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3-2- Oralité et littérature orale

I-2- Résumé de « L’honneur de la tribu »

I- 3-2- Oralité et littérature orale

«En Afrique, chaque fois qu’un vieillard meurt c’est une bibliothèque qui brûle ».

Amadou Hampaté Bâ.

Aujourd'hui, notre société s'affirme comme un lieu de brassage1 permanent entre des cultures, qui peut devenir une richesse sans pareille s'il est géré. La littérature orale, de par la spécificité de certains de ses récits qui sont issus de culture particulière et qui traitent des sujets humains, peut devenir aussi un merveilleux outils d'intercompréhension2 entre les cultures.

La littérature d’expression orale est doublement pragmatique à cause de ses conditions d’émission. Son objectif est d’établir avec l’auditoire des relations interactives dans lesquelles le contenu est basé sur de multiples fonctions, d’information,

d’initiation, et d’éducation.

Les récits de la littérature orale fonctionnent comme des textes littéraires dont il est important aujourd’hui de décrire les systèmes de fonctionnement qui permettent de mettre en évidence comment ces récits sont l’illustration d’une identité, sa sauvegarde. L'oralité appartient au champ que l'on nomme la littérature orale dont elle déploie

la richesse et les valeurs qui en font la force. Elle nous mène vers l'espace de la

littérature, vers la réflexion sur la création littéraire dans ses rapports avec l'oralité.

M.Aufray3, en distinguant entre la parole et l’oralité, écrit dans sa thèse sur les littératures océaniennes que l'oralité :

1 "Littérature orale et Interculturalité", Euroconte, Centre Méditerranéen de Littérature Orale, disponible sur le site :

http://www.euroconte.org/Default.aspx?tabid=271(auteur et date non mentionnés). 2- Ibid.

3- De l’oralité à l’écriture, Introduction à la poésie Amazigh, Introduction par Cécile Guivarch, suivi d'un entretien avec Ali Iken, Septembre 2005, disponible sur le site :

"est une forme de communication sociale caractérisée par des modes de production et de transmission qui lui sont propres. L'oralité doit être envisagée comme une performance qui est définie par des circonstances, temps, lieux, contextes sociaux, par le statut et le rôle des participants, interprètes et auditeurs et par les modes d'interactions entre ceux-ci"

Le principal problème que pose la littérature orale est sans doute celui de ses limites, c'est-à-dire des critères utilisés pour la définir. Elle est le résultat d'une

élaboration artistique, trait qu'elle partage avec la littérature écrite ; elle est à la fois

traditionnelle, transformée et recréée par la transmission orale qui la caractérise, collective et anonyme, même si elle peut avoir pour point de départ une création individuelle.

La littérature orale a un double statut énonciatif. Le récitant et les acteurs du récit entre lesquels existe une relation de communication. C'est ainsi que Paul Zumthor, dans sa réflexion sur la voix, la littérature orale désigne, selon lui, « toute espèce d'énoncés

métaphoriques ou fictionnels, dépassant la portée d'un dialogue entre individus »1 : le conte, sous ses formes variées, la chanson, elle aussi dans sa diversité, les complaintes chantées ou parlées, ce que Zumthor regroupe sous le terme de « poésie orale » , les jeux

verbaux de toute sorte, les proverbes et dictons et de manière générale, « tant de

narrations fortement typées, tissues dans notre parole quotidienne »2, a constaté, Paul Zumthor et aussi d'autres équipes de recherche dans ce domaine.

L'art du conteur est de mettre en lumière l'importance de la relation entre le conteur et son public, entre le texte et la culture, en littérature orale et donne une forme littéraire au récit d'un fait divers. Voilà qui fait éclater les limites traditionnelles de la littérature orale.

Le concept3 de « littérature orale » peut prendre un caractère ambigu dans la conscience même de ceux qui la produisent ou en communiquent le souvenir, et donc dans la vie même de cette littérature, et qu'enfin, dans le domaine des textes oraux

1- ZUMTHOR Paul, op. cit, p. 45. in MEZGUELDI Zohra, op. cit, p. 1. 2- Ibid., p. 46.

narratifs, l'opposition entre ceux qui sont « littéraires » et ceux qui sont « non-littéraires » s'inscrit dans la continuité et non dans la rupture. Le récit émerge incontestablement des faits de culture. Il fait partie du discours culturel d'une communauté.

