• Aucun résultat trouvé

Bruce Wayne est une idylle médiatique qui lui pèse lourdement et lui donne l’occasion de souligner sa place différente dans la vie de l’héritier : elle n’est pas comme toutes les autres,

elle ne tolère pas d’être un trophée supplémentaire sur son tableau de chasse

408

. Sa volonté de

se placer au-dessus de toutes celles que Bruce Wayne a aimées souligne néanmoins son manque

d’indépendance vis-à-vis de ce dernier. Mais elle montre également que les relations de

l’héritier sont connues de tous, même dans leurs dimensions factices et éphémères. Jezebel veut

gagner sa confiance pour demeurer au plus près de lui, cette position étant idéale pour

quiconque voudrait le trahir. « Je pensais que nous avions tellement de potentiel. Mais ça ne va

nulle part, pas vrai ? Nous ne serons jamais plus proches que ça » conclut la jeune femme tandis

qu’un serveur verse du vin rouge dans le verre à travers lequel le lecteur découvre son visage

grimaçant de dépit

409

. Le liquide écarlate est annonciateur des événements à venir : en quittant

Bruce Wayne, Jezebel scelle le destin qu’elle souhaite lui écrire en le trahissant et en le livrant

au Gant Noir

410

mais également son avenir personnel. Sa décapitation par Talia Al Ghul est

comme un signe de représailles envers le Batman

411

. La fonction de Jezebel Jet est d’atteindre

le Chevalier Noir non pas en s’en prenant à ses proches mais en s’en prenant à Bruce Wayne

directement, transformant ainsi l’appétit sentimental de l’héritier en point faible. Mais au même

titre que les autres amours du Batman, Jezebel quitte la diégèse sans jamais fonder de famille

avec lui. A l’instar de son homologue biblique, elle ne devient jamais reine et meurt de façon

brutale

412

. Si la jeune mannequin se pose comme un énième dommage collatéral, sa mort ne

démontre pas une nouvelle fois le désir d’atteindre le Croisé à la Cape en attaquant ses proches

mais davantage une preuve de jalousie exacerbée de la part de Talia Al Ghul : « Pourquoi

est-il si prévisible ? Toutes ces potiches ridicules qu'est-il collectionne avec leurs noms de James Bond

Girls... […] Damian est un enfant prodige. Et Batman, son père, m'appartient à moi. Pas à

408 Grant Morrison et Ryan Benjamin, Batman #675, New York, DC Comics, 2008. Planches 2 et 3 (double page), cases 7, 8 et 9 : “What’s wrong is when you disappear all the time and I can’t reach you ! What’s wrong is all the mystery and the evasion. What’s wrong is this whole pressure cooker, high profile media romance we seem to be caught up in…Bruce, I’m not one of your bimbo heiresses, do you understand? I’m not some idiot clotheshorse you can treat like dirt because she’s high on cocaine […] There’s so much more than just this…this superficial life. So why do I feel as though all I ever see is…is the mask of a man Bruce?” (« Ce qui ne va pas c'est ta manie de disparaître tout le temps, de rester injoignable ! Ce qui ne va pas ce sont les mystères et les désertions. Ce qui ne va pas c'est cette romance médiatique pleine de pressions de toutes sortes dans laquelle nous nous sommes englués. Je ne suis pas un de ces porte-manteaux que tu peux traiter plus bas que terre, pas une de ces filles constamment sous cocaïne... […] Il y a quelque chose au-delà de...de cette vie superficielle...alors pourquoi ai-je l'impression de ne voir qu'un masque, Bruce ? »)

409Ibid. Planche 4, case 5 : “I thought we had so much potential. But this is going nowhere, isn’t it? We’ll never be closer than this.”

410 Grant Morrison et Tony Daniel, Batman #680, New York, DC Comics, 2008. Planche 24. 411Ibid. Planche 30.

412 Jezebel Jet est décapitée sur ordre de Talia tandis que Jezabel est défenestrée, piétinée par des chevaux puis dévorée par des chiens errants.

