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2. APPRENTISSAGE D'UNE LANGUE ÉTRANGÈRE

2.2. P SYCHOLINGUISTIQUE ET APPRENTISSAGE DE LE

2.2.2. Input, intake, output et apprentissage de LE

En psychologie cognitive et en acquisition des langues, l'environnement linguistique auquel on expose les apprenants est souvent appelé input. Ce terme est issu d'un modèle cybernétique de la psychologie qui compare le fonctionnement de l'esprit humain à celui d'un ordinateur.

Gaonac'h décrit ce modèle tout en émettant des réserves sur sa validité qu'il présente comme restreinte. Il précise qu'il convient d'étudier le rôle que joue la mémoire dans "les traitements qui aboutissent à l'élaboration de nouvelles connaissances" (Gaonac'h, 1991 : 109). Il n'y a pas de relation linéaire entre input, intake et output.

Figure 15 – Input, intake et output.

L'input est ce à quoi on expose les apprenants, donc un texte oral ou écrit. L'output est ce que les apprenants produisent, donc un dialogue oral ou une production écrite. La définition d'intake varie selon l'importance que l'on accorde soit à l'exposition à un input, soit à la production d'un output. L'intake est soit ce que les apprenants retiennent après avoir été exposés à un input, soit ce que les apprenants retiennent après avoir produit de l'output. Dans ce qui suit, je détaillerai deux hypothèses concernant le rôle de l'output et de l'input pour l'apprentissage d'une langue étrangère. Un paragraphe sur l'intake terminera cette partie.

2.2.2.1. Output hypothesis

Certains chercheurs, en particulier Swain et Lapkin (1995), préconisent l'importance de la production d'un output compréhensible pour l'acquisition d'une langue étrangère. Ils précisent leur point de vue comme suit.

In producing an L2, learners will on occasion become aware of (i.e. notice) a linguistic problem. Noticing a problem can "push" learners to modify their output (Swain et Lapkin, 1995).

INPUT & INTAKE & OUTPUT données saisie intérimaire sortie

55 En effet, selon Swain et Lapkin (1995), la production verbale donne aux apprenants l'occasion de se rendre compte de leurs besoins d'apprentissage. Swain et Lapkin se réfèrent à la formule noticing the gap, évoquée également par Schmidt et Frota (1986 : 311) et par R. Ellis (2003 : 149). Cette formule désigne les éléments qui montrent l'écart entre une production linguistique de locuteurs novices et celle de locuteurs experts. Swain et Lapkin (1995) ont étudié le rôle de l'output à l'aide d'une expérience menée auprès d'adolescents canadiens qui ont participé à un programme d'apprentissage du français, langue étrangère, en immersion.

L'exécution et la révision d'une tâche de production écrite ont été accompagnées d'un protocole expérimental de type think aloud. Ce type de protocole invite les apprenants à s'exprimer verbalement sur ce qu'ils font pendant qu'ils exécutent une tâche, par exemple, en rédigeant. Le scénario s'est distingué par un guidage très discret. Parfois, les apprenants ont ressenti le besoin d'observer comment des locuteurs experts ont formulé dans une situation comparable à celle qui leur a posé problème.

When learners cannot work out a solution, they may turn to input, this time with more focused attention, searching for relevant input. Or, they may work out a solution, resulting in new, reprocessed output (Swain et Lapkin, 1995).

Les résultats de l'étude de Swain et Lapkin (1995) confirment que les apprenants ont été en mesure de repérer leurs "lacunes" linguistiques (gaps) et d'observer un input de façon ciblée, pratiquement sans être guidés, dans le but de réviser leur texte. Toutefois, Swain et Lapkin admettent qu'un guidage plus intense aurait pu réduire le nombre d'hypothèses erronées et de sur-généralisations faites par les apprenants ayant participé à cette étude (cf. 2.2.2.1.). Swain et Lapkin (1995) précisent également que la production d'un output compréhensible n'est qu'une des façons susceptibles d'aider les apprenants à améliorer leur interlangue.

2.2.2.2. Input hypothesis

Certains chercheurs défendent l'idée que l'intake Ŕ en d'autres termes, l'apprentissage Ŕ est favorisé par l'exposition à un input structuré, c'est-à-dire, un input qui contient les éléments que les apprenants sont censés remarquer afin de les retenir plus facilement : "input that has been specially designed to include specific linguistic features" (Ellis et Fotos, 1999 : 65).

La théorie connexionniste concernant le traitement de l'information suggère que l'on stocke dans le cerveau les représentants d'un fait langagier que l'on rencontre, par exemple, tous les noms français qui se terminent en "-oire". Plus on a rencontré et enregistré de représentants d'un certain type de mots, plus le cerveau établit des connexions neuronales qui créent des

56 associations entre les représentants de ce type de mots et leurs traits. Ceci permet, par exemple, d'extrapoler que les noms français qui se terminent en "-oire" sont des noms masculins.

Learning takes place through the strengthening and weakening of interconnections in response to the frequency of examples encountered in input. The result of such learning is a network of units that acts as if it knew the rules, but the rules themselves exist only as association strengths distributed across an entire network. They are not explicitly represented in the system as abstract principles, and do not guide or control lower level processes (Schmidt, 1990).

Randall (2007 : 131) énumère plusieurs conditions qui doivent être remplies pour que des connexions entre divers mots puissent être faites et que les mots et leurs caractéristiques collocatives puissent être stockés dans la mémoire à long terme.

- Il faut une grande quantité d'input.

- L'input doit apparaître dans un contexte susceptible de permettre à l'apprenant de relier forme et sens.

- L'input doit être présélectionné par l'enseignant afin de favoriser le repérage.

