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CHAPITRE I : S’IMPLANTER EN TERRE ÉTRANGÈRE

1.3 Les CEB : transformer la société par la foi

1.3.3 Une organisation en perpétuel changement

Les CEB ne possèdent pas de date officielle de naissance. Néanmoins, c’est vers 1962 que la dénomination communauté naturelle apparaît dans les documents des évêques brésiliens. Ainsi, la décennie 1960 les voit se constituer. Elles se développent en raison de l’apport d’une multitude de protagonistes, souvent des équipes mixtes, composées d’un ou de deux prêtres, de religieuses et de quelques laïcs intéressés86. Les prêtres et les religieuses, largement porteurs du renouveau pastoral émanant du concile Vatican II, s’installent soit dans les milieux populaires et contribuent à fonder les assises des CEB,

84 Levy, « Les communautés », p. 4, 9-10. 85 Ibid, p. 3.

ou alors organisent des cours périodiques afin de former des leaders laïcs qui assureront la formation des communautés87. Cette importante présence du clergé lors du développement initial des CEB explique d’ailleurs pourquoi celles-ci présentent un aspect ecclésial aussi prédominant. Néanmoins, comme le souligne l’historien Maurilio Alves Rodrigues, « ces représentants de la hiérarchie ont assumé le défi de renoncer au pouvoir que l’image traditionnelle de l’autorité ecclésiastique avait consolidé au fil des siècles. Cette attitude bouleversait l’ordre institutionnel, car l’autorité assumait la fonction de service au sein de la communauté, dans une perspective horizontale et non pyramidale88 ». Cela marque une véritable rupture avec le modèle hiérarchique et centralisateur qui caractérisait le catholicisme brésilien depuis la colonisation portugaise. Ce nouveau souffle ecclésial se propage rapidement, alors que de façon spontanée et constante, les CEB se multiplient. Des quelques dizaines de communautés de départ, il en existe des dizaines de milliers à la fin des années 1970. Par ailleurs, le contexte politico-religieux propre au Brésil est quant à lui également tributaire du rapide essaimage des CEB. Tel que mentionné précédemment, l’unité de l’épiscopat brésilien qui résulte de l’avènement de la dictature militaire en mars 1964 entraîne une période de prolificité importante.

Néanmoins, tous les croyants ne partagent pas une opinion favorable concernant ces nouvelles structures. Des réactions violentes surviennent parfois, alors que certaines communautés rejettent à la fois ces pratiques différentes, et les personnes qui les véhiculent. Ces réactions défavorables s’expliquent généralement soit par un important attachement de la population aux pratiques religieuses traditionnelles et hiérarchiques, ou

87 Ibid., p. 93. 88 Ibid., p. 97.

encore par des promoteurs trop empressés ou pas assez à l’écoute de la population89. Également, la lune de miel ne dure pas, le morcellement de l’unité ecclésiale signe le début d’une période plus difficile. En effet, la politique du Vatican pour l’Amérique latine se transforme avec l’élection de Jean-Paul II en 1978. Le renouveau de l’action de l’Église latino-américaine n’est plus priorisé, on lui préfère l’uniformité de l’action et de la doctrine. Puis, en 1985, la démocratie revient au Brésil, avec l’élection d’un Président. Les mouvements sociaux créés ou appuyés par l’Église en période de dictature s’affirment et occupent désormais l’avant-scène à plusieurs égards. Conséquemment, le retour à la démocratie entraîne un repli de l’Église, qui se retire de plus en plus de toute forme d’enjeux temporels. Plutôt que de consacrer l’avènement de l’Église des pauvres, la fin de la dictature provoque une perte d’influence de l’œuvre des évêques progressistes.

Cette réalité s’explique en partie par la réouverture des voies politiques pour faire valoir les droits fondamentaux, alors que le pays n’est plus soumis à un régime dictatorial. Ce faisant, le rôle social et politique joué par l’Église s’atténue, d’autant plus que Rome formule explicitement le vœu que la CNBB désinvestisse l’espace politique une fois la démocratie revenue. L’hostilité romaine envers la théologie de la libération et les groupes populaires, perçus comme une menace envers l’Église hiérarchique, fissure à nouveau l’épiscopat brésilien. Conséquemment, les évêques progressistes sont remplacés par des évêques conservateurs lorsqu’ils démissionnent. Ils condamnent la théologie de la libération, l’association avec le politique et retirent leur appui aux pastorales populaires90.

89 Ibid., p. 94.

90 À ce sujet, la sanction contre le prêtre brésilien Leonardo Boff, un éminent théologien de la libération, au

silence et à l’obéissance en 1984, constitue un exemple patent du durcissement de Rome par rapport aux expériences de pastorales populaires et des liens entre théologie et promotion sociale.

Alors que face à de telles circonstances, les CEB auraient pu se scléroser, se transformer en sectes ou simplement disparaitre, elles persistent. Joe Foweraker, politicologue, suggère l’explication suivante: « [a]t first sight it appears that grassroots movements were more dynamic, and possibly more effective, under past authoritarian regimes than in the present democracies. […] Yet the movements do not simply decline, as the mainstream thesis suggests; they adapt and change91 ». L’analyse des rencontres interecclésiales effectuée par Maurilio Alves Rodrigues offre une explication similaire : de nouveaux thèmes occupent les CEB, qui recherchent à travers eux une nouvelle utopie.

Dès lors, il devient possible de proposer une périodisation qui met en lumière le renouvellement constant que connaît cette organisation. Les années 1960 voient naître les CEB, qui cherchent à proposer des solutions nouvelles au développement inégalitaire et aux injustices économiques qui affligent les croyants des milieux populaires. Les années 1970, malgré une dictature militaire violente, constituent l’apogée de ces communautés, qui mettent en place de nombreuses organisations communautaires et incarnent des espaces de résistance au régime dictatorial, contribuant à la fissuration de ce dernier. Les années 1980 sont celles de la reconfiguration des CEB, en réaction au retour à l’État démocratique, mais aussi aux nouvelles orientations romaines. Finalement, l’écroulement du communisme en 1989 et la chute de l’Union soviétique en 1991 transforment à nouveau les priorités des CEB au cours des années 1990, qui doivent composer désormais avec une idéologie néo-libérale dominante.

91Joe Foweraker, « Grassroots movements and political activism in Latin America: A critical comparison of

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En conclusion, les éléments et les évènements menant à la rencontre entre les MNDA et les CEB brésiliennes par l’entremise de la MDSB sont multiples. Cependant, la fermeture de la Chine en 1949, qui entraîne un déplacement de l’axe missionnaire québécois de l’Asie vers l’Amérique latine et l’Afrique, ainsi que les appels répétés des papes pour l’augmentation du missionnariat en Amérique latine, tels qu’Evangelii

Praecones et Fidei Donum, contribuent certainement de façon importante à créer un

premier contact. Quant à la situation brésilienne, la rénovation d’une Église catholique traditionnelle et hiérarchique vers l’Église des pauvres ne se fait pas sans heurts, en période de Guerre froide et de paranoïa de la menace rouge. Cependant, les particularités du Nord-Est contribuent à nourrir ce renouvellement malgré tout, et à permettre à l’Église catholique de devenir, selon certains observateurs, la plus progressiste du monde durant la période de la dictature militaire (1964-1985). En effet, la création des CEB permet la prise de parole et la tenue d’initiatives communautaires à des classes populaires historiquement privées des droits les plus élémentaires, ce qui les initie aux rouages de la vie démocratique.