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1.1. L’analyse protéomique, objectifs et mise en œuvre

1.1.2. Les outils et l’apport de la spectrométrie de masse

Traditionnellement, l’analyse protéomique différentielle était réalisée à partir de gels de polyacrylamide en deux dimensions (gels 2D) 10 avec une révélation colorimétrique ou par l’utilisation d’anticorps dirigés contre les protéines d’intérêt. Cette technique est toujours utilisée, en particulier pour la séparation d’isoformes protéiques 11,12. Cependant, le dosage à l’aide d’un anticorps dirigé contre la protéine d’intérêt, ou ELISA pour « Enzyme-Linked ImmunoSorbent Assay » 13,14, reste la méthode de référence pour la quantification absolue de protéines de par sa spécificité et sa sensibilité (limite de quantification inférieure au ng/mL). Il existe trois méthodes de dosage par ELISA, (i) ELISA indirect, la protéine est ciblée par un premier anticorps, lui-même ciblé par un second anticorps (ii) ELISA en sandwich, un premier anticorps cible de la protéine est fixé sur une plaque. Lorsque la protéine d’intérêt s’est liée, un second anticorps spécifique de cette protéine est ajouté, (iii) ELISA par compétition, les anticorps sont fixés sur une plaque et il y a compétition pour la liaison entre une protéine marquée et la protéine cible.

En revanche, ces méthodes présentent quelques inconvénients. La plus grande difficulté intervient lorsque l’anticorps dirigé contre la protéine d’intérêt n’est pas disponible. Dans ce cas, le développement d’un test est très coûteux et peut durer au minimum un an pour le dosage d’une seule protéine. De plus, des interactions non spécifiques entre une protéine et l’anticorps peuvent se produire induisant des différences de dosage pour un même échantillon. Dans le cas de la méthode ELISA en sandwich, une forte concentration en analyte peut conduire à la saturation des anticorps fixés sur le support. Le signal va diminuer alors que la concentration en analyte augmente ; c’est l’effet hameçon ou « hook effect ». Une revue de 2015 décrit les différents problèmes qui peuvent survenir lors des dosages ELISA et leurs principales causes 15 (Figure 2).

Une autre limitation du test ELISA est due à la difficulté de réaliser des dosages multiplexés. En effet, les anticorps sont spécifiques d’une seule protéine. Il est donc nécessaire de redévelopper un anticorps pour chaque nouvelle protéine d’intérêt. Ces limitations ont conduit au développement de méthodes analytiques performantes comme la spectrométrie de masse, technique de choix pour l’identification et la quantification de protéines.

A partir de la fin des années 1980, la spectrométrie de masse a permis de nouvelles avancées en protéomique, en particulier grâce aux travaux de John Bennett Fenn et Koichi Tanaka sur l’ionisation douce de macromolécules, qui leur a valu le prix Nobel de chimie en 2002.

Les travaux de Koichi Tanaka ont conduit au développement de la source d’ionisation par désorption laser assistée par matrice ou source MALDI. La source MALDI couplée généralement à un analyseur de type temps de vol (TOF pour Time Of Flight), est très utilisée en imagerie ou pour réaliser rapidement des profils protéiques comme par exemple celui de cellules cancéreuses. Ainsi, des travaux ont permis de révéler 15 protéines comme potentiels biomarqueurs 16 du cancer du poumon. De plus, la technologie MALDI-TOF est désormais utilisée en routine dans le milieu hospitalier, en diagnostic clinique pour l’identification de bactéries 17.

