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2. APPRENTISSAGE D'UNE LANGUE ÉTRANGÈRE

2.4. C OLLOCATIONS ET APPRENTISSAGE DE LE

2.4.1. Collocations et mémorisation

Selon Logan (1988) et Shekan (1997), le langage fonctionne comme un exemplar-based system. On apprendrait donc, entre autres, par mémorisation de collocations et de leurs contextes d'emploi (Narcy-Combes et Walski, 2004). N. Ellis met également en avant l'importance des collocations pour la production langagière.

Thus native-like speaking is not a matter of syntactic rule alone. Speaking natively is speaking idiomatically, using frequent and familiar collocations (N. Ellis, 2001 : 45).

Les théories concernant l'apprentissage à l'aide de références et l'apprentissage par mémorisation de collocations ne sont pas contradictoires. Selon Narcy-Combes et Walski (2004), les deux systèmes fonctionnent en parallèle. Ils expliquent qu'il existe "un accord théorique sur le rôle décisif que joue le traitement du sens (deep-processing) pour favoriser l'apprentissage et sur la nécessité de mettre en place une observation consciente des données langagières (noticing)".

La production langagière relève aussi bien d'une application de références que de la production automatisée de modèles lexicalisés, adaptés à une situation donnée. Dans tous les cas, les apprenants doivent traiter du sens, focaliser leur attention et avoir conscience du fait que leurs activités cognitives sont nativisées (Narcy-Combes et Walski, 2004).

68 Aguado défend le point de vue que s'exprimer de façon fluide en LE implique une phase de mémorisation préalable.

Um überhaupt kreativ werden zu können, ist es zunächst einmal erforderlich, eine Wissensbasis aufzubauen, die es zu memorisieren gilt.

[La condition de l'utilisation créative de la langue nécessite la construction préalable d'une base de savoirs qu'il convient de mémoriser] (Aguado, 2002a : 41).

Une telle "base de savoirs" doit contenir des mots et leurs relations avec d'autres mots.

Aguado précise que pour l'acquisition de LM, il a été observé que les enfants emmagasinent d'abord une certaine quantité de collocations sous forme de patterns figés. Ils apprennent ensuite à combler les espaces variables au sein des collocations, en s'appuyant sur des références grammaticales de base (Aguado, 2002a : 50). Fillmore (1979) désigne les segments modifiables par "formulaic frames with slots". En LE, les collocations peuvent soutenir les apprenants peu avancés, ayant un savoir grammatical peu développé. Comme pour la LM, dans un deuxième temps, la connaissance de collocations peut mener à la découverte de régularités linguistiques (Foster, 2001 : 76, cité dans Aguado, 2002a : 53). Pour des apprenants avancés, ayant des besoins de formulation plus complexes, les collocations semblent alors également jouer un rôle important (Aguado, 2002a : 53).

Comment mémorise-t-on les collocations ? Le modèle de la boucle phonologique ci-dessous, établi par Randall (2007 : 126) propose une formalisation de ce procédé.

Figure 19 - Modèle d'apprentissage par exploitation de la boucle phonologique.

69 Selon ce modèle, l'apprentissage par mémorisation de collocations est de type associatif. Plus on rencontre le nouvel élément, mieux on le retient. Ce processus caractérise particulièrement l'acquisition de la LM. Il est favorisé par une très grande quantité d'input et de situations de communication rencontrées, largement réparties dans le temps. Les apprenants d'une LE sont exposés à une quantité d'input beaucoup moins importante, et ils ont beaucoup moins de temps pour pratiquer la LE (Randall, 2007 : 127). Il convient donc de leur faire rencontrer des collocations de façon plus "artificielle", comme, par exemple, dans des concordances qui donnent accès à un input multiple et varié. Si la mémoire de travail d'un apprenant de LE est trop limitée, sa capacité de traiter du texte en LE l'est également (Randall, 2007 : 81). Il n'a alors pas assez d'automatismes dans le domaine de la reconnaissance des mots, ce qui fait qu'il a besoin de se concentrer sur les formes (bottom up). Selon Randall, il serait peut-être utile de présenter aux apprenants d'abord un input restreint et ensuite un input de plus en plus élargi.

The solution would seem to be for the second language learner to progressively process larger and larger chunks of text, either written or oral. The focus of attention, the top-down element, will increase in scope as the level of the learner and size of the chunks processed increases (Randall (2007 : 98).

Randall (2007 : 100) semble défendre le point de vue selon lequel pour les apprenants les moins avancés, le sens doit être construit à partir de petites unités. La quantité d'input à laquelle on expose les apprenants de LE doit être adaptée à leur niveau (Randall, 2007 : 98).

Les concordances permettent un tel ajustement de la taille du contexte, car on peut choisir le nombre de mots qui doivent se trouver à gauche et à droite d'un mot clé.

2.4.2. Digression : microsyntaxe et macrosyntaxe

Le paragraphe suivant ne traite pas particulièrement des collocations. Il définit les termes de micro- et macrosyntaxe afin de préparer aux informations données dans le paragraphe 2.4.3.

Py (2002) défend l'idée que dans le domaine de l'enseignement/apprentissage des langues, l'institution scolaire se concentre principalement sur le domaine de la microsyntaxe. Il définit ce terme comme un réseau de relations, spécifiées par des prépositions, des terminaisons ou par la position d'éléments dans l'énoncé. Py appelle "clause" un "mouvement discursif" qui se tient grâce un réseau microsyntaxique. Les clauses entrent en relation les unes avec les autres.

