• Aucun résultat trouvé

TROISIEME CHAPITRE ORALITE ET ECRITURE

III- 1- Oralité et écriture

« En un siècle d'oralité triomphante, avec l'extraordinaire développement des nouveaux moyens de communication, conserver la parole est un devoir si l'on veut éviter que la surinformation dématérialisée, caractéristique de notre époque, n'entraîne la disparition de la mémoire de notre temps »

Georgette Elgey, Le Monde, vendredi 26 janvier 2001, p. 17.

Nous abordons maintenant dans cette partie sur l'œuvre de l'oralité, un aspect qui va nous conduire vers la dimension culturelle et identitaire pour tenter de saisir les éléments qui caractérisent l'écriture de Mimouni.

Ce que nous désignons ici par discours de l'oralité nous servira à montrer que l'œuvre de l'oralité se rattache aussi au rapport de l'œuvre et de l'écriture à cet héritage culturel, identitaire que l'écrivain a à gérer et qui nourrit sa création.

Chacun de nous naît dans un système social qui comporte ses valeurs, ses priorités, ses codes, ses non-dits et ses fiertés. Un individu utilise l’ensemble de ses codes dans son œuvre. Quand l’expérience de l’altérité vient bousculer ces évidences, au travers de l’éducation, des contacts et de l’exil, l’individu subit alors un certain nombre de remises en cause de ce qu’il a vécu comme constitutif de lui-même.

« Vous allez au-delà des mers, en France. Essayez d’acquérir les valeurs positives de ce grand pays, mais ne touchez pas à celles qui seraient mauvaises. Mais dans le même temps, conservez précieusement les valeurs héritées de nos ancêtres et oubliez celles d’entre-elles qui serait négatives »1.

Dans cette situation, l’entre-deux s’installe, les liens se tissent, les échanges peuvent aller de l’emprunt à l’assimilation ou au rejet de tel ou tel élément de chaque culture. En matière d’écriture, les genres se combinent, les mots se heurtent, les thèmes d’une culture épousent la langue de l’autre. L’interculturel va de paire avec une complexité linguistique qui entraîne un certain nombre d’ambiguïté.

1-Exhortation faite en1929 par un nationaliste à un jeune en partance pour la métropole, in « L’Autobiographie en

Parmi celles-ci, les éléments qui fondent l’identité de la personne au sein de son groupe d’origine sont une des sources les plus difficiles à éclaircirent son influence sur la production littéraire.

Quelques rappels sont nécessaires quant au jeu et à l'enjeu qui marquent les rapports entre oralité et écriture en tant que formes de communication linguistique placées au centre de cette problématique. L'écriture permet la fixation de l'histoire, elle vient surtout de concrétiser le rêve humain « d'affranchissement vis-à-vis de la nature, du tissu matériel, de l'existant vécu comme contrainte. »1

Elle instaure aussi une esthétique particulière, des attitudes culturelles et des conceptions du langage : « l'écriture possède l'étonnante vertu de métamorphoser le sens en objet.»2.

La transcription écrite fait partie d'un univers pictural appartenant lui-même au champ de la tradition orale. Lieu de mémoire, cette picturalité, dépositaire d'une partie de la culture, permet à la parole de s'exprimer.

Si la relation entre oralité et écriture suscite bien des controverses, si l'aventure de l'écriture bouleverse le monde de l'oralité, il reste que de l'une à l'autre, que « de l'ordre pictural à l'ordre linguistique » se dessine « une complémentarité sémiologique »3.

La complexité des rapports qu'entretiennent l'oralité et l'écriture tient à ce que leur nature va de la proximité à l'opposition, en passant par la transposition, la transformation, la mutation, l'intertextualité et la réinterprétation. Disons le tout de suite, c'est bien cette complexité qui nous interpelle ici.

En effet, nous retenons de ce grand débat, marqué, notamment par la réflexion de Derrida4, qu'une « archi-écriture » s'inscrit dans la voix, porteuse de langage, le rapport

1-ZUMTHOR Paul, op. cit, p. 86. in MEZGUELDI Zohra, op. cit, p. 1. 2- Ibid., p. 89.

est trace faite de corps et de mémoire. Ce rapport de proximité vient aussi rappeler le fondement corporel et biologique de toute connaissance.

Le texte littéraire est le lieu d'une organisation polyphonique, traversé par des voix qui s'entrecroisent et s'opposent. Depuis les travaux de Kriesteva, le discours littéraire est « un produit de la parole, un objet discursif d'échange »1.

En tant qu'espace polyphonique, le texte littéraire, discours écrit, laisse transparaître, notamment lorsqu'il dialogue avec d'autres textes - qui peuvent être aussi oraux, empruntés à l'oralité ou cite d'autres discours, une origine qui serait de l'ordre de la voix et dont il faut rechercher les traces.

La littérature maghrébine de langue française occupe une place très importante qui offre alors à l'écriture une tentative de réconcilier la parole vive et le mot écrit. Il s’agit de la réalisation de la transformation du mot en parole d'écriture. Examiner ce type de transformation telle qu'elle s'opère dans et par l'écriture de Rachid Mimouni, tel est l'un des objectifs de ce travail.

Tous les aspects du rapport oralité- écriture que nous avons essayé de rappeler ici, nous semblent relever, en fin de compte, d'une même complexité. Une grande contradiction domine cet ensemble, « le mot artistique est un arrêt, l'écriture une procédure qui fixe la parole et lui ôte les variations expressives ».2

Notre intention est de souligner en quoi la pratique esthétique de Mimouni cherche à mettre en avant les caractéristiques éclatantes de la parole.

Vivant dans les contradictions et les déchirements de sa génération, à l'instar des écrivains marqués par l'esprit de Souffles, Mimouni ne conçoit pas une littérature en dehors de l'engagement. Celui-ci correspond chez lui, non seulement à la prise en charge du mal collectif, à la remise en question des origines, de l'identité patriarcale et du pouvoir sous toutes ses formes, à la dérision du pouvoir politique, à l'ébranlement de tous

1- KRIESTEVA Julia, Le texte du roman : Approche sémiologique d’une structure discursive

les systèmes politiques, sociaux et identitaires mais aussi et surtout à un travail qui se situe au centre même de l'écriture.