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tout en opposition à Lex Luthor, est sorti en salle dans une version de deux heures et demie avant d’être remonté pour une extended cut de trois heures, là où Justice League , qui intronise

véritablement Flash

610

, Cyborg

611

et Aquaman

612

ne fait que deux heures.

Il en va de même pour Suicide Squad qui, en définitive, s’articule majoritairement autour de

Harley Quinn et de Deadshot. Employer la durée d’un film à faire exister de façon équitable les

différents membres d’une famille recomposée est la problématique principale de la production

du DC extended Universequi a délibérément choisi de prendre une autre voie que son principal

concurrent, Marvel, produisant successivement plusieurs films autour d’un seul personnage

avant de les intégrer au fur et à mesure dans des productions réunissant différentes licences,

comme ce fut le cas pour The Avengers

613

, deuxième plus gros succès en salle de l’histoire des

films de superhéros depuis 1978

614

. Une explication plausible quant à la démarche

d’intronisation de ces différents produits par DC Comics serait de concevoir son catalogue de

personnages comme un véritable panthéon moderne, sous-entendant de fait que chacun de ses

superhéros est de toute évidence connu du grand public sans avoir besoin de le présenter,

609 François Theurel, Suicide Squad : l’impasse du système, Le Fossoyeur de Films, YouTube, 2016. 3min44. 610 Gardner Fox et Harry Lampert, Flash Comics #1, New York, DC Comics, 1940.

611 Marv Wolfman et George Pérez, DC Comics Presents #26, New York, DC Comics, 1980. 612 Paul Norris et Mort Weisinger, More Fun Comics #73, New York, DC Comics, 1941. 613 Joss Whedon, Marvel’s The Avengers, Marvel Studios, 2012.

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rejoignant la définition des mythes en tant qu’ « histoires que tout le monde connaît déjà »

comme le souligne Michel Tournier dans Le Vent Paraclet

615

. Car, héritières d’une longue

tradition mythologique, les productions DC Comics sont finalement mythogènes au même sens

où l’entend Christian Chelebourg vis-à-vis des fictions de jeunesse

.616

Cette définition renvoie

à ce qu’explique François Theurel : la culture populaire, au même titre que les mythes, parle à

un large public qui s’approprie la mythologie qu’elle crée. Si Zack Snyder met une énième fois

en scène la mort des parents de Bruce Wayne en ouverture de Batman V Superman, ce n’est pas

nécessairement pour que le public soit au fait des origines du justicier qu’il connait sans doute

déjà, mais pour amener des éléments scénaristiques propres à son récit, à savoir l’épiphanie

future autour de Martha. La réécriture sert avant tout à instaurer l’élément familial comme clé

de l’œuvre.

Pour Justice League, film fédérateur de cet univers cinématographique étendu, chaque

composante de l’équipe-titre, si elle n’a pas été introduite par un film précédent, bénéficie d’une

rapide scène visant à installer son histoire personnelle, et chacune d’elles se focalise sur la

cellule familiale : le quotidien de Barry Allen est rythmé par ses visites en prison pour

s’entretenir avec un père potentiellement à l’origine d’un drame familial

617

, Victor Stone est

ramené à la vie par un père à qui il a du mal à confier son mal-être de se transformer finalement

en créature synthétique à mi-chemin entre la vie et la mort

618

et Arthur Curry est adopté par une

communauté de pêcheurs dont il est devenu la figure tutélaire et le protecteur

619

. Dans Justice

615 Michel Tournier, Le Vent Paraclet, Paris, Gallimard, 1979. P.189.

616 Christian Chelebourg, « Du Mythe au mythogène : fictions de jeunesse et réécriture » in Riccardo Barontini et Julien Lamy, L’Histoire du concept d’imagination en France (1918-2014), Classiques Garnier, 2015. P.6: La prolifération des réécritures témoigne d’une aptitude du personnel des fictions de jeunesse à s’ériger au rang du mythe. On pourrait parler à ce propos de mythogénie, autrement dit de tendance de ces histoires non plus seulement à imiter le mythe, à en reproduire la forme, mais à le générer, à en retrouver la dynamique.

