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Il est hautement vraisemblable qu’une partie des CAT soit issue d’un processus de dédifférenciation depuis un carcinome papillaire ou vésiculaire, comme en attestent certaines similitudes morphologiques et génétiques avec les tumeurs différenciées, au premier rang desquelles les mutations de BRAF et des protéines RAS.

a. Arguments morphologiques

Microscopiquement, 31 cas (21,5%) dont 19 analysables en NGS présentent une composante différenciée en microscopie (bien ou peu différenciée) parfois intimement mêlée à la composante anaplasique. À noter qu’un seul cas renferme une composante différenciée de type vésiculaire. Cependant, la majorité des prélèvements sont des biopsies chirurgicales ou à l’aiguille et non des pièces d’exérèse ; il est donc fort possible que la composante différenciée n’ait pas été intéressée par le prélèvement. De plus, le diagnostic de carcinome vésiculaire nécessite des caractéristiques précises avec une capsule épaisse associée à des images de rupture capsulaire et d’envahissement vasculaire, pas toujours présentes ni identifiables sur des prélèvements, souvent partiels, contrairement au diagnostic de carcinome papillaire dont le diagnostic repose uniquement sur des caractéristiques nucléaires.

b. Mutations de BRAF

Treize cas (13,8%) présentent une mutation BRAF dont un cas associé morphologiquement à une composante bien différenciée de type papillaire et un cas associé à une composante peu différenciée. La mutation BRAF (dont plus de 40 sous-types ont été identifiés dans la thyroïde avec une prédominance de la mutation V600E) connue pour être fréquemment rencontrée dans les carcinomes papillaires (avec une prévalence de 45-50%)40 est, comme dans notre cohorte, moins fréquemment rencontrée dans les CAT, ce qui paraît étonnant (d’autant plus que la fréquence allélique moyenne de cette mutation dans notre cohorte est de 29,5%) compte tenu du fait qu’il semble exister une corrélation entre présence d’une mutation BRAF et agressivité tumorale135,136.

72 Douze de nos 13 mutations BRAF identifiées (92,3%) sont des mutations BRAF V600E (c.T1799A - p.V600E). La dernière est une mutation faux-sens référencée dans la base COSMIC (c.A1742G - p.N581S) intéressant aussi l’exon 15 du gène au niveau du domaine tyrosine kinase de la protéine. De nombreux modèles ont confirmé le rôle de la mutation BRAF en tant qu’évènement initiateur de la tumorigenèse thyroïdienne137–139; cependant, elle est probablement insuffisante pour provoquer un phénotype dédifférencié140. Elle induit avant tout une instabilité génétique, facilitant l’acquisition de mutations secondaires et favorisant ainsi la progression tumorale141.

Sa faible prévalence peut être expliquée par un faible pourcentage de CAT dérivant d’un carcinome différencié de type papillaire, ceci d’autant plus que les mutations de BRAF ne semblent pas apparaître au cours de la dédifférenciation tumorale mais semble être un évènement relativement précoce et stable dans la tumorigenèse thyroïdienne142. Enfin, le caractère agressif habituellement associé à cette mutation au sein des carcinomes différenciés n’apparaît pas si évident143, ce qui pourrait contribuer à expliquer sa faible prévalence dans des cancers d’une grande agressivité comme les CAT.

c. Mutations de RAS

La deuxième altération la plus fréquemment rencontrée dans cette série concerne les protéines RAS (H-K-N-RAS) avec un total de 40 mutations (soit 42,6%), toutes référencées dans la base COSMIC, dont une majorité de mutations de l’exon 61 de NRAS (100% des 28 cas mutés NRAS). Les mutations RAS ont été les premières mutations décrites dans les carcinomes thyroïdiens144,145. Les altérations de RAS sont fréquentes depuis les adénomes vésiculaires (20-25%) jusqu’aux CAT (20- 30%) en passant par les carcinomes vésiculaires (30-45%) et les formes vésiculaires de carcinomes papillaires (30-45%)39, suggérant sa précocité dans le processus de tumorigenèse. Les mutations RAS sont présentes même dans les adénomes thyroïdiens ; cette anomalie ne semble donc pas suffisante en elle-même pour expliquer le processus de dédifférenciation et donc l’existence dans notre cohorte de 10 cas (6,9%) présentant une mutation isolée de RAS, où, vraisemblablement, d’autres mécanismes entrent en jeu. Il s’agit cependant de l’altération moléculaire principale des carcinomes peu différenciés39 ; ce qui est un argument en faveur de son rôle dans la progression tumorale du fait de l’instabilité chromosomique qu’elle engendre146 et, d’autre part, de sa capacité à activer conjointement la voie PI3K-AKT et la voie MAP-kinase147.

