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Outils de compréhension et de modélisation du contrôle de la main

I. La main biologique

3. Outils de compréhension et de modélisation du contrôle de la main

Devant la complexité implicite de la main et de son contrôle, des chercheurs ont tenté de catégoriser les différents types de saisie à travers des taxonomies plus ou moins détaillées, la plupart du temps en fonction du nombre de doigts impliqués et des segments de ces doigts en contact avec l’objet (Santello et Soechting, 1998). Pour reprendre les propos de van Nierop et al. (van_Nierop, et al. 2007) « dans la recherche sur le mouvement de la main nous pouvons trouver beaucoup de taxonomies et elles sont [potentiellement] infinies » (voir (MacKenzie et Iberall 1994, Chap.2 et app. B pour une vision globale de ces classifications dans le domaine) ; nous n’en présenterons ici que quelques-unes parmi les plus reconnues.

Bien que des travaux antérieurs de ce type ait été publiés (Schlesinger 1919, Griffiths 1943, McBride 1963), la plupart des classifications actuelles trouvent leur source dans la dichotomie établie par Napier en 1956 (Napier 1956). Dans cet article ont été exposés deux concepts très forts : la prise en

puissance (Power Grip) et la prise de précision (Precision Grip). Selon les propres mots de l’auteur

« ces deux *types de prise+ se distinguent *l’un de l’autre+ à la fois du point de vue anatomique et du point de vue fonctionnel ». Lors de la prise en force les doigts longs forment la mâchoire d’une pince et rabattent l’objet vers la paume tandis que le pouce ferme la prise et la verrouille ; ce type de prise est adapté à un contrôle total de l’objet, la saisie pouvant s’opposer à n’importe quelle force perturbatrice.

A l’inverse, la prise de précision est plutôt destinée à la manipulation fine d’un objet et n’offre que peu de résistance face à une perturbation. Elle est caractérisée par l’utilisation de la phalange distale du pouce en opposition avec un ou plusieurs autres doigts (segment distal ou côté) ainsi qu’une implication minime de la paume.

Plutôt qu’une classification ad hoc ces deux concepts sont à considérer en fonction de leur importance dans la tâche à accomplir ; ainsi, deux configurations de mains assez similaires entreront dans une catégorie ou l’autre en fonction de la prédominance de la précision ou de la puissance vis- à-vis du problème à résoudre (OttoBock, Romero, et al.). De plus certaines tâches requerront ce que Napier définit lui-même comme une saisie « combinée » ou « composite », où certains des doigts effectueront une tâche de précision tandis que les autres seront utilisés en puissance (Figure I-16).

Figure I-16. Le formalisme de classification de prises en fonction de la tâche défini par Napier dans (Napier 1956). a) Prise de précision. b) Prise en puissance. c) prise combinant les deux aspects.

Cette première distinction a été nuancée par Cutkosky dans (Cutkosky 1989) en ajoutant au caractère de la prise (précision/puissance) le nombre de doigts en contact avec l’objet et leur répartition sur celui-ci (Figure I-18). Ces deux critères vont dépendre de la taille de l’objet relativement à la main qui les saisit et bien entendu de sa géométrie. Dans ce même article sont posés les différents éléments permettant de décrire une configuration de saisie à travers la relation entre l’objet et la main, et que nous pouvons retrouver dans la littérature traitant de la synthèse et de l’évaluation de prises (Bicchi 2002, Bicchi et Kumar 2002, Okamura, Smaby et Cutkosky 2000) :

 la résistance de l’objet aux forces qui lui sont appliquées au niveau des points de contact, ainsi qu’au glissement lorsque soumis à des forces extérieures

 la connectivité entre la main et l’objet, c’est-à-dire le nombre de DDL qui les sépare l’un de l’autre (si un outil est utilisé pour la saisie, par exemple),

le respect des critères de verrouillage en force (Force Closure) ou de verrouillage géométrique (Form Closure), c’est-à-dire l’impossibilité pour l’objet saisi de bouger lorsqu’il est soumis à un couple extérieur d’amplitude moyenne ou lorsqu’il est totalement contraint (Figure I-17),

 l’isotropie de la configuration de saisie, et donc la possibilité pour chaque doigt recruté d’appliquer de manière efficace un couple sur l’objet (si un doigt est près de ses butées articulaires il sera limité dans la direction correspondant à ces butées),

 les forces internes applicables à l’objet sans qu’il y ait perturbation de la saisie,

 la manipulabilité de l’objet : un fois pris en main, est-il possible de le faire bouger de manière arbitraire ?

 enfin : la stabilité de la main, tant du point de vue cinématique que dynamique, si la saisie est perturbée.

