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2. APPRENTISSAGE D'UNE LANGUE ÉTRANGÈRE

2.6. C ONSTRUCTIVISME ET APPRENTISSAGE DE LE

Legros et Crinon (2002 : 30) définissent le constructivisme comme suit.

Le constructivisme s'appuie sur l'idée que la réalité du monde se construit dans la tête de l'individu à partir de son activité perceptive sous forme de représentations mentales ou modèles du monde.

Cette définition semble se référer particulièrement à Piaget, l'un des fondateurs du constructivisme. Comme le rappelle P. Martinez (2004 : 16), le constructivisme piagétien accorde une certaine importance au mental pour l'apprentissage de LE, mais contrairement au point de vue chomskyen, il ne postule pas l'existence d'un module cérébral réservé à l'apprentissage des langues. Il rapproche l'apprentissage de LE du domaine des représentations du monde. Le mental a certaines caractéristiques biologiques, et il évolue en fonction du

76 contact établi avec l'environnement social (cf. 2.2.1.). Le constructivisme combine donc des éléments mentalistes avec des éléments comportementalistes. La perspective socio-cognitiviste de Vygotski est un élargissement de la théorie établie par Piaget. Le terme vygotskien de "schèmes communicatifs" désigne des types de comportement acquis au contact social. Ce terme est basé sur les "schèmes interactifs", des comportements acquis au contact avec l'environnement physique. Il renvoie à l'idée que nous sommes des membres d'une communauté sociale, dotés d'une subjectivité qui se façonne en échangeant avec d'autres personnes. La langue a donc un ancrage social. Apprendre une nouvelle langue donne l'occasion d'élargir ses schèmes de perceptions (Perrenoud, 1996). L'apprenant est alors en mesure de reconstruire la vision qu'il a de sa langue maternelle (cf. Chini, 2004 ; 2.8.2.) et la vision des autres langues auxquelles il est exposé.

Cobb (2006) définit le constructivisme comme une théorie du domaine de la psychologie qui stipule que la réalité externe existe, mais que les apprenants n'y ont pas directement accès. Ils doivent créer leurs propres représentations de la réalité. Cobb rappelle qu'une des variantes du constructivisme préconise l'accès direct des apprenants aux données pour les aider à réutiliser leurs connaissances dans d'autres situations.

Representations constructed from grappling with raw data, as opposed to representations resulting from someone else's having grappled, are not just generally "better" in some vague way but specifically are more successfully transferred to novel contexts and form a better preparation for further independent learning (Cobb, 2006).

Sur le terrain, l'accès direct aux données linguistiques "brutes" n'a toutefois pas toujours mené à des résultats probants (Cobb, 2006). Il convient de mettre à disposition des apprenants des outils susceptibles de les aider à se repérer dans un environnement linguistique complexe. Le processus de construction de connaissances peut être plus ou moins lent. Certaines attitudes face au travail et des outils adaptés peuvent aider à l'accélérer. Selon Cobb (2006), l'attitude d'"apprenant-linguiste" et l'utilisation de corpus et concordances sont une combinaison prometteuse. Dans ce qui suit, je vais détailler trois termes utilisés par des chercheurs qui s'intéressent à l'attitude des apprenants par rapport à l'input en LE. Il s'agit des termes d'apprenant-linguiste, apprenant-détective et apprenant-chercheur.

2.6.1. Attitude d'apprenant-linguiste

Cobb (2006) défend le point de vue que les méthodes de travail des lexicographes peuvent être transférées dans le domaine de l'apprentissage du lexique. S'appuyer sur des corpus et

77 concordances afin de reconnaître des patterns lexicaux peut faire gagner du temps aussi bien à des lexicographes qu'à des apprenants d'une langue étrangère.

For example, the word-learning task facing a learner and a lexicographer are essentially the same, and are essentially 'constructivist.' Both must make sense of an overwhelming amount of raw and distributed information in an artificially brief amount of time. Lexicographers use a corpus and concordance to assemble in moments and force the patterns out of data that would otherwise require years, and it is not inconceivable that learners might be able to do some scaffolded version of this too (Cobb, 2006).

Comme le rappelle Cobb (2006), ses travaux antérieurs (Cobb, 1997 ; Cobb et Horst, 2000) confirment que le concept d'apprenant-linguiste esquissé ci-dessus et l'utilisation de corpus et concordances permettent de transférer des connaissances acquises dans une nouvelle situation.

