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LES POLITIQUES MIGRATOIRES FRANÇAISES, 1945-

Certains chercheurs estiment que la France mena une politique migratoire cohérente dans la période de l’après-guerre. Ils sont d’avis qu’après 1945, une véritable politique d’immigration se mit en place, fondée sur des principes républicains et fruit d’une construction progressive269. En réalité, il s’agit plus d’un ensemble de pratiques, produit de l’expérience de la France dans le domaine de l’immigration et du lien administratif existant avec les colonies. Ces pratiques furent régies par des logiques très dissemblables suivant les groupes d’immigrés. Les politiques adoptées pour accueillir les rapatriés laissent apparaître une plus grande cohérence, mais une certaine indifférence quant à un traitement similaire des différentes catégories de ces réfugiés.

Les politiques migratoires : 1945-1962

Les considérations des hauts fonctionnaires sur la nature de la politique d’immigration à mettre en place en 1945 et sur les instruments de cette politique, c’est-à-dire son cadre juridique ainsi que les agences étatiques assurant son fonctionnement, ont été suffisamment étudiées pour qu’il ne soit besoin de les examiner ici dans le détail270. Nous nous bornerons donc à rappeler certains

269 Notamment Patrick Weil et Vincent Viet. Voir VIET V., La France immigrée,

Construction d’une politique, 1914-1997, op. cit. ; WEIL P., La France et ses étrangers, L’aventure d’une politique de l’immigration de 1938 à nos jours, Paris, Calmann-Lévy,

1991, en particulier pp. 41-111. Patrick Weil a ainsi estimé qu’entre 1938 et 1974 la France accoucha d’un modèle républicain pour le traitement de l’immigration. Un argument de poids en faveur de cette thèse est, selon l'auteur de La France et ses étrangers, ouvrage de référence sur la politique migratoire française, l'adoption d'un cadre juridique égalitaire prévoyant les mêmes conditions d’introduction et le même statut pour tous les immigrants quelle que soit leur origine. Si Weil a noté les écarts entre les principes sur lesquels était fondé le cadre juridique de la politique d’immigration et l’action de certains fonctionnaires, il a cependant insisté sur la cohérence que donnait ce cadre à la politique menée envers les étrangers.

270

Voir en particulier WEIL P., La France et ses étrangers, L’aventure d’une politique de

l’immigration de 1938 à nos jours, op. cit., pp. 19-128 ; VIET V., La France immigrée, Construction d’une politique, 1914-1997, op. cit., pp. 97-161 ; TAPINOS G., L’immigration

© Nadia Boehlen 98 éléments, dans la mesure où ils servent notre propos, et à mentionner certains autres négligés jusqu’à présent par la recherche, la diversité des statuts auxquels furent soumis les immigrants notamment.

Les hauts fonctionnaires chargés de définir la politique d’immigration à la Libération souhaitèrent lui donner une double fonction. Cette politique devait non seulement, comme ce fut le cas dans d’autres pays d’Europe du Nord, répondre à la forte demande de main d’œuvre que créa la reconstruction, mais aussi renflouer la structure démographique française dont le déficit traditionnel s’était accru suite aux deux guerres mondiales. Le phénomène migratoire fut donc d’emblée considéré comme un phénomène permanent.

L’ordonnance du 2 novembre 1945 sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers prit, malgré des critères de sélection ethnique prônés par les experts de l’Institut National d’Études Démographiques et du Haut Comité Consultatif de la Population271, un caractère libéral272. Elle prévit un renforcement automatique du statut de l’étranger à mesure que se prolongeait son séjour, indépendamment de sa nationalité. Elle fixa l’octroi d’une carte de résident valide pour une durée de dix ans après trois ans de séjour et autorisa le regroupement familial273. L’ordonnance de 1945 sur le code de la nationalité française en compléta le libéralisme. En vertu de cette dernière, l’obtention de la nationalité française était automatique pour les enfants nés en France de parents étrangers. Après cinq ans de résidence dans l’Hexagone, l’étranger né hors de France pouvait acquérir la nationalité française en se soumettant à une procédure de naturalisation qui, s’il remplissait les conditions minimums fixées par la loi, lui était accordée de droit274.

Seule une petite partie de la population qui vint s’installer en France après 1945 bénéficia de ce dispositif législatif. Les immigrations en provenance des

étrangère en France 1946-1973, Paris, PUF, 1975.

