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2- L’émergence de l’oralité dans la littérature maghrébine

TROISIEME CHAPITRE ORALITE ET ECRITURE

III- 2- L’émergence de l’oralité dans la littérature maghrébine

La grande variété des formes d’expression de la littérature francophone dans les

pays du Maghreb est une preuve de richesse et de vitalité encore aujourd’hui. L’histoire a profondément modelé son visage tout au long d’un demi-siècle. L’écriture n’a cessé de rechercher de nouvelles formes, contestant les modèles traditionnels en quête de sa propre identité.

On peut observer surtout une déconcentration de la forme romanesque favorisant un dispositif importé de la culture maternelle : le discours narratif éclate en formes hybrides. Des œuvres aussi complexes que celles de Kateb Yacine ou de Tahar Ben Jelloun et de Rachid Mimouni reprennent la tradition orale de la littérature arabe des Mille et une nuits, du Coran aux récits souvent enchâssés les uns dans les autres.

La littérature maghrébine d’expression française, influencée par le patrimoine arabe et berbère, enrichie la langue et la culture française en les imprégnant de sensibilités, de nuances, d’humanisme nouveaux et de moyens d’expressions différents. Elle apparaît sous l’influence de l’émergence des mouvements de revendications nationalistes pour l’indépendance, c’est-à-dire sous l’influence d’une conscience politique.

L'étude du rapport de l'oralité avec l'écriture dans L'honneur de la tribu permet de

conclure que l'oralité a une place de choix dans les textes maghrébins notamment. Cela à

partir des années 1950 chez des écrivains

comme Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Mohammed Khaïr-Eddine, Abdelkébir Khatibi, Chems Nadir et Tahar Djaout dont l’intérêt le plus grand ici est la culture maternelle

Les écrivains maghrébins continuent à écrire sur leurs sociétés respectives qu’ils présentent par leur propre imaginaire et leurs constructions mentales en mettant en valeur l’historicité de la littérature. C’est avec l’éclatement du texte moderne qu’on parle de

fragmentation, d’hétérogénéité et de subversion. C’est la révolte contre les procédés narratologiques.

Les écrivains maghrébins de langue française veulent faire éclater toutes les contraintes aussi bien d’ordre idéologique que structurelles qui semblent enchaîner le roman ; ils veulent innovation et renouvellement de la parole et de ses procédés dans des sociétés décolonisées qui se doivent d’affronter leur reconstruction et les changements du monde moderne.

Avec M. Mammeri et depuis les années 1950, l'oralité marque de son sceau l'écriture romanesque au Maghreb. Elle signifie pour lui l'origine ou plus précisément la quête des origines dans un univers hostile à cette même origine.

Il a consacré sa vie et son oeuvre à la célébration de ses langue et culture maternelles. En défendant le berbère qui est doublement minoré par le Colonisateur, Mammeri tentait"de donner une portée universelle à une culture jusque-là réduite au silence."1. Le roman et l'anthropologie sont les deux moyens avec lesquelles l'auteur de La colline oubliée a transformé le particulier en universel, la méconnaissance en reconnaissance, le populaire en savant.

Dire que la colline était oubliée était en effet "une façon plus efficace d'affirmer son existence et, qui plus est, de participer à son inscription dans la mémoire universelle"2.Il voit que le seul moyen qui a pu échapper aux cultures dominantes et permis de retrouver en partie un savoir ancien, c’est collecter, traduire et analyser des documents divers. De la même manière, Kateb Yacine soucieux de faire parler la culture populaire maghrébine en puisant dans la tradition orale les éléments de sa mythologie, en renvoyant au peuple une image de « soi ». L'écrivain berbère atteint sa visée à se remémorer, à recueillir des traditions, des légendes, et c'est ainsi qu'avec l'aide d'amis ou de gens rencontrés dans le peuple, particulièrement celles qui concernent la tribu du Nadhor"3,

1- CHERIF Sara, op. cit, p. 145.

autrement dit la tribu des Keblout, élément important de sa mythologie personnelle dont on trouve des échos dans toute son oeuvre, y compris dans Nedjma.

Kateb Yacine a fusionné entre oralité et écriture, dans sa production littéraire, en marquant la beauté sémantique et visuelle qui sont synonyme à la fois de tradition et de modernité.

Les textes des années 1980 illustrent clairement que l’oralité devient un"thème" privilégié en écriture, une "forme -thème" à travers laquelle certains écrivains comme : Khaïr-Eddine, Ben Jelloun, Mimouni, Mellah, T. Djaout, H. Tengour et bien d'autres affirment que l'oralité symbolise"la langue d'affect" comme l’a appelée Abdallah Bounfour, et la culture maternelle non reconnue, leur but n’est pas de donner une teinte folklorique au texte écrit, mais un "trait différentiel" à l'énonciation, et une portée identitaire à celle-ci.