Les travaux de John Bennett Fenn ont quant à eux permis l’avènement de l’électronébullisation ou « Electrospray Ionization » (ESI). La technique ESI est une méthode d’ionisation douce, permettant le passage en phase gazeuse des analytes intacts présents en solution par l’application d’un champ électrique. La désolvatation des analytes passe tout d’abord par la formation de gouttelettes multichargées. La taille des gouttes diminue ensuite par évaporation du solvant ce qui augmente la concentration des charges dans la goutte. Lorsque les répulsions coulombiennes entre les charges dépassent la tension de surface du solvant (limite de Rayleigh), la goutte se décompose et des ions multichargés sont obtenus. La génération des espèces chargées en phase gazeuse s’effectue par la formation d’adduits (par exemple entre l’analyte et un cation Na+ du solvant) ou par protonation [M+H]+ /

Figure 3 : Représentation du processus d'ionisation des composés au sein de la source électrospray

Les deux avantages principaux de l’ESI sont, premièrement, sa capacité à former des espèces multichargées et secondement, sa capacité à être facilement couplée avec un flux continu (par exemple, éluat d’une colonne chromatographique).

Ce travail de thèse décrit les différentes stratégies utilisées pour le dosage de protéines à partir d’un couplage chromatographie liquide – electrospray – spectrométrie de masse (LC-ESI-MS). Deux stratégies coexistent dans l’analyse protéomique par spectrométrie de masse. Elles possèdent chacune des avantages et inconvénients selon le but recherché, à savoir (i) l’identification ou la quantification de protéines (ii) la recherche d’interaction entre protéines ou (iii) l’analyse de modifications post-traductionnelles. Leur mise en place est fondamentalement différente. Ainsi, par une approche « Top-down », les protéines sont extraites puis séparées et enfin identifiées, intactes, dans le but d’obtenir une vue globale de leurs éventuelles modifications (Figure 4), alors que l’approche « Bottom-up »

identifie et quantifie des fragments de protéines, nommés peptides qui sont rapporteurs de la protéine d’intérêt.

Figure 4 : Illustration des différences entre les approches "Top-down" ou "Bottom-up", d'après Gregorich et al, 2014 18

Pour la caractérisation et l’identification de processus cellulaires, certains groupes comme celui de N.L. Kelleher, se sont spécialisés dans l’approche « Top-down ». Dans une étude de 2013 sur le vieillissement des cellules humaines, Kelleher et ses collaborateurs ont identifié plus de 1000 protéines ; certaines des protéines étudiées présentaient des modifications

post traductionnelles telles que des méthylations ou des phosphorylations 19. Ce même groupe a montré la complémentarité des approches « Top-down » et « Bottom-up » dans la caractérisation de cellules de cancer du sein 20. La stratégie « Bottom-up » leur a permis d’identifier 7,4 fois plus de protéines que la stratégie « Top-down », cependant cette dernière leur a permis d’accéder à plus d’informations sur les modifications post-traductionnelles comme par exemple sur les différents degrés de phosphorylation d’une même protéine. Cependant, un inconvénient majeur de l’approche « Top-down » est d’être semi-quantitative. De plus, la sensibilité de ces approches est affectée par la possibilité de former de nombreux états de charge sur les protéines et ainsi « diluer » le signal observé.

L’approche « Bottom-up », illustrée sur la Figure 4, a pour principale caractéristique d’utiliser une étape de protéolyse par digestion enzymatique. Cette étape fractionne les protéines en chaînes peptidiques plus courtes. Les peptides ainsi générés, sont définis comme protéotypiques lorsqu’ils sont spécifiques de la protéine à doser et détéctés expérimentalement en spectrométrie de masse 1. Ils sont alors sélectionnés comme rapporteurs de la protéine à doser.

Le principe général de la préparation des protéines pour la quantification par l’approche « Bottom-up » est décrit sur la Figure 5 ci-dessous. Les protéines sont tout d’abord dénaturées et réduites en milieu salin afin de détruire leurs structures secondaire et tertiaire. Cela consiste à les déplier et à rompre leurs ponts disulfures. Une enzyme, généralement la trypsine, est ensuite utilisée pour couper la liaison peptidique en C-terminal de la lysine ou

de l’arginine. Généralement le mélange de peptides ainsi généré, est purifié par extraction en phase solide (SPE), concentré, puis séparé par chromatographie liquide avant d’être analysé par spectrométrie de masse.

