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CHAPITRE II : FAIRE SIENNE L’ÉGLISE D’AILLEURS

2.3 Se créer un chez-soi ailleurs

2.3.3 Le dialogue et la collaboration pour éveiller les consciences

Alors que les chroniques font état d’une imbrication certaine entre les trois axes apostoliques, les entrevues confirment cette réalité. Ainsi, les idées et les pratiques circulent plus librement, le dialogue est favorisé, ce qui facilite le rayonnement des oeuvres. Sœur Cécile explique que les Clube de Voluntarios ont d’ailleurs été mis en place pour faciliter le travail du prêtre auprès des CEB : « puis moi, quand je suis arrivé, c'était pour l'organiser comme faut. On est monté jusqu'à 23 clubs dans Bequimão. C'était pour aider aussi d'une manière détournée le père au culte. Pour permettre aux femmes de prendre la parole, parce qu'il y en avait quelques-unes qui étaient directrices de culte96 ». L’entraide n’a pas uniquement lieu entre les sœurs et les prêtres. Sœur Madeleine, enseignante, raconte : « l'infirmière c'était comme un vrai médecin, c'était extraordinaire. On s'entraidait beaucoup. Elle avait eu une petite fille de 15 ans qui avait un accouchement difficile, pis la petite allait accoucher là au dispensaire. J'avais tenu la lampe, j'avais jamais

95 Ibid.

vu ça là97 ». Bien que chacune œuvre dans un domaine précis, il n’est d’ailleurs pas exceptionnel dans les chroniques de lire que les MNDA s’entraident régulièrement.

Concernant la pastorale familiale en transformation durant les années 1990, sœur Lise mentionne qu’elle a aussi pour objectif d’aider le prêtre, de même que toute la paroisse, à produire un réveil de la foi :

Alors [le prêtre] le voulait, il disait qu'il fallait arriver à la faire, car c'est ça qui aide la paroisse, ça qui aide le curé. Et aussi les couples. Les couples se prennent en main, imagine, si le couple fonctionne, les enfants, tout s'en suit, un mouvement s'enclenche et se continu. […] La pastorale familiale, on travaille avec les familles, mais surtout avec les parents. On a des réunions, et là on étudiait un thème, par exemple le dialogue, comment le dialogue est important dans la famille. […] Alors j'ai commencé, mais y'avait la préparation de la réunion. J'y allais. Je peux dire que je perdais des bouts aussi, mais j'étais là. Eux autres ils avaient une très grande confiance aux religieuses et au prêtre. Une très grande confiance. Même si je ne parlais pas, j'étais présente. Dès fois je disais quelque chose, mais le fait d'être là, c'était important, même s'ils savaient quoi faire, car les sœurs étaient là avant moi. Je les laissais faire. Mais j'allais participer aussi à leur grand groupe, mais c'est eux autres qui animaient. Ils auraient bien aimé [que j'anime], mais c'est ça, je voulais leur laisser leur place, parce que dans ces groupes-là, y'en a qui savaient lire et d'autres pas ou très peu, mais ils ont l'avantage d'avoir travaillé beaucoup avec la Bible, dans les célébrations, dans les réunions qu'ils font. Alors ils retournent vite au vécu en lien avec la Bible. 98

Ainsi, ces extraits illustrent que tant au cours des années 1960 que des années 1990, les œuvres sociales et catéchétiques visent à faciliter le travail du prêtre parmi les CEB. De plus, leur fonctionnement s’inspire parfois directement de celui des CEB. Le dernier extrait d’entrevue démontre aussi que la religieuse y occupe un rôle d’accompagnante et non pas de dirigeante, ce qui correspond à la réalité des CEB, qui promeut une approche horizontale. Finalement, sœur Majella, à Bequimão depuis 1965, rend compte des multiples imbrications entre les trois axes apostoliques :

On a aussi donné des cours d'art culinaire, on leur enseignait à préparer les repas, l'hygiène aussi. Il y avait les cours de prévention des maladies […]. Les cours se donnaient auprès des CEB. Il y avait des projets, toute sorte de choses, l'art ménager, l'artisanat, elles aimaient ça, se réunir, parler, elles participent bien. On donnait aussi

97 Extrait de l’entrevue réalisée avec Madeleine Renaud, 5 septembre 2014. 98 Extrait de l’entrevue réalisée avec sœur Lise Tremblay, 15 août 2014.

des cours de formation humaine, des séances de prières, des séances intensives, deux heures par semaine durant 15 semaines et elles participaient bien, vraiment. 99

Au-delà d’une formation religieuse, c’est une véritable formation socio-sanitaire qui a lieu, et qui produit un éveil des consciences. Ainsi, la collaboration entre les sœurs, les laïcs et œuvres a concouru à précipiter la circulation des idées et des pratiques nouvelles, accélérant la compréhension et la diffusion des CEB dans la paroisse100. Ces facteurs ont aussi contribué à la pérennité de cette organisation, en rendant les membres autonomes et responsables de leur vie religieuse.

