardinage, l’Agriculture et l’Industrie forestière (Gewerkschaft Gartenbau, Land- und

Forstwirtschaft) se prononça publiquement contre une introduction en masse de

saisonniers étrangers. De leur côté, organisations patronales et Office fédéral du travail pressèrent le gouvernement de signer l’accord avec l’Italie. Cela fut chose faite le 20 décembre 1955. L’accord suivait scrupuleusement les clauses de la

92 « Deutsch-italienisches Protokoll », 09.03.1955, BA, B149 6228. 93

Une rupture de contrat ou des périodes prolongées sans emploi étaient des motifs qui pouvaient justifier un renvoi des ressortissants étrangers. « Deutsch-italienisches Protokoll », 09.03.1955, BA, B149 6228.

94

Séances interministérielles préparatoires, BA, B149 6228.

95

« Protokoll über die deutsch-italienischen Besprechungen in Rom, 15.-19.12.1955 », BA, B149 6228.

© Nadia Boehlen 43 Convention Internationale 97 sur les travailleurs migrants dans sa version révisée de 194996.

Pratiquement, l’introduction de travailleurs étrangers dans le cadre d’une convention de main d’œuvre se faisait comme suit. L’Office fédéral du travail communiquait le nombre approximatif de bras dont l’économie allemande avait besoin dans les mois à venir à une commission de recrutement installée dans le pays d’émigration97. Les autorités du travail de ce pays opéraient alors, sur la base de critères professionnels et de santé, une présélection des travailleurs désireux d’occuper un emploi en République fédérale98. La commission de recrutement allemande vérifiait ensuite que les candidats présélectionnés eussent le profil requis par leur futur employeur. Avant de se rendre en RFA, les travailleurs étrangers recevaient un contrat de travail bilingue signé par l’employeur et, ultérieurement, un permis de travail valable pour une année. La commission de recrutement organisait le transport des immigrants jusqu’aux offices régionaux allemands de l’emploi, d’où ils étaient dirigés vers leur place de travail. Arrivés là, ils avaient encore à s’annoncer à la police des étrangers, afin de recevoir un titre de séjour correspondant à leur permis de travail. La procédure d’introduction des saisonniers était plus simple ; ils étaient exemptés de la possession d’un permis de travail et d’un visa, pourvu qu’ils eussent obtenu une carte de légitimation délivrée par la commission de recrutement allemande99. Bientôt, les travailleurs italiens recrutés sur une base annuelle empruntèrent d’autres chemins que ceux définis dans l’accord de main d’œuvre. Les commissions allemandes commencèrent en effet à leur délivrer des cartes de légitimation identiques à celles

96 STEINERT J.-D., Migration und Politik, Westdeutschland – Europa – Übersee, 1945-

1961, op. cit., p. 236.

97 La commission de recrutement de l’Office fédéral du travail fut installée à Milan puis,

déplacée à Vérone en avril 1956. Une succursale de cette commission fut ouverte à Naples en 1960.

98 Les autorités du travail italiennes contrôlaient la santé des candidats à l'émigration sur la

base d'un formulaire médical fourni par les autorités allemandes. Cf. « Bekanntmachung der Vereinbarung zwischen der Regierung der Bundesrepublik Deutschland und der Regierung der Italienischen Republik über die Anwerbung und Vermittlung von italienischen Arbeitskräften nach der Bundesrepublik Deutschland, vom 11.01.1956, am 20.12.1955 in Rom unterstrichen » ; « Anlage : Auskünfte des Bewerbers anlässlich der Voruntersuchung zur gesundheitlichen Vorgeschichte », BA, B149 6228.

99 À partir de 1957, s’ils présentaient un document (carte de travail échue, note de leur

employeur, titre de transport de l’année précédente) prouvant qu’ils étaient employés comme saisonniers en RFA, les travailleurs italiens n’avaient plus à présenter de visa ou de carte de légitimation pour franchir la douane. Abschrift an die Passcontrolldirektion, 16.04.1957, BA, B106 47433.

© Nadia Boehlen 44 que recevaient les travailleurs saisonniers, ce qui leur évitait l’attente d’un permis de travail et d’un visa100. Les candidats à l’émigration purent aussi se rendre en Allemagne simplement en obtenant un justificatif des autorités consulaires allemandes101.

À partir de 1959, la conjoncture économique s’accéléra et le marché du travail allemand ne parvint plus à couvrir ses besoins en recourant aux seuls immigrants italiens. Le gouvernement allemand décida alors de conclure de nouvelles conventions de main d’œuvre avec la Grèce et l’Espagne. Avant qu’elles ne fussent négociées, un certain nombre de ressortissants espagnols et grecs avaient déjà contracté un emploi en RFA, après s’y être introduits comme touristes ou avoir obtenu une carte de justification auprès des autorités consulaires allemandes. Les accords conclus avec la Grèce et l’Espagne le furent dans les mêmes conditions qu’avec l’Italie. L’initiative vint des pays d’émigration et le gouvernement allemand accéléra les pourparlers en vue de la signature des conventions lorsque la demande sur le marché du travail se fit plus pressante. La volonté de parvenir à un accord avec la Grèce fut renforcée par des motifs d’ordre politique. Dans le contexte de la guerre froide, le gouvernement y vit un moyen de renforcer l’attachement de cet État au bloc de l’Ouest102. Le contenu des conventions signées le 29 mars 1960 avec l’Espagne et, le 30 mars de la même année, avec la Grèce, était tout à fait identique à celui de la convention italo-