126

elle. »

413

. La double page qui présente sa prise de décision invoque la dangerosité de Talia de

par sa composition : le découpage en plans serrés de la préparation de son plan symbolise le

côté méthodique du personnage, faisant preuve d’un sérieux exemplaire lorsqu’il s’agit de s’en

prendre à celles qui se mettent en travers de sa route et souligne son obsession. Le plan

d’ensemble qui s’étend sur les deux pages est une illustration par le gigantisme des ressources

que possède Talia pour arriver à ses fins. La combinaison de ces deux types de mise en scène

accentue la menace qu’elle représente. Le personnage de Talia met ici en avant un élément clé

de sa relation avec Bruce Wayne : elle n’est pas comme les autres, elle est bien plus que Jezebel,

Vicky, Silver et consorts. Avec Selina Kyle, les deux femmes appartiennent à une classe plus

élevée d’intérêt amoureux dans le sens où elles apportent bien plus au personnage : une stabilité,

une constance et de véritables attaches, si douloureuses puissent-elles être.

413 Grant Morrison et Ryan Benjamin, Batman #675, New York, DC Comics, 2008. Planche 8, Cases 3 et 5 : “Why is he always so obvious ? All these ridiculous women he woos and discards, along with their Bond Girl names. […] Damian is a wonderchild. And Batman, his father belongs to me. Not to her.”

127

B) Je t’aime, moi non plus : le jeu du chat et de la (chauve) souris

Selina Kyle et Talia Al Ghul forment les deux facettes d’une même pièce, celle de la

Femme vue par l’homme hétérosexuel de la société patriarcale : la mère et la putain. Catwoman

est une amante occasionnelle de Bruce Wayne, son totem félin insistant sur sa sexualité

décomplexée, et la fille de Ras Al Ghul est la génitrice de Damian Wayne, le fils biologique du

Chevalier Noir. Ces deux personnages apparaissent de façon constante dans la licence depuis

leur création

414

et le chassé-croisé amoureux qu’elles opèrent avec Bruce Wayne n’a pour

l’heure aucune conclusion définitive contrairement au bestiaire précédemment étudié. Seul le

film The Dark Knight Rises de Christopher Nolan met en opposition ces deux figures féminines

en offrant une conclusion à leurs sous-intrigues amoureuses : Talia est tuée par le Batman

qu’elle a séduit puis trahi

415

, Selina quitte Gotham City avec Bruce Wayne pour vivre

secrètement avec lui en Italie

416

. L’héritier des Wayne sacre la jeune femme en lui laissant

porter le fameux collier de perles de Martha qu’elle lui avait dérobé au début du film, marquant

ainsi définitivement son attachement pour celle qui partage sa nouvelle vie loin de Gotham et,

surtout, sans le Batman. Cette fin marque la synthèse des deux figures opposées qui se dégage

de Catwoman. Le personnage est arrivé dans la licence dès ses débuts éditoriaux et possède, à

l’instar du justicier, pléthores d’adaptations, de relectures et de refontes en termes de

caractérisation. Elle s’adapte aux mœurs, aux époques et aux publics au fil des décennies au

même titre que le principal protagoniste dont elle est, en définitive, l’homologue féminin. Elle

est une version féminine et féministe du Chevalier Noir dotée d’un cynisme plus prononcé

vis-à-vis des aléas de l’existence, ce qui la place également sur la frontière séparant légalité et

414 Selina Kyle: Bob Kane et Bill Finger, Batman #1, New York, DC Comics, 1940. Talia Al Ghul: Denny O’Neil et Bob Brown, Detective Comics #411, New York, DC Comics, 1971.

415 Christopher Nolan, The Dark Knight Rises, Warner Bros, 2012. 2h28min32sec.

416Ibid. 2h36min27sec. Le jeu du champ/contre-champ entre Bruce et Alfred souligne la complicité entre le père spirituel et le fils mais la présence de Selina Kyle au premier plan la situe spatialement entre eux deux, la présentant symboliquement comme l’idéal de vie dont parlait le majordome dans le film précédent, l’élément manquant dans la vie du justicier pour qu’il trouve la force de se retirer et d’être heureux.