271 WEIL P., La France et ses étrangers, L’aventure d’une politique de l’immigration de 1938

à nos jours, op. cit., pp. 77-85.

272

Pour une description détaillée du statut des étrangers que créa cette ordonnance voir : « Les problèmes du travail et de la main d'œuvre en France depuis la Libération », in La

Documentation française, Notes documentaires et études n°650, série française CXXXVIII,

19.06.1947, pp. 6-12.

273

« Ordonnance n°45-2658 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France », 02.11.1945, in CHARPENTIER A., Codes et Lois, Répertoire de Droit public et

droit privé, 1 Textes législatifs et réglementations, 1566-1945, Paris, Editions du Juris-

classeur, 1996.

274

« Ordonnance n°45-2441 du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité française », in La Nationalité française, Textes et documents, Paris, La Documentation française, 1996.

© Nadia Boehlen 99 différentes colonies françaises furent en effet soumises à un statut administratif distinct. Par ailleurs, la plupart des pays d’Europe, ceux du Nord-Ouest pour des raisons économiques et ceux du centre et de l’Est en raison de la guerre froide, ne furent pas en mesure d’exporter massivement de la main d’œuvre. Le cadre juridique défini à la Libération concerna donc en fin de compte principalement les populations en provenance de l’Europe méditerranéenne, d’Italie, d’Espagne et du Portugal.

La répartition des responsabilités entre les différents ministères et administrations reflétait le double objectif de la politique d’immigration, économique et démographique. Au ministère de la Population (qui devint le ministère de la Santé Publique et de la Population à partir de janvier 1946) incomba la définition de la politique d’immigration ainsi que la coordination de l’action des autres ministères impliqués dans cette politique : en premier lieu le ministère du Travail et de la Sécurité Sociale, mais aussi ceux de l’Économie Nationale, de l’Agriculture et du Ravitaillement. En réalité, la politique d’immigration devint essentiellement une politique de la main d’œuvre, emmenée par le ministère du Travail qui en contrôlait d’ailleurs le principal instrument, l’Office National d’Immigration (ONI). Cet office, placé sous la double tutelle des ministères de la Population et du Travail et de la Sécurité Sociale, fut chargé des opérations du recrutement et d’introduction des immigrés, jouant le rôle assumé jusqu’alors par les organisations patronales275.

Plusieurs éléments laissaient présager une influence importante des syndicats dans la définition de la politique migratoire française, notamment des deux principaux syndicats ouvriers, la Confédération Générale du Travail (CGT) et la Conférence Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC). De fait, des ministres issus de ces syndicats participèrent au premier gouvernement d’après- guerre, parmi lesquels Ambroise Croizat, secrétaire général de la Fédération CGT des travailleurs de la métallurgie, pour un temps ministre du Travail. Des représentants syndicaux étaient présents au Conseil d’administration de l’ONI, aux côtés de membres du patronat. Enfin, les syndicats participèrent à la définition

275

Pour la répartition des compétences entre départements ministérielles, voir TAPINOS G.,

L’immigration étrangère en France 1946-1973, op. cit., pp. 21-25 et 31-33 ; VIET V., La France immigrée, Construction d’une politique, 1914-1997, op. cit., pp. 118-132.

© Nadia Boehlen 100 des premiers accords de main d’œuvre avec l’Italie276. Cependant, en 1947, les ministres communistes furent renvoyés du gouvernement. Dès lors, la CGT se trouva en complet désaccord avec les gouvernements successifs de la IVe

République ainsi qu’avec la politique économique et sociale découlant de la participation de la France au Plan Marshall. La CGT fut en outre renvoyée du Conseil d’administration de l’ONI. Elle perdit donc toute influence sur le contrôle de l’immigration. L’influence des syndicats sur les instances gouvernementales devint d’autant plus faible, que les principaux instruments de la politique d’immigration qu’ils avaient contribué à élaborer, à savoir l’ONI, l’ordonnance de 1945 sur le statut des étrangers et les accords bilatéraux de main d’œuvre, ne jouèrent qu’un rôle dérisoire dans la régulation de l’immigration277.

