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Organisation des épithéliums : les mécanismes de tri cellulaire

Chapitre IV : Mécanique du tissu épithélial et homéostasie

4- Organisation des épithéliums : les mécanismes de tri cellulaire

Les adhésions cellule-cellule et cellule-matrice maintiennent l’intégrité de l’épithélium et sont également responsables de l’organisation du tissu épithélial et notamment de l’arrangement spatial des différents types cellulaires composant l’épithélium. La ségrégation cellulaire, autrement dit le tri cellulaire, est le résultat d’une balance entre la contractilité des cellules et les adhésions intra - et - extra- cellulaires présentes au niveau de l’épithélium.

4.1-Tension de surface et adhésions intercellulaires dans les mécanismes de tri cellulaire

Des agrégats cellulaires reconstitués in vitro à partir de cellules provenant de deux tissus embryonnaires distincts se ségrégent en sous-agrégats du même type cellulaire, l'un engloutissant partiellement ou totalement l'autre (Philip L. Townes, 1955). Le concept d'affinité sélective a été proposé plus tard par Townes en 1995, pour expliquer l'organisation d'un embryon en développement, avec l'hypothèse selon laquelle l'affinité sélective des cellules change tout au long du développement et serait un déterminant majeur pour guider la morphogenèse. Townes propose que la ségrégation des cellules soit dépendante de la migration active des cellules, selon un gradient chimique qui attire ou non les cellules au centre de l’agrégat. Il propose que la tension de surface soit déterminante dans ces processus

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de tri cellulaire, sans lien avec les adhésions intercellulaires. Dans les années 60, Steinberg revisite les concepts de Townes et propose que la ségrégation cellulaire découle bien de la tension cellulaire de surface mais serait également dépendante des adhésions intercellulaires. Le tri cellulaire reflèterait ainsi des différences d’adhésions entre les cellules (Steinberg, 1963). Il ajoute qu’il existe des différences qualitatives mais surtout quantitatives entre les adhésions cellulaires, définies par la densité de molécules d’adhésion présentes aux interfaces cellule-cellule. Ces phénomènes de tri cellulaire au sein d’agrégats seraient modélisables.

De façon mécanique, le travail mécanique δW devant être produit pour augmenter la surface d’interface A par dA se lit comme suit :

=

où est la tension de surface, δW est une énergie et la tension de surface peut être interprétée comme une force par unité de longueur (ou une énergie par unité de surface). Dans le cas de deux liquides non miscibles A et B en contact, cette énergie de surface est appelée tension d’interface et notée γAB. Le travail mécanique nécessaire pour séparer une unité de surface d'une interface AB entre deux éléments A et B est :

= + − (équation 1)

WAB est également appelé le travail d’adhésion. Pour séparer deux éléments A du même type, le travail mécanique s’écrit simplement = 2 (équation 2). WAA est également appelé le travail de cohésion.

L’analogie entre les tissus et les liquides permet de déterminer les configurations à l’équilibre des tissus grâce à la connaissance des tensions de surface et d’interface, ou des phénomènes d’adhésion et de cohésion de ces tissus. Autrement dit, il est possible de prédire la ségrégation cellulaire de deux types cellulaires distincts à partir de leurs propriétés d’adhésion et de cohésion (Figure 23A). Si l’on considère deux types cellulaires A (rouge) et B (vert), à partir des équations (1) et (2), on peut écrire WAB comme :

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Supposons ici que les cellules A soient plus cohésives que les cellules B, ce qui équivaut à

WAA > :

Si WAB≥ (WAA+WBB) /2, alors AB< 0. Les contacts hétérotypiques entre les deux types cellulaires distincts sont plus stables que les contacts homotypiques, les cellules se mélangent de manière aléatoire, il n’y a donc pas de tri cellulaire (Figure 21A1).

Si WAB< (WAA+WBB) /2, alors AB> 0 et les deux types cellulaires vont se ségréger l’un de l’autre. Plusieurs configurations sont possibles :

(1) WAB≤ WBB alors A > B + AB et les cellules A, plus cohésives, sont localisées à l’intérieur de l’agrégat tandis que les cellules B, moins cohésives, sont à la périphérie (Figure 21A2).

(2) WAB< WBB alors A < B + AB où les cellules A forment une sphère, partiellement engloutie par les cellules B (Figure 21A3).

(3) WAB=0, l’interface AB disparait et les deux types cellulaires forment deux agrégats distincts (Figure 21A4).

Un travail réalisé dans les années 90, montre que la seule mesure des tensions de surface de sphéroïdes embryonnaires reconstitués in vitro permet de prédire leur organisation selon les règles expliquées ci-dessus (Figure21B).

