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F ONDER L ’ INTERVENTION SOCIALE SUR LES ASPIRATIONS DES PERSONNES : U NE DEMARCHE PARTICIPATIVE « HABITANTS

PARTICIPATIVE « HABITANTS-PROFESSIONNELS » DANS UN QUARTIER DE GRENOBLE

En matière d’accompagnement des personnes ou d’organisation de leur existence quotidienne, lorsqu’il s’agit de prendre des décisions qui les concernent, il est capital de privilégier une représentation directe de la personne par elle-même, quel que soit le niveau des difficultés sociales en termes de communication et/ou de mise en cohérence d’une pensée. Si les seules expressions verbales et/ou non verbales ne sauraient parfois suffire pour établir les lignes directrices des actions des intervenants professionnels, essayer d’établir les conditions d’une qualité de vie de la personne aidée ne peut pourtant se passer de ses positions, de ses affects, de ses affinités. L’observation

attentive, ainsi qu’une réduction de la multiplicité des intervenants et donc des observateurs potentiels pour effectuer cette observation dans une durée suffisante pour permettre d’établir et de valider des significations, peut être mise en œuvre. La seule recherche du consentement63 ne suffit pas à garantir une qualité de vie à la personne aidée. Outre que la réglementation fait désormais référence à un « consentement exprès et éclairé »64, la possibilité de maîtriser un tant soit peu son quotidien est une dimension importante de la qualité de vie ressentie par un être humain. Cette orientation n’exclut pas toutefois la contribution d’un pair, d’un représentant légal, d’un proche, d’une personne ayant une expertise fine de la vie quotidienne, des réactions et affinités de la personne aidée. L’enjeu de cette représentation directe est de taille : ne pas prendre la place. Il est toujours extrêmement difficile d’évaluer jusqu’où on représente et à partir de quand on prend la place de la personne aidée.

Cette sensibilité aux aspirations de la personne aidée, cette priorité faite à ce qui fait sens pour elle est l’idée force qui fait rempart contre les égos professionnels, les enjeux institutionnels et leur préséance. L’objectif est bien de ne pas se substituer à la personne aidée, de ne pas prendre la place de ses parents quand il s’agit d’un enfant.

Le professionnel vient en soutien aux projets et actions de la personne aidée ; il travaille en étayage, en renfort. Son expertise consiste à explorer, éclaircir, comprendre et consolider les aspirations. Il amène des idées, des techniques, des outils, des ressources ; il peut favoriser des mises en lien avec ses réseaux et ses partenaires, transmettre des stratégies, ou encore se porter garant auprès de la société civile. Créer et innover sur-mesure, élargir le champ des possibles, est un apport majeur de cette posture professionnelle.

C’est pour tenir cette posture que le professionnel ne débutera pas les rencontres avec un protocole prédéfini d’investigation de la situation ou des besoins de la personne aidée, ne fera pas un bilan de la trajectoire socioprofessionnelle, ni un exposé des offres à disposition. En effet, il s’agit de ne pas cadrer à priori la demande exprimée, pour limiter la tendance de la personne aidée à se conformer aux offres de l’institution pour en obtenir quelques bénéfices (au regard de ses besoins) à défaut de pouvoir développer son potentiel et œuvrer dans le sens de ses aspirations.

Le travail social « en résonnance » consiste en l’écoute de la personne, à se concentrer sur le projet ou l’obstacle tel que définis par elle. L’objectif n’est pas à la valorisation de l’institution ou des professionnels par des projets innovants ou remarquables. Un petit projet mérite attention, une vie « banale » également. Il s’agit de ne pas décider de la valeur de l’orientation prise à la place de la personne aidée, mais bien de la comprendre et de la soutenir dans ce qui fait sens pour elle. Dans le même temps, écouter, comprendre et soutenir implique une position réaliste. Aussi fonder l’intervention sociale sur les aspirations des personnes aidées implique également de travailler sur les freins et les obstacles, avec la personne, à son rythme, au fur et à mesure des évolutions de sa situation et de son environnement. Le réalisme ne doit pas pour autant limiter a priori la recherche de possibilités, de voies alternatives si nécessaire.

Dans la même perspective, cette posture professionnelle ne vise pas à un réaménagement de l’économie psychique de la personne aidée. Il n’est pas non plus demandé à la personne aidée l’anamnèse de sa vie et de ses traumatismes. Cette posture professionnelle n’engage pas le soutien en échange d’une divulgation d’éléments biographiques. Le vécu d’intrusion est autant que possible évité, afin de favoriser l’instauration d’une relation de confiance. C’est pourquoi la demande telle qu’elle est formulée par la personne accompagnée est prise en compte, même si d’autres demandes, non immédiatement évoquées, pourront être travaillées ensemble ultérieurement. Ainsi la personne aidée n’est pas désappropriée du sens de sa vie et de ses actes. Sa parole est prise au sérieux. Cette priorité donnée à une posture non intrusive, a pour objectif d’éviter l’inhibition des demandes, de

63 Voir l’Avis relatif au consentement éclairé adopté par l'assemblée plénière du CSTS le 6.12.2013. 64

Décret n° 2013-1090 du 2 décembre 2013 relatif à la transmission d’informations entre les professionnels participant à la prise en charge sanitaire, médico-sociale et sociale des personnes âgées en risque de perte d’autonomie.

limiter l’augmentation du non-recours, d’améliorer la participation et l’implication des personnes aidées.

