• Aucun résultat trouvé

L’extrusion apicale physiologique

Chapitre V : Maintien de l’homéostasie des épithéliums : L’extrusion cellulaire

1- L’extrusion apicale physiologique

L’extrusion apicale est un des mécanismes développés par les cellules épithéliales

afin de préserver l’homéostasie du tissu. L’extrusion apicale consiste en l’élimination apicale de cellules épithéliales, en dehors de l’épithélium. Ce processus est particulièrement étudié dans les villosités intestinales où l’épithélium doit être renouvelé en permanence. Dans ce tissu, les cellules souches localisées au niveau des cryptes intestinales se divisent et génèrent de nouvelles cellules qui migrent progressivement à l’extrémité distale où est observée une extrusion massive des cellules épithéliales, permettant le maintien d'une même densité cellulaire tout en renouvelant continuellement ces villosités intestinales (Figure 23a/b/c) (Eisenhoffer et al., 2012; Guillot and Lecuit, 2013).

L’extrusion d’une cellule nécessite le déplacement des cellules adjacentes et le remodelage des jonctions cellulaires. Dans un premier temps, la cellule qui va extruder exerce une tension sur les cellules voisines via la formation d’un anneau cortical contractile de filaments d’actine couplés à la myosine, réduisant à trois le nombre de jonctions cellulaires avec les cellules adjacentes au lieu de six. Dans un second temps, les cellules voisines forment un anneau multi-cellulaires d’actomyosine contractile autour de cette cellule. Ce réseau d’actine va se déplacer du cortex apical au pôle basal afin d’expulser la cellule apoptotique vers le pôle apical (Kuipers et al., 2014; Rosenblatt et al., 2001). Ainsi, lors de l’élimination de cellules, la barrière épithéliale conserve son intégrité grâce au remodelage rapide des jonctions cellulaires, permettant l’extrusion et l'élimination de cellules et relâchant la pression exercée sur le tissu (Guillot and Lecuit, 2013). De plus, des défauts du comportement nématique de l'épithélium - c’est-à-dire des défauts de l'organisation des cellules épithéliales les unes par rapport aux autres, en particulier de leur orientation - sont corrélés à la

84

localisation des sites d’extrusion. Des défaut de cette topologie entraînent l’extrusion de cellules (Saw et al., 2017).

A l’origine, l’extrusion apicale est décrite comme un mécanisme permettant l’élimination des cellules apoptotiques de l’épithélium afin de préserver une barrière épithéliale fonctionnelle (Figure 23b/e/h) (Andrade and Rosenblatt, 2011; Wang et al., 2011). Lors d’un « surpeuplement » de cellules, une cascade de signalisation dépendante des caspases entraîne la mort d’une cellule puis son exclusion de l’épithélium par les cellules voisines (Levayer et al., 2016; Muliyil et al., 2011). Il a été montré, dans une monocouche de cellules MDCK, que les cellules apoptotiques produisent la Shingosine-1-Phosphate (S1P), qui est transportée à la surface cellulaire et se fixe aux récepteurs 2 de S1P (S1P2) des cellules voisines. Ceci entraîne l’activation de la GTPase Rho et permet l’assemblage et la contraction de l’anneau d’actomyosine au niveau des cellules voisines, nécessaire à l’extrusion apicale de la cellule apoptotique (Andrade and Rosenblatt, 2011; Gu et al., 2011). De plus, le maintien des jonctions adhérentes d’E-cadhérine est nécessaire au processus d’extrusion apoptotique, ce qui préserve l’intégrité du tissu en présence de signaux apoptotiques en participant notamment à la coordination de la transmission des forces entre les cellules adjacentes (Lubkov and Bar-Sagi, 2014).

