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Ce que les ontologies ne sont pas

1.3 Une brève présentation du Web Sémantique

2.1.1 Ce que les ontologies ne sont pas

Une bonne manière de circonscrire ce qu’est A consiste souvent à dire ce qu’il n’est pas. Pour les ontologies plus encore, de part leur nature éminemment trans- disciplinaire, leurs multiples usages et parentés avec la linguistique, l’Intelligence Artificielle, la philosophie et la science des données, cette première circonscription apparaît plus nécessaire encore.

Un vocabulaire commun En tant qu’une ontologie caractérise ou définit – nous

n’exploiterons pas cette distinction ici 2 – les concepts centraux d’un domaine de

connaissance, il serait tentant d’appréhender son élaboration et son usage comme l’adoption d’un vocabulaire ou d’un dictionnaire commun – au sens linguistique ou technique du terme. 3 Ce raccourci ne ferait cependant pas justice à l’Ingénierie des

1«An ontology is an explicit specification of a conceptualization. The term is borrowed from

philosophy, where an ontology is a systematic account of Existence. For knowledge-based systems, what “exists” is exactly that which can be represented.» (Gruber 1993, p. 199) On trouve aussi

«L’ingénierie des connaissances fait partie de ces disciplines. Une manière de la caractériser est

de la définir comme la modélisation formelle de problèmes pour lesquels les seules connaissances dont on dispose sont de nature linguistiques ou cognitives» (Bachimont 2000, p. 306)

2Cette distinction avait en effet plus de sens dans le cas de systèmes d’information antérieurs

aux ontologies au sens moderne et technique du terme comme dans le cas de l’analyseur sémantique présenté en (Hobbs, Croft et al. 1987).

3«The purpose of such ontologies is both to give an articulate internal structure to electronic in-

formation repositories, and to make possible the interoperability or inter-translatability of different repositories containing different information, in such a way that the information in both reposi- tories can be understood in terms of a common language. The ontological problem of information

Connaissances – ou Ingénierie Ontologique (Monnin 2015) – pour au moins trois

raisons.

La première et la plus importante d’entre-elles est que, à la différence d’un dic- tionnaire, une ontologie n’énonce pas tant les conditions nécessaires et suffisantes d’applicabilité de concepts d’un domaine qu’elle énonce les relations entretenus par ses concepts centraux qui préexistent à cette formalisation. Caractériser des concepts n’est pas la même chose que les définir (Hobbs, Croft et al. 1987). Bien que cette idée prendra davantage de consistance par la suite, on peut dès lors suggérer cette différence en remarquant qu’aucun des exemples du chapitre précédent ne définit véritablement les concepts. Ainsi, pour reprendre l’exemple donné en fig.1.5 p.25, la

caractérisation, et non la définition, du concept compositeur dépend avant tout de

ses connexions avec les autres concepts du domaine. L’image appropriée n’est donc pas celle d’une liste mais plutôt d’une structure ou, plus spécifiquement, un treillis (lattice).4 En conséquence, une ontologie est certes un système terminologique (ter-

minological framework (Spear 2006)) mais ce fait ne doit pas être confondu avec le

rôle assuré par le dictionnaire d’une langage quelconque.

Une autre raison importante tient au fait qu’une ontologie s’apparente davantage à une axiomatisation des concepts centraux d’un domaine qu’à la caractérisation de l’ensemble des ses concepts. Pour le dire autrement en restant sur l’exemple de la fig.1.5 p.25, le rôle de l’ontologue qui développerait une ontologie du monde des arts et des lettres consiste avant tout à en identifier les concepts centraux – ap- pelés classes : compositeur, auteur – les propriétés – auteur de, écrivain de – et les relations entretenues par ces concepts et propriétés. L’idée générale derrière cette axiomatisation est de pouvoir exprimer un grand nombre si ce n’est tous les faits de ces domaines de connaissance, actuels comme à découvrir, à l’aide d’un nombre restreint de notions densément interconnectées 5 – un peu de la même ma-

nière qu’axiomatiser l’arithmétique exploite le fait que tout entier naturel puisse s’exprimer à l’aide de 0 et de la fonction successeur. 6

Enfin, en prenant «dictionnaire» au sens technique et informatique du terme,

repository construction and management is not, however, simply the problem of agreeing on the use of a common vocabulary.» (Spear 2006, p. 7)

4Cette propriété n’est pas sans relation avec le fait que les ontologies, au sens technique et strict

du terme, s’apparente à des formes de réseaux sémantiques tels que ceux utilisés par la linguistique inférentielle (Cf sec.3.3.3 p.123).

5«Rather, it is the problem of adopting a (sometimes very general) set of basic categories of

objects, of determining what kinds of entities fall within each of these categories of objects, and of determining what relationships hold within and amongst the different categories in the ontology.»