Figure I-18. Exemple de taxonomie permettant de classifier les différentes saisies en fonction de leur « type principal » (puissance ou précision), de la géométrie de l’objet et du nombre de doigts impliqués (paramètre

b)

Les doigts virtuels.

Examinée d’un point de vue global, la conformation des doigts lors de la saisie d’un objet peut-être exprimée en fonction de sous-groupes appelés doigts virtuels (virtual fingers ou VF) (Arbib, Iberall, et al. 1985, Iberall et Arbib 1990, MacKenzie et Iberall 1994). Ceux-ci sont déterminés en fonction de l’axe d’opposition et des parties de la main situées à chaque extrémité de cet axe (voir Figure I-19). Les doigts virtuels sont donc à géométrie variable et peuvent se composer d’un à quatre doigts, voire d’aucun lorsqu’il s’agit d’une prise en force non-verrouillée par le pouce : VF1 sera alors la paume et VF2 sera le groupe des quatre doigts qui lui sont opposés (Figure I-19, b). En dehors de cette configuration et plus généralement pour toutes les prises en précision, le pouce est traditionnellement considéré comme VF1 (Figure I-19, a et c).

Figure I-19. Trois configurations de prises pouvant être ramenées à deux doigts virtuels. a) Prise de précision prismatique mettant en opposition le pouce (VF1) et l’index (VF2). b) Prise en force avec pouce en adduction entre la surface de la paume (plan grisé, VF1) et les doigts longs (VF2) c) Prise en force pulpo-latérale entre le

pouce (VF1) et le côté de l’index (VF2). L’axe d’opposition est celui que vont suivre les VFs pour venir saisir l’objet, indiqué ici par le segment bleu. D’après (MacKenzie et Iberall 1994, p. 34)

c)

La réduction des DDL : analyse en composantes principales

Dans le même ordre d’idée que l’utilisation des doigts virtuels, il est possible de « réduire » les DDL réels d’une configuration de prise vers un petit nombre de DDLe, en lui appliquant un outil de régression tel que l’analyse en composantes principales (Principal Component Analysis, PCA). L’objectif de la PCA est de pouvoir appréhender de manière simple des problèmes à nombreuses dimensions sans perdre pour autant la signification des mesures.

Ce type de traitement va examiner une base de données, constituée d’un nombre quelconque de variables et de mesures de ces variables, et déterminer dans quelle mesure ces données sont corrélées entre elles. Pour cela il va chercher à trouver les « axes porteurs » de la base comme étant ceux autour desquels l’inertie du nuage de points constitué par les variables mesurées sera minimale ; ainsi, la projection des points sur ces axes sera la plus proche possible des points originaux, et donc en sera la mieux représentative (Duby et Robin 2006).

étaient mesurés par un gant instrumenté portant 15 capteurs situés au niveau des articulations (Cyberglove, voir Chap. V), et chaque objet était « saisi » 5 fois. De ces mesures les auteurs ont tiré jusqu’à six composantes principales, les trois premières représentant environ 90% de la variance des données et les deux premières 84% environ. Même si l’implémentation physique de tels résultats est possible et plutôt satisfaisant (Brown et Asada 2007), il serait faux de penser que seuls deux DDLe suffisent à caractériser une configuration de saisie ; les auteurs suggèrent que si les premières composantes donnent à la main une configuration globale, les suivantes (« haut-niveau ») interviennent dans la précision et la finesse de la saisie.

Figure I-20. Les deux premières composantes d’une analyse en composantes principales effectuée sur une gamme de mouvements de saisie permettrait d’expliquer ces mouvements à plus de 80%. D’après (Santello et