d. Filiation entre carcinomes bien différenciés et CAT

En définitive, 53 cas présentent une altération de RAS ou de BRAF (soit 56,4% des 94 cas analysables). Sur ces 53 cas, 6 (2 pour BRAF et 4 pour RAS) sont microscopiquement associés à une

73 composante différenciée (toute de type papillaire d’architecture vésiculaire). En revanche, 14 des cas analysables en NGS présentent microscopiquement une composante différenciée mais cependant sans anomalie BRAF ou RAS associée.

Au total, sur l’ensemble des 144 cas de notre étude, 77 cas (53,5%) possèdent des arguments morphologiques et/ou moléculaires les rattachant aux carcinomes différenciés et pour lesquels on peut formuler l’hypothèse d’une dédifférenciation ; mécanisme de tumorigenèse, qui, dans notre cohorte, semble majoritaire. Certains cas présentent une composante différenciée cependant sans altération communément retrouvée dans ces formes. Il n’est pas exclu qu’une partie d’entre eux dérivent quand même d’un carcinome différencié compte tenu du fait que certaines autres anomalies retrouvées dans ces formes n’ont pas été recherchées dans ces cas comme certains réarrangements de RET/PTC40, NTRK1148 ou encore PAX8/PPARγ74.

Les mutations rencontrées dans les carcinomes différenciés ne permettent pas à elles seules d’expliquer le processus de dédifférenciation sans la conjoncture de mutations surajoutées notamment celles intéressant la voie PI3K-AKT ou encore celles de PTEN et de TP53.

e. Voie PI3K-AKT

Un total de 8 mutations délétères est recensé sur cette voie de signalisation : 6 mutations (6,4%) non-synonymes référencées dans la base COSMIC de PIK3CA (touchant quasi-exclusivement le codon 3140 de l’exon 21) et 2 mutations identiques de l’exon 3 (E17K) d’AKT1 (2,1%) déjà connues dans la thyroïde. Les chiffres retrouvés ici sont plus faibles que ceux décrits dans la littérature pour les CAT (15-25%) et se rapprochent plutôt de ceux retrouvés pour les carcinomes vésiculaires39; l’altération de cette voie étant moins fréquente dans les carcinomes papillaires et les tumeurs bénignes149.

Des mutations de PIK3CA ont été identifiées dans des tumeurs récidivantes et métastatiques et uniquement dans des lésions thyroïdiennes autres que des carcinomes papillaires46. De plus, une étude ayant porté sur les mutations de PIK3CA dans des CAT et ses différentes composantes a retrouvé une prévalence accrue des mutations de PIK3CA dans les composantes peu différenciées par rapport aux composantes bien différenciées d’une même lésion150.

La mutation E17K de AKT1 est connue pour altérer le domaine « PH » de la protéine (domaine protéique de liaison aux phosphatidylinositols) entrainant son recrutement permanent même en l’absence d’activation du récepteur en amont. Il semble d’ailleurs exister une prévalence accrue de cette mutation E17K dans des lésions récidivantes ou métastatiques dans 2/12 (17%) carcinomes

74 papillaires de variante à « cellules hautes », dans 1/3 (33%) carcinomes à cellules oncocytaires et dans 6/32 (19%) carcinomes peu différenciés laissant là encore penser que cette altération est un événement génétique qui intervient tardivement dans la progression tumorale et la dédifférenciation46.

f. Altération de TP53

La mutation du gène suppresseur de tumeurs TP53 est l’anomalie la plus fréquemment rencontrée dans notre cohorte et dans les CAT en général. Elle concerne environ la moitié des cas de notre cohorte (52 cas soit 55,3%) dont 22 cas avec une fréquence allélique supérieure à 50%. Les études comparables dans la littérature retrouvent des prévalences allant de 48%151 dans une revue de la littérature jusqu’à 70-80%152,153 dans une autre. Quatre cas présentaient même 2 mutations délétères pour TP53 avec, pour chaque cas, une atteinte dans 2 exons différents.