* * *

Cette étude de l’implication des MNDA auprès des CEB de Bequimão, de 1961 à 2006, effectuée principalement à partir des fonds d’archives, des chroniques et des entrevues réalisées auprès de six d’entre-elles, met en lumière une meilleure connaissance de cette organisation typiquement brésilienne. Elle permet de conclure de quelles façons l’action missionnaire des Sœurs de Notre-Dame des Anges auprès des communautés ecclésiales de base de Bequimão a contribuée à leur essor et leur maintien. Premièrement, en choisissant pour les assister dans les œuvres catéchétiques, socio-éducatives et les œuvres de santé les laïcs qui s’illustrent le plus dans les CEB, elles contribuent au partage des connaissances et à la création d’une communauté religieuse socialement engagée. Deuxièmement, en formant du personnel local et en l’encourageant dans l’atteinte de sa

99 Extrait de l’entrevue réalisée avec sœur Majella Brousseau, 29 septembre 2014.

100 Les chroniques et les documents d’archives de la MDSB font état de la création et du maintien d’environ

65 à 80 CEB à Bequimão, lors de l’apogée du mouvement, dans les années 1970-1980. Bien qu’il n’y ait pas de données mentionnées par la suite, on peut déduire que ce nombre diminue durant les années 1990, à la manière de l’ensemble des CEB au pays. Néanmoins, comme le rappelle l’historien Maurilio Alves Rodrigues, « les CEB possèdent une force vitale qui est loin d’être éteinte », ce qui s’applique certainement aux CEB de Bequimão, puisque les MNDA continuent de les accompagner jusqu’à la fermeture de la mission en 2006. Voir Rodrigues, Les Communautés, p. 209.

dignité humaine, elles favorisent l’autonomisation des œuvres et elles ne rendent pas la population dépendante de leur présence. Finalement, en liant les axes apostoliques catéchétiques et sociaux, elles contribuent à créer de nouveaux réseaux d’autorité et d’entraide allant au-delà des réseaux politiques traditionnels101.

Toutefois, de telles réalisations n’ont pu avoir lieu sans de profondes transformations, favorisées par des facteurs divers. Les expériences sur le terrain et l’aggiornamento entraîné par le Concile Vatican II a conduit à un changement de paradigme missionnaire, nécessaire pour pouvoir considérer une insertion fructueuse. L’intégration au milieu d’accueil passe aussi par une observation soutenue de ce dernier et une volonté de s’inculturer, elle-même favorisée par l’internationalisme de la congrégation et l’intégration hâtive de religieuses brésiliennes à la mission. Puis, la pérennité de cette œuvre provient de la conviction que cette manière de faire surpasse une organisation traditionnelle et par la formation de leaders locaux, qui assurent l’autonomisation réussie des communautés. Finalement, l’importance du dialogue entre les sœurs et une collaboration étroite entre les œuvres a assuré le rayonnement des CEB.

En conclusion, l’étude de l’expérience des MNDA auprès des CEB au nord-est du Brésil a mis en lumière tant leur processus de création, que leur fonctionnement au quotidien, de même que les transformations vécues par ces organisations au fil des quarante-cinq ans de la mission et finalement, le rôle joué par les religieuses, dévoilant

101 Tel que la création de l’association du dispensaire, qui permet aux usagers de former une coopérative qui

défraie le coût des soins pour tous sans dépendre du financement de la préfecture, ou encore la création de coopérations qui financent l’achat de filtres pour l’eau, de matériel agricole ou de machines à coudre, qui appartiennent à la population et non pas aux propriétaires terriens ou à la préfecture.

une expérience complexe et changeante. Cependant, l’analyse des liens existant entre les CEB et la politisation des croyants, de même qu’entre l’action des MNDA et la redéfinition de la place des paroissiennes dans leur communauté, méritent une analyse approfondie, d’autant plus que les archives, les chroniques et les entrevues fournissent de nombreuses pistes d’étude sur ces thèmes.