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Figure 21: Modèles théoriques et expérimentaux de tri cellulaire. (A) Arrangements éventuels lors d’un mélange de deux populations cellulaires en agrégats. On considère ici que les cellules A sont plus cohésives que les cellules B. (1) Les cellules rouges et vertes sont aléatoirement mélangées, ce qui donne un motif en « damier ». (2) Les cellules les plus cohésives (rouges) s’agrègent au centre tandis que les moins adhésives (vertes) enveloppent complétement les cellules rouges. (3) Recouvrement partiel des cellules vertes moins cohésives autour des cellules rouges. (4) Il n’y a pas d’affinités entre les cellules vertes et rouges, donnant naissance à deux agrégats séparés. Figure provenant de la thèse de F. Bertillot (2017). (B) La tension de surface détermine l’organisation des cellules en agrégat. Les cinq tissus embryonnaires de poulet étudiés sont montrés à gauche dans l'ordre décroissant de leur tension de surface. À droite, sont représentées les configurations générées par le tri cellulaire ou la fusion globale lorsque des tissus adjacents, dans la hiérarchie des tensions superficielles, se réorganisent in vitro. Dans chaque cas, le tissu le moins cohésif enveloppe le plus cohésif. Les images sont des sections optiques de 60 µm. Les cellules de chaque tissu ont été colorées avec des marqueurs fluorescents contrastés, auxquels ont été affectées ici de fausses couleurs. Le mésoderme de bourgeon (vert) est enveloppé de rétine pigmentée (rouge), qui est à son tour enveloppée de ventricule cardiaque (jaune), à son tour entouré de foie (bleu) entouré de rétine neurale (orange) (Figure adaptée de Foty et al., 1996).

4.2- Rôle de la contractilité et des interactions à la MEC dans le processus de tri cellulaire Les adhésions intercellulaires ne sont pas les seuls mécanismes responsables de la tension de surface et par conséquent de la ségrégation des cellules au sein d’un tissu. En effet, la tension corticale générée par les complexes actomyosine et les interactions avec la MEC sont aussi à prendre en compte lors des évènements de ségrégation cellulaire. Le laboratoire de Gartner a mis en évidence l’importance de la contractilité cellulaire et des interactions avec

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le substrat dans les processus de tri cellulaire, notamment au niveau de la glande mammaire (Figure 22) (Cerchiari et al., 2015). Les auteurs réalisent des expériences de tri cellulaire en utilisant des types de cellules mammaires primaires aux propriétés distinctes : les cellules myoépithéliales très contractiles et les cellules épithéliales luminales. Ils utilisent également différentes matrices entourant ces agrégats :

- l’agarose, inhibant ainsi toute interaction avec la matrice,

- le matrigel, matrice mimant les propriétés de la membrane basale présente au niveau de la glande mammaire.

En présence d’agarose, les cellules myoépithéliales contractiles se retrouvent à l’intérieur du sphéroïde, entourées par les cellules luminales. L'organisation des cellules est inversée en comparaison de l'organisation physiologique. En revanche, en présence de matrigel, les agrégats retrouvent leur configuration physiologique, c’est-à-dire les cellules myoépithéliales entourent les cellules luminales. Ces données indiquent d’une part l’importance de la tension corticale dépendante de l’actomyosine dans la ségrégation des cellules de la glande mammaire, et d’autre part, que les cellules myoépithéliales présentent une plus grande affinité d’interaction avec la matrice, ce qui prédomine sur l’organisation générale de la glande mammaire.

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Figure 22: Ségrégation cellulaire des cellules de la glande mammaire en fonction de la MEC. (A) Auto-organisation de cellules luminales (vertes) et myoépithéliales (rouges) en agrégats. Le schéma de droite représente l’organisation physiologique : les cellules myoépithéliales entourent les cellules luminales et l’agrégat forme une lumière au centre. (B) Organisation des cellules mammaires en fonction de la matrice extracellulaire utilisée. En agarose, les cellules s’organisent de façon inversée à celle observée physiologiquement, c’est-à-dire que les cellules MEP sont au centre de l’agrégat, entourées des cellules LEM. En matrigel, les deux types cellulaires retrouvent leur configuration physiologique. (C) Expérience similaire à celle décrite en B, les cellules ont été marqués avant la ségrégation des cellules par un Cell traker rouge (CTR) et un cell tracker vert (CTG). (D) Quantification des différentes organisations obtenues selon la matrice utilisée (Figure de Cerchiari et al., 2015).

Pour conclure, les phénomènes de tri cellulaire, autrement dit de ségrégation d’un type cellulaire à un autre, découlent d’une balance entre la tension corticale d’actomyosine, les adhésions intercellulaires et à la MEC. Selon les types cellulaires considérés ou la nature de la matrice environnante, l’équilibre entre ces différents paramètres affecte la configuration générale du tissu.

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Chapitre V : Maintien de l’homéostasie des épithéliums :