Les types de relations entre clauses sont des phénomènes de macrosyntaxe. La macrosyntaxe peut être associée au traitement pragmatique et sémantique. Un apprenant qui s'appuie sur la macrosyntaxe fait appel à ses connaissances du monde et à ses connaissances discursives,

70 donc à son savoir encyclopédique et culturel. S'il ne dispose pas d'assez de ressources microsyntaxiques, il renonce à une spécification des relations entre les clauses qui apparaissent alors de façon juxtaposée. Il peut avoir recours à des expressions préfabriquées (cf. 2.3.), souvent non analysées. Les enseignants de LE ont tendance à considérer un énoncé comme inacceptable quand il comporte une ou plusieurs erreurs de précision, donc au niveau microsyntaxique. Py (2002) propose d'utiliser la macrosyntaxe comme un cadre qui est posé dans le but d'augmenter les ressources microsyntaxiques. La macrosyntaxe serait une

"infrastructure préparant l'émergence d'une organisation microsyntaxique" (cf. 4.2.2.). Lors d'une situation exolingue, un locuteur expert reformule parfois un ou des éléments macrosyntaxiques d'un locuteur novice, ce qui peut mener à une SPA (Séquence Potentiellement Acquisitionnelle). L'organisation microsyntaxique peut-elle émerger quand on propose aux apprenants de LE un input sous forme de concordances ? Peut-on ainsi recréer une sorte de situation exolingue lors de laquelle la reformulation proposée par un locuteur expert est remplacée par un large choix d'occurrences d'un mot clé présenté avec son co-texte ? Les concordances offrent aux apprenants la possibilité d'observer l'organisation microsyntaxique de la clause contenant un mot clé donné. L'observation de l'organisation macrosyntaxique peut être facilitée par la mise à disposition de corpus réfléchis et par le repérage de collocations pertinentes dans ces corpus.

2.4.3. Collocations et microsyntaxe

Diehl, Christen, Leuenberger, Pelvat et Studer (2000) ont dirigé une expérimentation longitudinale intitulée DiGS (Deutsch in Genfer Schulen – L'allemand dans les écoles genevoises). Il s'agit d'un projet qui a été proposé à des apprenants d'allemand LE dans le milieu de l'enseignement secondaire en Suisse romande. L'expérimentation a eu pour but de décrire l'acquisition de l'écrit en milieu guidé. Les prises de position théoriques principales ne correspondent pas toutes aux miennes : la théorie de la grammaire universelle constitue la base de cette expérimentation. Toutefois, d'autres théories d'apprentissage sont évoquées, comme la théorie de l'apprentissage explicite et implicite (Berry et Dienes, 1993). Les productions écrites rédigées lors du projet comportent, entre autres, des segments (appelés chunks). Pour certains domaines grammaticaux, comme les prépositions ou les terminaisons de l'adjectif, un fonctionnement par segments mémorisés semble parfois donner de meilleurs résultats que le fonctionnement par règles.

[Es] spielt gerade im PP-Bereich [Präpositionalphrasenbereich] das Chunk-Lernen eine besonders wichtige Rolle; und zumindest, was die PfK

71 [Präpositionen mit festem Kasus] betrifft, verhelfen Chunks den Lernenden

offensichtlich dazu, präpositionale Ausdrücke zielsprachenkonform zu verwenden.

[L'apprentissage à l'aide de chunks joue un rôle particulièrement important dans le domaine des groupes prépositionnels ; et au moins en ce qui concerne les prépositions à cas fixe, les chunks semblent aident les apprenants à utiliser les formules prépositionnelles de façon conforme par rapport aux normes de la langue cible] (Diehl et al. 2000 : 322).

Les apprenants n'intègrent pas tous de la même façon les collocations dans leur production.

Certains semblent les utiliser sans analyse grammaticale. Ils utilisent, par exemple, formule

"Es war einmal" [Il était une fois] dans le contexte d'un conte, ce qui est conforme du point de vue discursif, mais l'environnement syntaxique ne correspond pas aux normes de ce genre textuel (Diehl et al., 2000 : 342). La capacité d'intégration et de modification de segments dans un nouveau contexte va de pair avec la capacité d'analyser les relations grammaticales qui existent entre les unités des segments.

Was erfolgreiche Chunk-Benutzer von erfolglosen unterscheidet, ist offensichtlich die Fähigkeit, die in diesen formelhaften Wendungen enthaltenen grammatischen Beziehungen zu erkennen und sie adäquat in den sprachlichen Kontext einzugliedern. Die Chunks liefern ihnen somit Daten, die sie für ihre Hypothesen über die Regeln der L2 einsetzen können, sobald sie das hierfür erforderliche Sprachwissen erworben haben. So gesehen kann den Chunks im Spracherwerb eine überaus nützliche Funktion zukommen

[Ce qui distingue les utilisateurs performants de chunks d'utilisateurs non performants est apparemment la capacité de reconnaître les relations grammaticales au sein de formules et de savoir les intégrer dans le contexte linguistique. Les chunks leur fournissent des données qui pourront leur servir pour créer des hypothèses concernant des règles en L2, dès qu'ils auront acquis le savoir linguistique dont ils ont besoin pour ce faire. Vu ainsi, les chunks peuvent avoir une fonction d'une importance cruciale pour l'acquisition d'une langue (Diehl et al., 2000 : 341).