(Spear 2006, p. 7)

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Figure 2.1 – terminologies, taxinomies et ontologies

cette fois-ci, il existe une différence importante entre des objets techniques aus sens proches quoique en réalité distincts : ontologie, terminologie, et taxinomie. Bien que la nuance que nous nous apprêtons à introduire ne fasse pas nécessairement consensus et que certains dispositifs qualifiés dans les fait d’ontologies s’apparentent en réa- lité d’avantage à des taxinomies ou une simple normalisation terminologique, une terminologie consiste en une liste de termes dénotant les concepts d’un domaine de connaissance (Cf fig.2.1).7 Ce n’est qu’une fois liés entre eux que cette terminologie

devient une taxinomie. Toutefois, l’on peut aller plus loin en ne se contentant pas de lister les termes pour les «imbriquer les uns dans les autres» mais bien plutôt iden- tifier un plus grand nombre de modalités de relations différentes entre ces concepts pour se dispenser d’une partie de ces derniers – alors indirectement implémentés par les relations (e.g. utiliser une propriété compositeur de pour se dispenser de la classe compositeur). C’est à cette condition que l’on peut parler d’une ontologie qui, précisons-le, en tant que construction, en tant que produit de choix axiomatiques, en tant que modèle d’un domaine, ne représente qu’une ontologie possible pour la terminologie considérée. 8 Or, nous avons vu au chapitre précédent que la simple

possibilité de produire un semblable maillage dense de concepts et relations diffé- renciés et finement articulés dépendait de l’expressivité du langage employé. Il s’agit de la raison pour laquelle on lira aussi bien dans la littérature ontologique que dans les spécifications des langages eux mêmes que les taxinomies sont plutôt construites à l’aide Rdf et Rdfs mais que les ontologies nécessitent Owl.

7«A terminology, for example, is a list of terms referring to concepts in a particular domain.

Such a terminology is usually a result of consensus and agreement among the domain’s experts.»

(Herre 2010, p. 300)

8«A domain specific ontology in the stronger sense, i.e. understood as an axiomatized ontology,

normally is based on a terminology. There are usually various axiomatized ontologies that may be built on a terminology.» (Herre 2010, p. 300)

Un système expert Une autre notion inter-connectée aux ontologies est celle de

système expert. A grands traits, un système expert consiste en un algorithme capable d’inférer des faits et de répondre à des requêtes sur un domaine spécifique, générale- ment technique ou scientifique. Du fait qu’un tel système nécessite une formalisation des connaissances initiales avant de pouvoir inférer quoi que ce soit, du fait qu’il né- cessite une ontologie, il n’est pas rare que «système expert» et «ontologie» soient utilisés, par abus de langage, comme des termes interchangeables. Bien qu’inoffensif, ce glissement induit une erreur catégorielle similaire au fait de confondre un moteur avec de l’essence. L’ontologie est une représentation, rien de plus. La combinaison d’une ontologie avec un moteur d’inférence dédié et une interface utilisateur consti- tue un système expert (Grenon 2008). Toutefois, l’existence d’une ontologie ne dépend pas de l’existence de ces deux composants : il s’agit d’une entité autonome.

L’ontologie et son implémentation Il importe également de préciser qu’une on-

tologie diffère par nature d’un langage ou d’un système implémenté en tant qu’une même ontologie peut être implémentée de multiples manières. Cette remarque rela- tive à l’implémentation multiple n’est pas propre aux ontologies en ce qu’elle s’étend à l’ensemble des logiciels (softwares) entendus au sens large (Neches et al. 1991). Ainsi, de même qu’un programme peut être porté sur divers langages – java, ruby,

etc – une même ontologie peut être implémentée par le biais de plusieurs langages

de description de ressources ; n’importe que leur équivalence expressionnelle.9 Ainsi,

pour pour prendre un exemple sur lequel nous reviendrons en sec.2.3.2, il n’y a pas de sens à demander quoi de Bfo-OWL ou Bfo-Fol est vraiment Bfo : il s’agit des implémentations respectivement en Owl, ou langage du premier ordre de Bfo. La continuité avec le programme en général admet tout de même une limite. En effet, parler d’implémentations multiples d’un processus induit que ces multiples implémentations partagent un quelque chose en vertu duquel elles sont des implé- mentations de ce processus. Dans le cas d’un programme comme dans celui de l’esprit pour une théorie computationnelle de la conscience, le point commun des implémen- tations peut se décrire dans des termes fonctionnelles ou comportementaux. Ainsi, dire que P rogjavaet P rogpythonsont deux implémentations de P rog revient à dire en

des termes algorithmiques que, pour une même entrée (input), les deux implémenta- tions produiront le même résultat – probablement en vertu d’une même organisation algorithmique interne de la tâche, il est vrai. Autre manière d’exprimer ce même fait,

P rogjavaet P rogpythoni) font la même chose ou ii) ont la même fonction. Or, ce mode

d’explicitation de la relation entretenue par de multiples implémentations s’applique mal aux ontologies qui, rappelons-le dans des termes vernaculaires, ne font rien – à proprement parler, le moteur d’inférence est ce qui effectue une tâche sur la base d’une ontologie. Bien qu’il existe de multiples manière de qualifier ce point commun,

10 une manière simple consiste à concevoir l’ontologie comme un modèle de données,

comme une structure entre des concepts non dépendante de la langue dans laquelle ils seraient exprimés. Ce niveau d’abstraction est ce que l’I.C. appelle, dans la lignée de (Newell 1982), 11 le Niveau de la Connaissance (knowledge level) ; niveau par

définition indépendant des spécificités de chaque langage. 12