L’objectif démographique de la politique d’immigration qui rima avec une volonté de limiter l’installation en France à des populations en provenance de certaines régions d’Europe (Belgique, Luxembourg, Danemark, Scandinavie, Finlande, Irlande, Angleterre, Allemagne et, dans une moindre mesures, Nord de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal) fut rapidement mis à mal278. De fait, les sources d’immigration initialement prévues furent peu abondantes, à l’exception de celles de l’Europe méditerranéenne. De plus, les obligations en matière de libre circulation des personnes découlant des régimes coloniaux favorisèrent une immigration nord-africaine, en particulier algérienne, toujours plus abondante.

Pour ménager l’opinion publique, les autorités ministérielles avaient interdit, jusqu’à l’automne 1947, le recrutement d’expulsés allemands chassés d’Europe de l’Est279. Après cette date, et ce malgré un accord de recrutement conclu en 1950 avec la RFA, l’introduction de ressortissants allemands demeura faible en raison du rapide redressement économique de l’Allemagne occidentale. Pendant les années 1950, le gouvernement chercha encore à recruter des réfugiés en provenance d’Europe de l’Est, hongrois et yougoslaves notamment,

276 GANI L., Syndicats et travailleurs immigrés, Paris, Editions sociales, 1972, Paris,

Éditions sociales, pp. 32-36.

277

Ibid., pp. 9-36.

278 WEIL P., La France et ses étrangers, L’aventure d’une politique de l’immigration de 1938

à nos jours, op. cit., p. 81.

279

« Accord sur le recrutement de main d'œuvre libre allemande en zone américaine d'Allemagne, ministère des Affaires étrangères à son Excellence Monsieur Jefferson Gaffery, Ambassadeur des États-Unis à Paris », 25.10.1947, CARAN, F/7/16040.

© Nadia Boehlen 101 momentanément dans des camps autrichiens ou italiens. L’entreprise ne donna pas de résultats significatifs280.

La population italienne constitua la principale source d’immigration disponible, conforme aux vœux des démographes. Les accords de main d’œuvre conclus avec l’Italie lui furent donc particulièrement favorables. Deux conventions furent signés avec ce pays en 1946 et 1947, qui portèrent sur un nombre précis de travailleurs. La première concernait 20’000 mineurs, la seconde 200’000 travailleurs des secteurs agricole et industriel. Ces conventions stipulaient que les travailleurs italiens bénéficiaient de conditions de travail, de salaires et d’une protection sociale identiques à celles des ouvriers français. Elles fixèrent le régime de transfert des économies des travailleurs en Italie ainsi que les conditions de bénéfice des allocations familiales. D’après la convention de 1946, les travailleurs italiens pouvaient prétendre aux prestations familiales si leurs enfants se trouvaient en France. Une clause précisait que le montant de ces prestations était bloqué sur un compte ouvert auprès des caisses d’allocations familiales, jusqu’au moment où les familles des travailleurs venaient effectivement résider en France. L’accord de 1947 autorisa le transfert de la totalité des allocations familiales pour les enfants demeurés au pays281.

Au printemps 1951, la France conclut avec l’Italie un accord d’immigration qui visait à encourager l’implantation des travailleurs italiens et de leur famille en France. L’accord introduisit plusieurs clauses facilitant la procédure du regroupement familial. Il fit également bénéficier les Italiens, comme c’était déjà le cas pour les Suisses et les Belges282, de facilités lors du renouvellement d’autorisations de travail et du changements de lieu de séjour283.

Pendant les dix années d’après-guerre, l’immigration demeura largement en dessous des plans des démographes qui avaient tablé sur l’introduction d’environ 3 millions d’immigrants pour cette période. En définitive, entre 1946 et

280 « Les problèmes du travail et de la main d’œuvre en France depuis la Libération », in

Notes et études documentaires, n°650 (série française, -CXXXVIII), 19.06.1947, La

documentation française

281 « Note relative à l'immigration italienne, ministère du Travail et de la Sécurité sociale »,

Cabinet, 30.10.1946, CAC 770623 art. 71 ; « Accord franco-italien relatif à l'immigration italienne en France », 21.03.1947, CAC 770623 art. 71. Les ressortissants d'autres pays, Belges, Hollandais, Suisses et Allemands notamment, ne bénéficièrent pas d'allocations familiales pour leurs enfants restés au pays.