Néanmoins, le lien entre extrusion et mort cellulaire n’est pas toujours bien compris et est controversé. Dans certains cas, la cellule extrudée est vivante au moment de son exclusion et va mourir par la suite, du fait de son détachement aux autres cellules et à la matrice (Eisenhoffer and Rosenblatt, 2013; Levayer et al., 2016; Meghana et al., 2011; Muliyil et al., 2011). Par exemple, au niveau des villosités intestinales, l’extrusion de cellules apoptotiques mais également vivantes est observée (Figure 23a) (Eisenhoffer and Rosenblatt, 2013; Katoh and Fujita, 2012; Marinari et al., 2012; Ohsawa et al., 2018). Plusieurs études réalisées sur différents épithéliums (embryon de drosophile et de poisson zèbre, épithélium intestinal humain, culture in vitro de lignées cellulaires en monocouche etc…) ont montré que le surpeuplement cellulaire (« overcrowding »), génère une compression du tissu entrainant l’extrusion de cellules vivantes de l’épithélium qui par la suite meurent par anoïkis (Figure 23a/c/d/f/g/i) (Eisenhoffer and Rosenblatt, 2013; Katoh and Fujita, 2012; Marinari et al., 2012). L’extrusion des cellules vivantes, lors du « surpeuplement », nécessite également la voie de signalisation S1P-S1P2-Rho. Contrairement aux cellules apoptotiques qui activent cette voie à la suite de signaux apoptotiques, l’extrusion des cellules vivantes est dépendante des canaux ioniques Piezo-1. Piezo-1 est sensible aux forces mécaniques. Il promeut la

85

division cellulaire lorsque la cellule est soumise à un étirement et, à l’inverse, l’extrusion cellulaire lors d’un encombrement cellulaire (Eisenhoffer et al., 2012; Gudipaty et al., 2017). Les mécanismes mis en jeu dans l’activation de ces deux processus opposés par Piezo-1 restent encore à découvrir.

Ainsi, l’extrusion apicale entraîne l’élimination de cellules apoptotiques et vivantes lors d’une compression des tissus. La régulation temporelle entre extrusion et mort cellulaire est à l’heure actuelle mal connue. Dans certains tissus, telle que les villosité intestinales, des cellules vivantes ou apoptotiques sont exclues de l’épithélium suggérant que les deux possibilités coexistent. Ces villosité intestinales sont une zone particulière où, d’une part certaines cellules épithéliales sont compressées, et d’autre part le renouvellement permanent de l’épithélium est nécessaire afin d’assurer l’intégrité fonctionnelle de l'intestin, pouvant potentiellement expliquer les phénomènes d’extrusion de cellules apoptotiques et vivantes. Il paraît nécessaire de comprendre les mécanismes régulant l’extrusion apoptotique versus celle de cellules vivantes et de comprendre si ces deux processus coexistent dans d’autres organes, notamment au niveau de la glande mammaire, où le déroulement et la régulation de l’extrusion cellulaire sont moins connus.

La glande mammaire subit des changement morphologiques à chaque cycle menstruel, et de façon extrême lors de la grossesse, la lactation et l’involution. Ces changements sont caractérisés dans un premier temps par une prolifération intense des cellules épithéliales mammaires lors de la grossesse puis, suite à l’arrêt de la production de lait, par la mort cellulaire massive de ces cellules (Watson, 2006). Afin de préserver l’intégrité fonctionnelle de l’organe, les cellules apoptotiques sont exclues de l’épithélium par les cellules épithéliales voisines, dans la lumière du canal ou elles seront éliminées par phagocytose, par les cellules immunitaires et également par certaines cellules épithéliales mammaires (Monks et al., 2005, 2008). En effet, après la lactation, certaines MEC sont capables d’absorber les cellules apoptotiques afin d’empêcher une inflammation. Récemment, la protéine GTPase Rac1 a été impliquée dans l’extrusion apicale des cellules apoptotiques et dans l’élimination de ces cellules par phagocytose dans la glande mammaire après lactation (Akhtar et al., 2016). Néanmoins, les mécanismes régulant l’extrusion apoptotique restent peu connus particulièrement hors des événements de lactation et notamment quels processus déterminent si une cellule devient apoptotique ou phagocytaire.

86

Figure 23: L’extrusion apicale participe au maintien de l’homéostasie. Description de l’extrusion apicale de cellules apoptotiques ou vivantes au niveau de régions de surpeuplement cellulaire dans (a) des tissus de colon humain, (b) l’épiderme de poisson-zèbre et (c) une monocouche de cellules MDCK (Figure de Eisenhoffer et al., 2012).

Outre le surpeuplement et la signalisation apoptotique, l’extrusion cellulaire peut être provoquée par des mutations oncogéniques.