C’est également, comme nous l’avons mentionné dans notre problématique, faire advenir à l'universalité les cultures populaires sous estimées à travers lesquelles ils peuvent exprimer leur différence culturelle, en d'autres termes leur altérité. D’après Abdelwahab Meddeb, il faut quitter son pays natal pour aller à la recherche de son identité. En revendiquant l’exil, il signale que : « "L'exil t'apprend à te maintenir humble et fier. [...] L'exil n'est pas un châtiment, mais une quête."1

De même, M. Dib et A.Khatibi essaient d'atteindre à l'universel par une traversée des cultures et des rives :

"La traversée de territoires culturels multipliée à l'infini est bien ainsi devenue le moteur le plus puissant d'une écriture romanesque maghrébine actuelle qui assume enfin l'ubiquité de son lieu d'énonciation, laquelle n'est autre que celle-là même du genre romanesque."2.

Tous ces écrivains maghrébins aspirent en effet à une tendance d’écriture « néo-narrative » plus universelle, plus"contemporaine", selon Tahar Bekri. Il s’agit, en effet,

d’un particularisme forcené qui s'explique par le contexte géopolitique dans lequel ces écrivains évoluent.

Ces écrivains dont les romans sont nourris de légendes, tournures, expressions, cherchent par cette écriture fortement colorée par l'oral à affirmer la particularité de l'énonciation narrative qui relève de l'expression identitaire.

Ils s’intéressent surtout aux langages et traditions populaires, ils demeurent prisonniers de leur propre enfermement spatio-temporel, ils ont vécu l'acculturation. Parce qu'ils écrivent en lieu autre que le signifiant redevient fortement localisé; le but étant d'engager un débat, un dialogue. Ils présentent également une mouvance qui investit l'écriture par divers aspects de l'oralité (éthnolinguisme, imagerie et sagesse populaires, structure narrative du récit oral ...), c'est l'investir de sa culture originelle, c'est également lui assigner une portée identitaire.

De ce fait la coloration du texte écrit, par les facettes multiples de l'oral, devient une manière de refuser "l'intégration littéraire", l’assimilation et l’acculturation ; une façon de se rebeller contre un type d'écriture "uniforme"1.

Ces écrivains se caractérisent ainsi par une dualité de leur production littéraire : une écriture utilisant le français comme langue d'usage mais qui se ressource dans la tradition orale. Loin d'être l'artisan d'un produit littéraire, l'écrivain devient dans ce sens, une sorte de "canal"2permettant la transmission d'"une parole vive"3.

En analysant des nouvelles écrites en arabe littéraire et en parlant du surgissement de l'oral dans le texte écrit, Abdallah Bounfour remarque que :

"l'irruption du dialectal dans le classique, c'est l'irruption d'une langue passionnelle dans l'écriture classique. Elle permet de rappeler qu'on travaille, qu'on est travaillé par l'interlangue [car] introduire des mots dialectaux est une manière de perturber le rythme

1- CHERIF Sara, op. cit, p.163

2-BOUNFOUR Abdallah , "Oralité et écriture : un rapport complexe", La Revue de l'Occident Musulman

de la phrase classique. Cette perturbation touche le fondement de la langue, à savoir la quantité, l'accentuation et la structure syllabique."1

La langue maternelle surgit dans la littérature maghrébine, mais traduite, "tempérée". Elle épouse, s'approprie le matériau linguistique français. Nous pouvons noter l’émergence de ces « mots savourés » de la langue maternelle dans les textes de T. Ben Jelloun, notamment dans La nuit sacrée; il choisit comme langue d'expression et de "loi" le français, sans néanmoins prétendre violenter, comme autrefois, la structure de sa langue d'écriture. car aujourd'hui le but de Ben Jelloun n'est plus de déranger les normes scripturaires de la langue de l'autre, mais d'y insérer modérément la sienne en la traduisant.

En effet aujourd'hui son rapport à la langue française n'est plus un rapport passionnel, il le dit lui-même dans l'un de ses articles :

"La question de la langue me parait secondaire. D'abord écrire. (...) Pour ce qui me concerne, non seulement je ne doute pas une seconde de mon identité, arabe et maghrébine, et je n'ai pas la moindre mauvaise conscience ou culpabilité à l'égard de mon écriture française"2.

Il s'agit plutôt d'une transposition métaphorique, donc littéraire; exigeant de ce fait, de la part de l'écrivain, un travail minutieux sur la langue, les mots et les images. Cet effort de transposition de l'oral à l'écrit apparaît à plusieurs niveaux. Les travaux de