Figure 5 : Principe général de la préparation des échantillons par l'approche "Bottom-up"

L’étape de digestion enzymatique complexifie l’échantillon. C’est pourquoi, une séparation des peptides en amont de l’analyse est souvent effectuée par chromatographie liquide. Les

ainsi de réduire l’effet matrice (suppression d’ionisation) 21. L’analyse MS est réalisée en continu. En représentant le signal détecté en fonction du temps de rétention, il est possible d’obtenir un chromatogramme reconstitué. La mesure se fait par l’intégration du pic chromatographique proportionnel à la concentration de l’analyte. Les peptides ainsi détectés permettront alors de remonter à la structure primaire de la protéine ainsi qu’à sa concentration dans l’échantillon de départ.

Un des avantages d’analyser des peptides plutôt que des protéines entières vient du fait que leur ionisation par ESI se fera sous forme d’un ou deux états de charges seulement. De plus, la gamme de masse des spectromètres de masse est plus adaptée aux peptides (masse moléculaire d’environ 1 000 Da) qu’aux protéines (masse moléculaire de 10 000 Da à 1000 000 Da). Cependant, l’analyse MS simple (SIM pour Single Ion Monitoring) du peptide chargé est généralement trop peu spécifique et trop peu sensible pour l’analyse de protéines dans des matrices complexes. C’est pourquoi, l’étude des protéines est généralement réalisée par spectrométrie de masse en tandem.

La spectrométrie de masse en tandem (MS/MS) est généralement réalisée en couplant deux analyseurs. Le premier analyseur joue un rôle de filtre en sélectionnant un ion stable défini (représentant le rapport masse sur charge (m/z) d’un peptide). Cet ion est appelé « ion parent » ou « ion précurseur ». Le second analyseur balaie les rapports m/z de tous les « ions fils » ou « ions produits » issus de la fragmentation de l’ion parent. Entre les deux analyseurs, une cellule de collision permet l’excitation de l’ion précurseur, conduisant à sa fragmentation. Il existe différents moyens d’activation des ions mais le plus utilisé dans l’étude des protéines par spectrométrie de masse en tandem est la Dissociation Induite par Collision aussi appelée Dissociation Activée par Collision (CID ou CAD). L’énergie permettant la fragmentation est apportée par la collision entre l’ion parent et des molécules de gaz neutre (azote, argon…). La spectrométrie de masse en tandem présente l’avantage de donner des informations à la fois sur la masse d’un peptide mais aussi sur sa structure à partir des masses des ions fils issus de la fragmentation.

L’approche « Bottom-up », combinée au couplage chromatographie liquide - spectrométrie de masse en tandem (LC-MS/MS), est désormais une technique de choix pour la quantification de protéines à la fois pour la recherche et la validation de protéines biomarqueurs que pour l’étude de la biologie des systèmes. Cette stratégie a entre autre permis à Iwasaki et ses collaborateurs, en 2010, d’observer le protéome complet de la bactérie E.coli. En effet, ils ont identifié dans le même échantillon autant de protéines que de gènes observés après analyse transcriptomique 22.

Selon le contexte de l’étude ou la stratégie utilisée, l’analyse peut être réalisée avec ou sans a priori. Dans la première approche, le peptide rapporteur d’une protéine est recherché de manière spécifique dans l’échantillon alors que dans la seconde approche, les spectres MS/MS générés permettent d’identifier le peptide puis la protéine. La revue du groupe de M.J MacCoss en 2015 décrit l’analyse avec a priori, l’analyse « peptide centrée » et l’analyse sans a priori, l’analyse « spectre centrée » 23. Les parties suivantes expliciteront

ces deux types d’approches en décrivant de manière la plus exhaustive possible leurs avantages et inconvénients dans différents contextes.