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II. Développement et caractéristiques de la fonction orale

2. Oralité : les enjeux

2.1. Les enjeux relationnels et sociaux

Au-delà de l’enjeu vital, la fonction alimentaire est indispensable sur le plan social, psychologique, culturel, relationnel, identitaire… Autrement dit, c’est principalement à travers la relation orale que l’enfant expérimente le monde et perçoit son environnement. La naissance met fin au lien « fœto-maternel », et instaure une nouvelle relation mère- enfant. Au fur et à mesure de son développement, nous avons vu que l’enfant acquiert de l’autonomie, et se détache progressivement de sa mère. Le passage de l’alimentation lactéale (au sein ou au biberon), au cours de laquelle l’alimentation est une réponse de la mère à une pulsion du bébé, à l’alimentation solide où l’enfant renonce à ces plaisirs et commence à prendre des risques, illustre bien l’importance de la double stratégie alimentaire, nécessaire pour une transition en douceur entre ces deux modes

alimentaires.43 En se détachant de cette manière, l’enfant prend petit à petit conscience de son individualité et de son existence propre.

De la même façon, en exprimant ses besoins et ses affects, l’enfant expérimente des émotions différentes, qui sont également nécessaires à la construction de son identité : la satisfaction, la tristesse, le dégoût, la colère.

Socialement, le repas a une importance primordiale. Qu’il s’agisse des communautés les plus ancestrales ou de la culture occidentale moderne, le repas est le moment où tout le monde est réuni afin de partager quelque chose de commun. Il symbolise la convivialité et le partage. Si c’est au sein de sa famille que l’enfant acquiert les règles sociales du repas (rester assis, manger avec la fourchette, etc.), c’est à l’entrée en maternelle, et surtout lors des repas à la cantine qu’il peut appliquer ces règles et développer une bonne praxie alimentaire.

2.2. La construction du goût

Il est important de s’intéresser à la construction du goût chez l’enfant.

D’un point de vue sensoriel, un aliment est caractérisé par sa texture, son apparence, et sa flaveur. Celle-ci est la somme de quatre composantes gustatives (le salé, le sucré, l’acide et l’amer), olfactives (par voie nasale directe ou par voie rétro-nasale passant par le pharynx), et chémesthésique (perception de la température).44

C’est souvent la flaveur qui est citée comme principal facteur du goût de l’enfant (« j’aime »/ « je n’aime pas »), alors que la texture et l’apparence sont deux caractéristiques à considérer fortement. En effet, c’est la double présentation gustative et olfactive qui donne le goût complet de l’aliment.

Le système gustatif se met en place dès la 10ème semaine de gestation. La langue est formée de muscles (dix-sept) et de peau, recouverte de papilles. Cette muqueuse linguale réagit de la même manière que la peau dans tout le reste du corps : réaction à la température, à la douleur, au chatouillement… Les papilles linguales renferment les bourgeons du goût, que l’on peut classer en 4 types45 :

- Papilles filiformes, situées sur le dos de la langue et le voile du palais - Papilles fongiformes, situées sur la pointe de la langue

- Papilles foliées, situées sur les bords de la langue

- Papilles caliciformes, de grande taille, au nombre de 5 ou 6 de chaque côté de la langue

43 THIBAULT C., Orthophonie et oralité : la sphère oro-faciale de l’enfant, 2007. 44 NICKLAUS S. et al., Les perceptions gustatives chez l’enfant, 2005.

Il existe des zones de réception gustative préférentielles :

Figure 5 - La répartition des goûts que perçoit la langue

En naissant, le nouveau-né serait plus sensible aux saveurs sucrées, et ce de façon innée, contrairement à l’acide et à l’amer qui font l’objet d’un rejet immédiat chez la presque totalité des bébés. Certaines études rapprochent cette attirance pour le sucré des propriétés analgésiques des saveurs sucrées, utilisées pour soulager la douleur pendant les piqûres par exemple. Lorsque les papilles gustatives sont mises en contact avec un liquide sucré, on peut observer un « léchage des lèvres, une succion rythmée, une relaxation du visage, parfois un sourire »46, alors que lorsqu’elles sont mises en contact avec de l’amer ou de l’acide, on constate « un abaissement des coins de la bouche, son ouverture, des clignements des yeux, une protrusion et un aplatissement de la langue, des mouvements de la tête et une forte salivation »47, réactions interprétées comme du déplaisir. La réaction au salé est quant à elle inexistante.

En grandissant, le nourrisson a toujours une préférence pour le sucré, mais le salé provoque désormais des réactions chez lui (autour de 4 mois). De 6 à 24 mois, il préfère clairement les solutions et les aliments salés. Cependant, le lait infantile salé est de moins en moins apprécié entre 2 et 7 mois. Il y a donc clairement une implication de la texture dans l’appréciation des goûts des aliments.

Chez le grand enfant et l’adolescent, la préférence pour les aliments salés mise en place durant la deuxième année se maintient.

46 NICKLAUS S. et al., Les perceptions gustatives chez l’enfant, 2005. 47 Ibid.

Il existe des préférences universelles qui regroupent les aliments sucrés (fruits, pâtisseries…), les aliments salés et les féculents (pâtes, riz, pommes de terre, purée…), certaines viandes (poulet, bœuf) et les laitages. En outre, il existe également des aversions plus ou moins universelles (abats, la plupart des légumes et certains aliments au goût très prononcé type fromage fort, olives…), qui dépendent cependant de la culture. Plus l’enfant grandit, plus il est capable de dépasser ses limites sensorielles, et accepte de goûter de nouveaux aliments.

L’oralité est un concept complexe, mêlant l’aspect psychologique et physiologique de l’individu. Comme nous venons de le constater, elle se construit tout au long de l’enfance à travers des étapes bien définies. L’alimentation de l’enfant traverse toutes ces étapes, et constitue le fil rouge de l’oralité alimentaire.

Nous allons à présent tenter de comprendre à quel point la nutrition de l’enfant est organisée et hiérarchisée, et combien participe à son bon développement physique et psychique.

Chapitre III

ENFANT ET ALIMENTATION

I. La transition entre la nutrition du fœtus et celle du