© Nadia Boehlen 102 1954, ce ne furent que 334’000 travailleurs permanents accompagnés de 30’000 familles qui vinrent s’installer en France284. L’absence, jusqu’au début des années 1960, d’autres sources importantes d’immigration que l’Italie constitua le facteur essentiel de l’échec, d’un point de vue quantitatif, de la politique d’immigration. Les prévisions qualitatives des experts furent également rapidement mises à mal. Pendant la période 1955-1961, s’amorcèrent en effet d’importants changements dans les flux d’immigrants. À partir de ce moment, la migration algérienne, qui ne diminua que faiblement pendant la guerre d’Algérie, et celles en provenance d’Espagne et du Portugal, se substituèrent progressivement à la migration italienne. Ainsi, alors qu’en 1956 les Italiens représentaient 82% des entrées de travailleurs, cette proportion n’était plus que de 30% en 1961. À partir de 1960, le nombre d’immigrés espagnols dépassa celui des Italiens ; leur effectif passa de 289'000, en 1954, à 442’000 en 1962 et 607’000 en 1968, ce qui représentait respectivement 16, 20 et 23 % de la population étrangère. Quant aux Portugais, qui étaient 20’000 en 1954, ils formaient en 1968 une communauté de près de 300’000 personnes, soit 11% de la population étrangère. Enfin, au nombre de 212’000 en 1954, les Algériens étaient 350’000 en 1952 et 474’000 en 1968, c’est-à-dire pour les deux dernières dates 16% de la population étrangère285.

Un régime démographique caractérisé par une forte natalité, la difficulté pour l’économie algérienne d’absorber les excédents de population et le différentiel de richesse entre colonie et métropole furent autant d’éléments à l’origine du phénomène migratoire. Ce phénomène fut stimulé par la demande sur le marché de l’emploi métropolitain et favorisé par le statut de l’Algérie dans le système colonial français. En vertu de la loi de septembre 1947 modifiant le statut de l’Algérie, la colonie avait été divisée administrativement en trois départements français. Les Algériens ou, conformément au statut de cette colonie, les Français musulmans, bénéficiaient de la liberté de circulation avec la métropole. Ils bénéficiaient aussi, mais uniquement sur le territoire métropolitain, des mêmes

283

« Accord d'immigration entre la France et l'Italie, 21.03.1951 », CAC 770623 art. 71.

284 VIET V., La France immigrée, Construction d’une politique, 1914-1997, op. cit., pp.

155-156.

285

Pour le détail des flux d’immigrants pendant la période 1945-1961, voir SCHOR R.,

Histoire de l'immigration en France, de la fin du XIXe siècle à nos jours, op. cit., pp. 198- 205.

© Nadia Boehlen 103 droits civiques et civils que les Français ainsi que de la priorité d’embauche par rapport aux étrangers.

Les responsables ministériels souhaitèrent d’emblée limiter l’introduction des travailleurs algériens en métropole. Pour cette raison, ils proposèrent de hâter l’exécution des plans pour l’augmentation des moyens de production agricoles et industriels de l’Algérie, de manière à fournir à sa population les ressources productives indispensables à sa subsistance. Ils prévirent également d’orienter des Nord-Africains vers des territoires français d’Outre-Mer, en leur offrant des possibilités de travail et d’établissement286.

Les ressortissants des protectorats tunisiens et marocains furent soumis à un régime particulier en ce qui concerne les conditions de leur séjour en France. Les responsables ministériels créèrent en effet un titre de séjour spécial dénommé « carte d’identité marocaine ou tunisienne ». Les bénéficiaires de cette carte furent exemptés de l’obligation de se munir d’un permis de travail. À leur arrivée, Marocains et Tunisiens désireux d’occuper un emploi en France, généralement en possession de leur seul passeport, avaient simplement à se présenter aux autorités départementales du travail. Ces dernières examinaient s’il était opportun d’embaucher le candidat d’un des deux protectorats et en informaient ensuite le préfet du département qui décidait, en dernier ressort, de le munir ou non d’une carte d’identité valable pour une durée de 10 ans et automatiquement renouvelable287. Dès 1953, Marocains et Tunisiens furent dispensés de l’obligation de se présenter aux services départementaux du Travail pour être régularisés, les préfets pouvant prendre eux-même cette décision288.

Il est à noter que depuis le début du siècle jusqu’à la fin des années 1940, l’immigration nord-africaine en France concerna essentiellement des hommes seuls qui se rendaient en Métropole de manière temporaire avant de retrouver leur

286 « La Migration des Nord-Africains vers la France », Présidence du Conseil, Haut Comité

consultatif de la Population et de la Famille, 23.06.1948, CAC 860269 art. 7 ; Ministre du Travail et de la Sécurité Sociale à Monsieur le Président du Conseil des ministres, 06.09.1948, CAC 860269 art. 7 ; Lettre du ministère du Travail à Monsieur le ministre de l’Intérieur, 22.04.1948, CAC 860269 art. 7.