- Les apprenants doivent diriger leur attention sur des traits caractéristiques des patterns qui font l'objet de l'apprentissage.

Un dispositif basé sur des corpus et concordances et sur l'exécution de tâches de production écrite par les apprenants semble pouvoir remplir les conditions évoquées par Randall (2007) : le corpus met à disposition une grande quantité d'input. La tâche sociale (cf. 2.8.1.2.) fournit un contexte qui fait sens. L'input peut être plus ou moins présélectionné par l'enseignant ; l'action de regrouper dans un corpus des textes appartenant à un même genre textuel est une telle forme de présélection. Il est possible de présélectionner quelques lignes de concordance selon les besoins du moment et d'inviter explicitement les apprenants à diriger leur attention sur l'un ou l'autre mot clé afin qu'ils puissent observer son environnement et en tirer des conclusions concernant la révision de leur texte. Les concordances permettent de réduire le champ de vision des apprenants afin de favoriser la concentration sur des traits pertinents de certains mots clés. Par contre, les concordances peuvent avoir comme conséquence une perte de contexte et donc de sens global ; d'où l'intérêt de veiller à garder un lien entre concordances et corpus et de montrer aux apprenants qu'un tel lien existe : ils doivent pouvoir passer facilement des concordances aux corpus et vice versa. La collection d'outils Antconc3.2.1w (Anthony, 2007) donne l'occasion, de façon particulièrement confortable, de naviguer entre corpus et concordance.

57 2.2.2.3. Développement de l'intake

Narcy-Combes (2005b) donne quelques précisions concernant l'intake qu'il définit comme résultat d'un traitement local de données.

Figure 16 – Traitement local des données.

Selon Narcy-Combes, la diffusion d'informations sur la Toile met en relief "le dilemme universel-local en ce qui concerne le traitement des données". Sur la Toile, l'information circule de façon universelle et globale. Elle est traitée localement par les internautes qui la reçoivent et l'interprètent de façon individuelle, en fonction de ce qu'ils sont et de là où ils sont, donc en fonction de leur environnement socioculturel et de façon subjective. Ceci souligne le fait qu'il n'y a pas de relation linéaire entre input, intake et output. Selon Narcy-Combes (2005 : 108), l'élément qui invalide objectivement la linéarité de cette relation se trouve dans la créativité de l'énonciateur. L'output résulte davantage de cette créativité qu'il n'est la reprise de l'input. Dans le paragraphe 3.1.2., je reprendrai ce point de vue en décrivant la stratégie de transformation de connaissances et la stratégie de connaissances rapportées proposées par Bereiter et Scardamalia (1987). La créativité par rapport aux données distingue un locuteur ou scripteur humain d'un ordinateur qui ne rend (en les combinant de multiples façons) que les informations qui ont été entrées dans la machine. Bruner (1991 : 20) résume cette problématique comme suit.

58 Ainsi, petit à petit, l'accent s'est déplacé de la signification à l'information, et

de la construction de la signification au traitement de l'information. Ce sont pourtant des choses bien différentes. À l'origine de ce glissement, une métaphore qui est devenue dominante, celle de l'ordinateur ; c'est à cette aune que l'on a fini par juger qu'un modèle théorique était valable.

L'information ne s'intéresse pas à la signification. En termes informatiques, l'information contient un message précodé dans le système. Le sens précède le message. Il n'est pas produit par l'ordinateur, et il n'en relève nullement.

Les utilisateurs d'une langue cherchent à créer du sens dans un contexte précis pour agir dans un environnement social. Le sens obtenu reflète des concepts déjà en place, concepts liés, entre autres, à l'appartenance culturelle et linguistique du locuteur.

Or, au niveau de cette créativité, des phénomènes de nativisation (…) influent sur la conception même de l'énoncé, au niveau de la pensée hors code (Narcy-Combes, 2005 : 108).

Il convient donc de tenir compte du fait que les apprenants perçoivent et interprètent l'input selon des critères personnels qui sont liés à des facteurs internes, donc neurologiques et mentaux, ou externes. Hulstijn (2007) évoque certains facteurs externes qui peuvent entrer en jeu lors de l'acquisition d'une langue étrangère, comme, par exemple, la nature et la quantité de l'input et l'aptitude de l'apprenant (cf. 2.9.).

Schmidt (1990) considère l'intake comme le résultat de processus mentaux qui permettent de traiter les informations de l'input, par exemple, par la généralisation à partir de segments en contexte. Le traitement est également favorisé par la formulation d'hypothèses et par la formulation de caractéristiques linguistiques à partir de l'input. Un certain nombre de connexions neuronales semblent être nécessaires pour que les apprenants puissent découvrir des références linguistiques. Celles-ci peuvent être formulées en termes métalinguistiques qui oscillent entre les pôles "métalangage très personnel" et "métalangage très normé" (Faerch, 1986, cité dans Bange, 2003). Je ne dispose pas des moyens techniques permettant l'observation de la création de connexions neurologiques, mais je peux tenter de favoriser de telles créations en donnant accès à des occurrences en grand nombre, et je peux donner aux apprenants l'occasion de verbaliser leurs découvertes concernant le fonctionnement de la langue.

2.2.2.4. Ma définition d'intake

Ce qui précède m'amène à définir l'intake comme le résultat d'une interaction réussie entre input et output. L'input auquel les apprenants sont exposés doit être adaptable à des niveaux et

59 besoins individuels. En situation d'apprentissage en institution scolaire, les besoins sont créés par la nature de la tâche de production que l'on confie aux apprenants, donc de l'output qu'ils sont censés produire. L'output que l'on souhaite obtenir doit avoir des caractéristiques comparables à celles de l'input. Cela est possible grâce à la mise à disposition de corpus et concordances lors d'un projet d'écriture.