Une pratique du travail social, l’Intervention Sociale d’Intérêt Collectif (ISIC), fondée sur les aspirations des populations aidées, est promue depuis longtemps par le CSTS. En effet, outre la démocratie participative, des espaces de « solidarité de proximité », c'est-à-dire des lieux permettant aux personnes de prendre la parole, de débattre, de décider, d'élaborer et de mettre en œuvre des projets adaptés à leur vie, ont besoin d’être soutenus et organisés. Créer ou recréer du collectif, mener des actions collectives pour construire des solidarités, implique de mettre en synergie les réseaux professionnels et les réseaux relationnels des personnes, dans un contexte de proximité partagée et avec un souci éthique.

Le Conseil supérieur du travail social, quant à lui, a toujours cherché à développer cette pratique. L’expression « intervention sociale d’intérêt collectif » (ISIC) existe officiellement depuis 1988, année de parution d’un premier rapport65. En 2009, un second rapport du CSTS66 porte à nouveau sur ce mode d’intervention, non seulement sous son aspect stratégique, mais comme un défi à relever pour l'ensemble des intervenants. L’ISIC est identifiée tant dans les concepts que dans les expériences de travail mises en œuvre. À travers de multiples exemples et avec des propositions concrètes construites à partir du quotidien des professionnels, le CSTS invite l’ensemble des acteurs à investir ce mode d’intervention dans l’objectif de promouvoir le rôle, la place, l’expression, la participation, les propositions et les initiatives de tous les citoyens pour l’amélioration concrète du quotidien. Les soutiens professionnels ont pour objectif de stimuler les liens d’entraide à l’échelle des quartiers pour rompre l’isolement des habitants les plus fragilisés et en marge des réseaux d’aides, de développer et soutenir des relations d’aide naturelle, reposant sur des échanges de services concrets dans le cadre de vie et de favoriser, à terme, l’appropriation par le plus grand nombre d’habitants des questions liées au bien-être, à la santé, à la protection, à l’éducation, à la socialisation… Pour cela, il s’agit de reconnaître le degré d’expertise des habitants sur leurs espaces et leurs conditions de vie, de promouvoir leur rôle, leur expression, leur participation, d’accepter leurs propositions. L’ISIC aide à les inscrire dans la durée comme dans l’espace institutionnel, socio-économique, culturel et politique… On peut donc dire que l'un des principes fondateurs de ce mode intervention est la co-construction des projets et des actions avec les usagers / habitants / citoyens. Il s'inscrit dans une posture d’alliance avec la population, notamment la plus fragile. Il s'agit de permettre le développement d’un « mieux vivre ensemble.» L’ISIC comporte une dimension transformatrice et participative constitutive de la citoyenneté.

Chacune des modalités de l’intervention sociale d’intérêt collectif a des principes et axiomes communs qui les orientent : participation, « co-construction », partenariat, empowerment, évaluation participative, finalités d’intérêt collectif et d’intérêt général. S’inscrire dans une pratique de travail social d’intérêt collectif est un acte d’engagement. Il s’agit d’avoir un rôle de relais, de facilitateur ou de médiateur. La construction collective portée par du sens demande du temps, des espaces et des outils qui engagent les acteurs, et pose la question des ressources appropriées pour produire une dynamique de changement.

Cela nécessite chez les professionnels de dépasser la peur de se trouver dans une posture particulière, comme membre d’un groupe ou d’un collectif où chacun partage son savoir et son soutien. Du côté des institutions, le développement de l’intervention sociale d’intérêt collectif nécessite une stratégie appropriée, une cohérence dans les organisations de travail et de faire preuve de pragmatisme en mesurant les bénéfices apportés à la population.

Car ce mode d’intervention est un moyen pertinent à développer pour :

65 CSTS, Intervention sociale d’intérêt collectif, Rapport à Monsieur le Ministre, La Documentation française, 1988. 66

CSTS, Développer et réussir l’intervention sociale d’intérêt collectif, Rapport au ministre chargé des affaires sociales, Presses de l’EHESP, 2010.

apporter une meilleure connaissance des problématiques sociales ; dynamiser les liens sociaux et favoriser les échanges ;

permettre une plus grande autonomie des personnes et favoriser leur citoyenneté ;

développer une intelligence collective réunissant tous les acteurs autour d’une question commune ;

contribuer à la cohésion sociale en permettant la rencontre entre des personnes issues de milieux sociaux qui parfois s'ignorent alors qu’elles vivent sur un même territoire.

L’exemple du Forum Social mis en œuvre à Grenoble est particulièrement intéressant pour illustrer ce tissage autre et autrement des relations entre intervenants sociaux et personnes aidées. En l’occurrence, cette démarche de démocratie participative a permis à la fois une meilleure implication des personnes, mais aussi la prise en considération sérieuse de nombre de leurs critiques ou suggestions d’amélioration. Prendre en compte les points de vue des personnes aidées a été l’occasion de réaménager le service social d’une façon plus avenante et plus pertinente pour tous. Ces solutions ont, pour certaines, fait tache d’huile.