287

« Carte d'identité des Marocains et Tunisiens », ministère de l'Intérieur à Messieurs les Préfets de la Métropole, Paris, 03.08.1950, CAC 910201 art. 6 ; Le préfet des Bouches-du- Rhône à Monsieur le directeur départemental du Travail et de la Main-d'œuvre des Bouches- du-Rhône, 04.11.1950, CAC 910201 art. 6.

288

Ministère de l'Intérieur à Messieurs les préfets de la Métropole, 26.05.1953, CAC 960134 art. 8.

© Nadia Boehlen 104 famille en Algérie. L’immigration familiale ne débuta véritablement qu’au début des années 1950289.

Jusqu’au début des années 1960, les migrations en provenance d’Espagne et du Portugal se déroulèrent dans un vide juridique, les ressortissants des deux pays furent en effet, dans la plupart des cas, régularisés après leur entrée en France. En 1957 et en 1958, furent néanmoins signées une convention et un accord qui fixaient les modalités de bénéfice de la sécurité sociale pour les travailleurs portugais290. Lorsque les migrations ibériques prirent vraiment de l’ampleur et, en raison de la volonté des dirigeants français de s’assurer des sources d’immigration européennes, des accords furent conclus qui accordèrent aux travailleurs espagnols et portugais des statuts similaires au statut des travailleurs italiens. En 1960, la France signa une convention d’immigration et de peuplement avec l’Espagne. En 1963 puis, en 1968, elle conclut respectivement un accord de main d’œuvre et d’immigration avec le Portugal291.

En raison du laxisme des ministères du Travail et de l’Intérieur qui laissèrent l’immigration se développer en dehors de la procédure gérée par l’ONI, le rôle de cet office dans la politique migratoire devint de plus en plus marginal. Ainsi, une majorité des immigrants qui auraient été des candidats potentiels à la procédure de recrutement contrôlée par l’ONI, firent de plus en plus régulariser leur situation après leur arrivée en France, sans passer par cette organisme. Entre 1945 et 1973, le taux moyen de régularisation des travailleurs migrants étrangers après leur arrivée fut ainsi de 60%. Ce taux avait suivi une pente ascendante depuis 1948 ; il atteignit son point culminant en 1968 (80%)292.

Les responsables ministériels ne définirent pas de politique d’intégration à proprement parler pour les immigrés. Le ministère du Travail et de la Sécurité Sociale se contenta de subventionner des associations caritatives pour leur action

289 VIET V., La France immigrée, Construction d’une politique, 1914-1997, op. cit., pp. 173

et l’article de Charles-Robert Ageron cité par Vincent Viet : « L’immigration maghrébine en France. Un survol historique », Vingtième Siècle, n°7 juillet-septembre 1985.

290 « Convention franco-portugaises » 16.11.1957, CAC 880312 art. 16 ; « Accord sur les

prestations familialtes », 30.10.1958, CAC 880312 art. 16.

291

VIET V., La France immigrée, Construction d’une politique, 1914-1997, op. cit., pp. 268-273.

© Nadia Boehlen 105 sociale auprès des étrangers ; le Service Social d’Aide aux Émigrants (SSAE) fut l’une des plus importante d’entre elles.

Le SSAE, association privée reconnue d’utilité publique, fut chargé en 1939 par le ministère du Travail d’organiser et d’assurer sur l’ensemble du territoire l’assistance sociale auprès de la main d’œuvre étrangère, fonction principale qui lui resta dès lors dévolue. En 1946, le ministère de la Population chargea le SSAE d’accueillir et de faciliter l’établissement en France des familles immigrées. En 1950, le ministère des Affaires étrangères lui confia également le soin d’assurer l’assistance sociale aux réfugiés. L’essentiel de l’activité du SSAE à l’égard des travailleurs immigrés fut réalisé par son service social de la main d’œuvre étrangère, dont le personnel était actif aux sein de comités départementaux présidés par les préfets. Le SSAE aidait les nouveaux venus pour les diverses formalités administratives : permis de séjour, de travail, affiliation auprès de la sécurité sociale et des caisses d’allocations familiales. Il orientait