617 Zack Snyder, Justice League, Warner Bros, 2017. 17min10. 618Ibid. 19min23.

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League, chaque personnage possède une famille plus ou moins dysfonctionnelle dont il

s’émancipe pour rejoindre la Ligue des Justiciers. Dans Suicide Squad, l’équipe-titre est plus

nombreuses mais seulement certains de ses éléments sont approfondis : Harleen Quinzel, Floyd

Lawton, June Moon

620

et Chato Santana

621

bénéficient tous d’une backstory retraçant leurs

déboires familiaux ou les problématiques de leurs couples. Le DC Extended Universe semble

instaurer une certaine idée de la caractérisation des personnages : le passif familial semble être

le seul moyen de donner du corps à un personnage que le public rencontre pour la première fois

à l’écran, et ce procédé s’articule entièrement autour de la notion d’empathie. Des individus au

passé trouble ou inexistant, comme le Joker dans The Dark Knight ou Bane dans The Dark

Knight Rises, sont nécessairement des antagonistes dont l’objectif est d’être uniquement perçus

comme de véritables menaces, contrairement au Ra’s Al Ghul de Batman Begins dont le rôle

de mentor puis d’ennemi se fait dans une logique de basculement psychologique du héros sur

lequel se focalise le public et auquel il s’identifie. Les origines du Joker de Suicide Squad ne

sont jamais soulignées, car il ne fait pas partie de la tribu et possède un rôle d’électron libre

divinisé comme un élément chaotique apparaissant à des nœuds scénaristiques pour bouleverser

le cours du récit. Avoir une famille c’est être humain et bénéficier de l’empathie du public.

L’accueil mitigé des films de l’écurie DC s’explique essentiellement en termes de production,

étant donné que les studios Marvel jouent également la carte de la thématique familiale

surexploitée dans le fond de leurs intrigues. Plus encore, les deux univers sont pratiquement

similaires en tout point : les schémas des films sérialisés Warner Bros/DC et Marvel Studios se

retrouvent d’un univers à l’autre. Le noyau dur de la production, les longs métrages chorals

regroupant les personnages de différentes licences comme Justice League et The Avengers, sont

composés de justiciers occupant des statuts et des postes similaires au sein de leur tribu : Bruce

Wayne/Batman et Tony Stark/Iron Man sont les chefs de file ayant regroupé leurs semblables

et sont tous deux des milliardaires technologiques. Captain America et Superman, deux

surhommes symbolisant la toute puissante Amérique sont à la fois leurs amis et collaborateurs

les plus proches mais également leurs rivaux sur certains points idéologiques. Wonder Woman

et Thor sont tous deux des personnages mythologiques, une amazone et un dieu nordique,

adoptés par l’humanité qu’ils servent et protègent tout en s’adaptant à son mode de vie.

Hollywood est le champ de bataille de deux géants luttant l’un contre l’autre en proposant au

public la même recette appliquée de façons différentes. Car l’enjeu est de taille et la licence se

doit de marquer les esprits, les cultures et le temps, conformément à ce qu’en écrit Joseph

620 David Ayer, Suicide Squad, Warner Bros, 2016. 18min. 621Ibid. 1h21min31.

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Turow : « une marque, hautement profitable à travers le temps comme à travers les médias. »

622

,

une règle d’or en termes de communication de masse. Pourtant, la mondialisation culturelle et

l’arrivée d’Internet ont prouvé que ce dernier possédait une partie du pouvoir créatif autour

d’une licence. Si les producteurs et les distributeurs ont pour objectif principal de vendre un

produit culturel, leur rôle est pourtant bien moins important qu’il n’y parait. Car pour vendre,

l’adaptabilité de l’offre vis-à-vis de la demande est une règle fondamentale : en d’autres termes,

ce sont les acheteurs, les consommateurs, le public, qui font et défont les modes et dictent à la

production quel type d’œuvre ils désirent consommer. Comme le souligne Hélène

Monnet-Cantagrel dans son article « La Franchise, une forme culturelle ? »: « La préoccupation du

public y domine au point de déterminer la création dans ses moindres composantes. Il s’agit

avant tout de modeler la fiction en fonction du public visé »

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. Le pouvoir du public est

fondamental pour faire vivre une production culturelle, et ce processus entraîne également une

participation d’auteurs divers, officiels ou non, détenteurs de licence ou non, qui vont faire vivre

l’œuvre à travers leur propre vision. Si ces observations s’appliquent ici au cinéma, il est notable

que le médium bédéique originel de ces créations est aussi fortement impacté par cette notion

d’auteur et de vision. Le nombre imposant d’œuvres servant de base au transmédia s’est, au fil

des décennies, agrémenté de variations faisant la part belle à de nombreux styles hérités de

traditions culturelles plus anciennes, renforçant un peu plus encore la dimension véritablement

intemporelle et adaptable de ces productions.

E) Elseworld : le Batman sous toutes les cultures

Avec de nombreux passages par des styles et des univers variant selon les périodes

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