128

illégalité, tout comme l’homme chauve-souris, avec un penchant plus marqué pour la

délinquance. Dans The Dark Knight Rises, elle n’hésite pas à jouer pour elle-même, trahissant

puis sauvant le protecteur de Gotham City tout en remettant toujours en cause sa soif de

justice

417

à laquelle elle cède bien souvent, soulignant de fait sa capacité à être une justicière

autant qu’une criminelle. Car la particularité de ces deux femmes est avant tout leur nature

d’antagoniste vis-à-vis du Croisé à la cape.

Talia est la fille de Ra’s Al Ghul, l’un des plus récurrents antagonistes de la licence, être

millénaire à la tête d’une organisation mondiale, la Ligue des Assassins, dont le but est de faire

régner l’ordre et la justice par tous les moyens possibles, y compris le génocide. Il est le premier

ennemi du Batman de Christopher Nolan. Sa mort au terme de Batman Begins laisse à sa fille

l’occasion de revenir à Gotham pour le venger dans The Dark Knight Rises. Talia a suivi les

principes de son père jusqu’à sa propre mort en conclusion de ce troisième volet, là où Bruce

Wayne, ancien disciple de Ra’s, a préféré le trahir. D’un point de vue idéologique, les deux

amants ont la même figure d’autorité, à la différence que l’héritier des Wayne est un renégat.

C’est une confrontation idéologique qui l’oppose à Talia, dont l’héritage est une mission suicide

visant à détruire la ville que le Batman s’échine à sauver depuis le serment qu’il a fait à la

mémoire de ses parents

418

. Le nom-même des Al Ghul, signifiant « tête de démon » en arabe,

renvoie à la notion d’héritage : il est un titre, celui de qui se place à la tête de la Ligue des

Assassins, qui la dirige. Talia est une héritière au même titre que Bruce Wayne, mais son

combat, bien qu’ayant les mêmes aboutissants, ne passe pas par les mêmes tenants et fait preuve

d’une violence confinant au terrorisme. L’arc narratif Hush de Jeph Loeb et Jim Lee fait

mention d’une Talia en désaccord avec son père qu’elle a semble-t-il renié au point de changer

son patronyme

419

. Pourtant, son nouvel alias, Talia Head, renvoie directement à celui de Ra’s

417 Christopher Nolan, The Dark Knight Rises, Warner Bros, 2012. 2h20min19sec: “Come with me. Save yourself. You don’t owe this people anymore. You’ve given them everything.” (« Viens avec moi. Sauve-toi. Tu ne leur dois plus rien désormais. Tu leur as déjà tout donné. ») déclare la jeune femme aux portes de la ville en proie au chaos avant d’embrasser son amant.

418Ibid. 2h18min35sec : “The League took us in and trained us. But my father could not accept Bane. He saw only a monster who’s very existence was a reminder of the hell he let his wife die. He excommunicated Bane from the League of Shadows. His only crime was he loved me. I could not forgive my father. Until you murdered him. […] I honor my father by finishing his work.” (« La Ligue nous a pris et nous a formés. Mais mon père n’a pas pu tolérer Bane. Il ne voyait en lui qu’un monstre dont l’existence même était un souvenir de l’enfer dans lequel il avait laissé mourir sa femme. Il excommunia Bane de la Ligue des Ombres. Son seul crime était celui de m’aimer. Il ne put pardonner mon père. Jusqu’à ce que tu l’assassines. […] Je vais honorer sa mémoire en terminant son œuvre »).

129

en reprenant le motif de la tête, de la direction et de la gouvernance

420

. Si le personnage se

contente d’un passage éclair au sein de ce récit, celui de Selina Kyle se fait davantage récurrente

et les questionnements de Bruce Wayne sur la relation qu’il entretient avec elle, forment une

base solide au schéma de leur relation : « Derrière nos masques de Batman et Catwoman, une

sorte…d’idylle s’est formée entre nous… Idylle que ne partagent pas nos alter egos, Bruce et

Selina. »

421

.

Le jeu du chat et de la chauve-souris est mis en lumière : la voleuse échappe aux griffes

Outline

Documents relatifs