A strong transfer-of-learning effect was found for constructing word-meanings from learning-adapted corpus and concordance tasks, as compared to learning pre-constructed meanings from dictionary definitions (Cobb, 2006).

Ceci n'est pas sans rappeler un des éléments de la définition que donne Tricot de l'apprentissage humain (2007 : 10 ; cf. 2.2.1.).

2.6.2. Attitude d'apprenant-détective

Johns (1986 ; 1988) estime également que l'observation de concordances favorise l'apprentissage d'une LE. Selon lui, l'utilisation de concordances aide l'apprenant à adopter une attitude de "détective". Il développe ainsi une attitude réflexive par rapport à la langue, et il est en mesure de considérer les données linguistiques comme des matériaux permettant de trouver des indices qui réconfortent ou invalident ses hypothèses de travail concernant la langue (Johns, 2002 : 108). Un "détective" peut se forger son propre point de vue, ceci à condition qu'il ait l'occasion d'observer les données le plus directement possible. Par conséquent, Johns plaide pour le libre accès aux ressources. Le libre accès doit être, à son avis, une des caractéristiques d'un apprentissage basé sur la pédagogie de la découverte (Johns, 1991 : 30). Ainsi, l'enseignant ne fait pas "écran" entre les apprenants et les données.

Il est toutefois peu prudent de laisser les apprenants se perdre dans un "océan" de données sans leur donner des repères. Il convient de leur proposer des outils d'aide et un guidage adaptés (cf. 2.7.).

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2.6.3. Attitude d'apprenant-chercheur

Bernardini (2004 : 16) évoque dans le contexte du travail sur corpus l'apprentissage par la découverte et le rôle de l'apprenant comme apprenant-chercheur (learner as a researcher), présenté déjà dans les travaux rassemblés par Johns (1991) et évoqué aussi par Kennedy et Miceli (2001), St John (2001) et Cheng et al. (2003 : 178). Johns explique qu'à l'aide de concordances, les apprenants sont en mesure de trouver des réponses à leurs propres questions.

We simply provide the evidence needed to answer the learner's questions, and rely on the learner's intelligence to find answers (Johns, 1991 : 2).

Johns et King (1991 : iii) utilisent le terme de Data Driven Learning (DDL) pour désigner l'apprentissage par la découverte dans le domaine des corpus et concordances.

[DDL can be defined as] the use in the classroom of computer-generated concordances to get students to explore regularities of patterning in the target language, and the development of activities and exercises based on concordance output.

Plusieurs chercheurs (Cross, 2002 ; Hadley, 2002) défendent le point de vue que le repérage d'informations dans l'input aide particulièrement à développer le savoir métalinguistique des apprenants. Gaskell et Cobb (2004) montrent la nécessité d'étudier les effets de l'utilisation des corpus et concordances pour l'acquisition de la grammaire. Pour l'apprentissage d'une langue étrangère à l'aide de corpus et concordances, Hadley (2002) propose comme cadre le DDL et la "grammaire pédagogique". Il la définit comme suit.

I propose that PG is a modest reference which can be used for course work, which principally draws attention to language patterns. It can be used by teachers, native speakers and second language learners to gain insight into and better utilize the target language. This definition suggests that grammar involves "doing" and "autonomous discovery" much more than "being told about." In DDL learners are not seen simply as recipients of knowledge, but as researchers studying the regularity of the language. Teachers help the learners' research without knowing in advance what patterns they will discover. A DDL approach expects learners to get a "feel" for the language by personally experiencing a focused study of the target language's organic consistencies (Chalker 1994, Johns 1991). (…) Data-driven learning is very much a "research-then-theory" method of studying grammar. Language learners start with a question, and then come to their conclusions after analyzing the corpora with a concordancer program (Hadley, 2002).

Nous retrouvons dans cette définition des principes déjà évoqués ci-dessus, comme la démarche par la découverte et l'attitude d'apprenant-chercheur. Certaines préoccupations du Data Driven Learning (DDL) et de la grammaire pédagogique semblent se rejoindre dans les

79 démarches conceptualisantes qui cherchent à amener les apprenants à comprendre le fonctionnement de la langue (cf. 2.8.2.).