Une démarche participative « habitants-professionnels » dans un quartier de Grenoble En 1998, face à des violences de jeunes dirigées contre elle, la Maison des Jeunes et de la Culture (MJC) qui se retrouve seule interpelle les structures du quartier pour une réflexion commune. Cette réflexion permettra de faire participer l’ensemble des professionnels des organismes sociaux et socio-culturels (centre social, MJC, Maison de l’Enfance, bibliothèque, Comité Dauphinois d’Action Socio-Educative…), avec un pilotage assuré par la direction du centre social.

Le contexte territorial se caractérisait par :

- un tissu associatif affaibli avec peu d’associations représentatives de l’ensemble des habitants, une Union de Quartier très affaiblie et non représentative et des associations communautaires ;

- un quartier en DSU ;

- une séparation entre les deux quartiers du secteur Teisseire et Malherbe ; - une majorité de personnes éloignées des lieux d’expression collective. Les objectifs étaient :

- apporter une solidarité entre toutes les structures face à des problèmes ; - avoir un discours commun vis-à-vis des habitants ;

- poser des règles de vie communes à toutes les structures.

La méthode retenue a été d’organiser, de 1998 à 2002, trois groupes de professionnels chargés de créer les outils du cadre de référence autour de trois axes :

- la circulation de l’information entre les différentes structures ; - le traitement de l’offre et de la demande ;

- le soutien aux initiatives d’habitants.

Cela a conduit, en 2001, à se demander comment articuler le travail des professionnels et les initiatives des habitants. Les questions des professionnels étaient multiples. Comment travailler ensemble, habitants et professionnels ? Comment réunir les habitants de ces quartiers pour des projets communs ? Comment renforcer la dynamique de solidarité des professionnels en y associant les habitants ? Les représentations des professionnels sur la capacité de « faire » des habitants et les représentations des habitants par rapport aux institutions représentées par les structures des quartiers entraînaient une mauvaise communication.

Il en est résulté, en juin 2002, une formation action ayant pour finalité de mettre en œuvre un projet de quartier fondé sur une démarche participative en favorisant l’émergence de nouvelles formes de participation. Les principes fondamentaux de la formation étaient les suivants :

- investir le champ de la citoyenneté sociale

- donner une place et un pouvoir d’agir aux habitants et aux professionnels dans les politiques publiques

- traiter des questions collectives - une personne = une voix

- pas de spectateur au Forum Social

- une méthodologie en construction permanente - porter des questions non traitées par d’autres.

La finalité était de créer des actions de développement social local et de contribuer à l’évaluation des politiques publiques. La démarche s’appuyait sur une coopération habitants-professionnels pour une coproduction, avec un parti-pris : travailler prioritairement avec les habitants les plus éloignés des lieux d’expression collective et qui vivent concrètement les situations.

Ce travail a permis la mise en place :

- d’un Forum social qui se réunit tous les 3 mois pour permettre l’expression des besoins, des vécus, ainsi que le repérage des problématiques, de l’individuel jusqu’au collectif, par un croisement de regards des habitants et des professionnels ;

- des collectifs habitants- professionnels pour acquérir les connaissances nécessaires à la compréhension de la problématique traitée, élaborer des pistes de résolution, identifier les personnes ressources à solliciter et agir ensemble.

Le dernier collectif mis en place en 2013 sous l’intitulé « mieux vivre ensemble dans le quartier » est né des questions d’habitants autour de leur souhait de quitter le quartier face aux problèmes de trafic de stupéfiants, d’occupation de halls et d’agressions.

Cette initiative de forum citoyen a fait émerger une conscience commune des habitants qui ont désormais une parole collective et sont experts de leur situation. Ils sont devenus des habitants acteurs et transformateurs des politiques publiques en prenant plusieurs initiatives : modification des règlements d’aides financières du centre communal d’action sociale (CCAS), mise en place de tarifs préférentiels pour les lieux culturels, création d’un collectif « familles-écoles », binômes habitants-professionnels pour les accueils dans de nombreuses structures.

Une telle démarche impose aux professionnels une posture différente et permanente de co- construction enrichissante et positive. Elle permet en même temps une reconnaissance des institutions et des élus comme facteurs de changement social avec un élargissement de certaines propositions à l’ensemble de la ville de Grenoble.

La démarche de démocratie participative du centre social « Teisseire Malherbe » dans la commune de Grenoble semble assez significative de par :

- sa durée : débutée en 1998, elle perdure et semble vraiment être un moteur du « mieux vivre ensemble » dans le quartier ;

- la démarche réellement participative et relevant de la co-production dès la phase de diagnostic et de conception de l’action ;

- la mise en action de personnes non stigmatisées comme « usagers », mais bien dans leur identité d’habitants et citoyens ;

C. FAVORISER LE DEPLOIEMENT DU POTENTIEL DE LA PERSONNE AIDEE : SAAHED UN CENTRE-