Au Maghreb, la littérature en arabe parlé et en berbère est une création collective qui traduit le vécu avec plus de vigueur que la langue écrite. Mais elle a aussi ses limites : « quand s'éteint une mémoire d'ancien, c'est tout un patrimoine qui disparaît »1.

C’est pourquoi, la littérature orale a principalement pour thèmes la résistance (face au pouvoir de la force, du dogme, de l'argent, des puissances naturelles), la transmission des visions du monde ou le divertissement. Cette littérature apparaît sous forme de: contes, fables, noukat (historiettes de satire sociale ou politique), dictons, devinettes,… .

De ce fait, le texte maghrébin, de façon générale, et mimounien en particulier entre dans ce propos. C'est un discours narratif, car le récit disparaît avec la disparition du narrateur. En effet, le texte mimounien représente parfaitement le récit de cette Algérie, c’est-à-dire, en possédant les capacités narratives et discursives2 il arrive à dire cette réalité.

Les discours narratifs que sont le conte, le mythe et la fable font l'objet d'une réflexion importante dans le domaine de la littérature orale, notamment en critique littéraire. Les recherches en littérature orale ont permis la naissance de la sémiologie narrative en rappelant les travaux de Propp.

Le conte est un genre où transitent des formes de l'imaginaire. Il constitue dans le domaine culturel maghrébin, un monument littéraire oral dont la littérature maghrébine s'est largement inspiré. Le conte est de ce point de vue un espace de rencontre entre la

voix et l'écriture. Il assure, notamment dans la production maghrébine, l'homogénéité et

la continuité de l'une et de l'autre.

Le conte constitue « la réalisation symbolique d'un désir ; l'identité virtuelle qui, dans l'expérience de la parole, s'établit un instant entre le récitant, le héros et l'auditeur

1- « LE FONDS IMMEMORIAL : La tradition orale : les écritures populaires », disponible sur le site :

engendre selon la logique du rêve", ce que Zumthor nomme « une fantasmagorie libératrice. »1. En cela, il nous renvoie au plaisir narcissique de conter, au pouvoir de la parole imaginaire qu'il met en jeu entre celui qui conte et celui qui écoute.

Il résulte que, le conte est un art oral et populaire qui semble nécessaire à la société; sa puissance et sa séduction permettent au groupe la stabilisation sociale; il permet aussi la continuité d'une parole de mémoire et d'imaginaire. Nous pouvons dire d'après notre analyse de « L’Honneur de la tribu » que Mimouni a considéré l'oralité comme une voix qui veut agir et non décrire.

De cela, le discours narratif ou le conte dans « L’Honneur de la tribu » permet d'exprimer une identité tribale car vieux raconteur ne cesse de mentionner les pratiques sociales, les us et les coutumes de la tribu d’origine à travers les ages. « Au bout de quelques générations, la plupart oublièrent leur origine et les considèrent comme nôtres ». (HT.p.27)

Ce type de récit des origines individuelles ou tribales, nécessite du moins une narration transparente et transitive. Alors qu’il n’est pas le cas dans « L’Honneur de la tribu ». Pour le vieux conteur l’interlocution demeure intransitive et fermée sur elle-meme, car, son interlocuteur ne comprend rien à ce qu’il dit, ignorant comme il est, du dialecte de la tribu dans lequel cette relation est faite. « Tu vas m’écouter sans comprendre ce que je dis. » (HT.p.11).

Le vieillard mentionne à plusieurs reprises, ce que Robert Elbaz appelle « le porte-à-faux »2 de ce dialogue puisque son interlocuteur entend les mots sans pouvoir les décoder, c’est un témoin sourd-muet de ce qui est dit. De ce fait, il ne contribue que comme simple enregistreur du discours, il s’est manipuler une machine en restant neutre et indifférent à tout ce qui est raconté :

« Laisse donc ta machine s’imprégner de mes mots » (HT.p.12).

Et, finalement, par son incapacité de se déployer dans l’espace narratif, il ne peut que s’évanouir dans un néant. Le roman ne se fera pas dans le temps et l’événement narratif ne pourra se déployer qu’en dehors du temps.

DEUXIEME CHAPITRE