La protéine p53 peut bien évidemment être aussi affectée par d’autres mécanismes que des mutations du gène TP53 tels que des altérations épigénétiques, comme peuvent en attester les atteintes introniques dans 6 cas de notre cohorte. Aussi, l’analyse du niveau protéique par immunohistochimie apporte une information complémentaire et permet de rattraper des cas où l’altération de p53 secondaire à un autre mécanisme pourrait intervenir. Un profil perdu (score IHC 0) ou une accumulation (score IHC 3+) est observé dans 49,1% (52/106 cas) des cas. L’absence de témoins internes positifs sur certains cas analysés sur TMA laisse à penser que le taux de profil perdu (IHC 0) est peut-être légèrement surestimé. En effet, 8 cas négatifs pour p53 ne présentent aucun marquage pour les autres anticorps testés. Ces cas sont donc plus probablement à considérer comme non contributifs plutôt que comme négatifs. L’analyse des marquages de 36 composantes différenciées issues de notre cohorte retrouve une absence de marquage (IHC 0) dans 12 cas et un marquage (IHC 1+) dans 24 cas. La même réserve peut être émise quant au nombre de cas (IHC 0) du fait de l’absence de témoin interne. Cependant, on peut noter qu’aucun cas ne présente un profil de type accumulé (IHC 3+).

Au total, 50% des cas présentent donc une atteinte soit au niveau génique (mutation inactivatrice) de TP53 soit une anomalie protéique de p53. Cette alteration est rarement rencontrée dans les carcinomes différenciés contrairement aux CAT. Il est donc légitime de penser que l’atteinte cumulative de p53 dans un carcinome différencié serait à l’origine de sa dédifférenciation154,155. De précédentes études ont essayé de déterminer l’exact rôle d’une protéine p53 fonctionnelle dans la dédifférenciation des carcinomes thyroïdiens. Une première équipe a montré que l'introduction de p53 dans des lignées cellulaires de CAT permettait aux cellules d’acquérir à nouveau la capacité de répondre à la TSH156. Cependant, d’autres résultats sont contradictoires avec une autre équipe ayant

rapporté le fait que l'introduction de p53 dans des lignées cellulaires de CAT mutées pour TP53 n’entraînait pas une redifférenciation des cellules de la lignée157.

Il apparait donc que p53 ne contrôle pas directement l’expression des marqueurs de différenciation thyroïdienne mais semble être un facteur d’instabilité chromosomique majeur, lui conférant plutôt un rôle indirect dans le processus de dédifférenciation.

g. Altération de PTEN

Les mutations de PTEN (8 cas dans notre cohorte soit 8,5%) sont présentes en proportion légèrement inférieure à celle retrouvée dans la littérature avec une prévalence autour de 10-20%39 alors même qu’en immunohistochimie, 51% des CAT présentent une perte d’expression de PTEN. Les altérations géniques de PTEN (mutation, délétion) sont peu fréquentes dans les tumeurs thyroïdiennes sporadiques158 et s’avèrent donc être un évènement tardif de la tumorigenèse. Il semble par ailleurs que la protéine PTEN soit fréquemment altérée dans les CAT mais que les mutations de PTEN n’en soient pas forcément le mécanisme prédominant ; d’autres mécanismes entrant en jeu. La découverte de la méthylation de PTEN dans les tumeurs thyroïdiennes75 donne une explication à l’extinction aberrante de ce gène. PTEN joue un rôle dans la régulation négative de la voie PI3K-AKT et son hyperméthylation peut donc provoquer une activation de cette voie tout comme les atteintes épigénétiques de PTEN peuvent être secondaires à des altérations de la voie PI3K-AKT159. En effet, dans les cas présentant une mutation de la voie PI3K-AKT de notre cohorte (8 cas), l’immunohistochimie PTEN retrouve (en l’absence de mutation PTEN) une perte de PTEN dans 3 des 7 cas réalisés (42,9%).

h. Altération conjointe de PTEN et de TP53

Il existe dans notre cohorte 3 cas présentant une double mutation PTEN/TP53 ainsi que 28 cas avec une perte de PTEN associés à un marquage anormal de p53 en IHC. Des expériences effectuées sur des modèles murins de CAT présentant cette double altération, montrent que, malgré la perte simultanée de PTEN et de p53, le développement tumoral n’est pas fulgurant ; ce qui suggère encore la nécessité d'une accumulation d'altérations génétiques supplémentaires160.

i. Atteinte conjointe des voies MAP-kinase et PI3K-AKT

Sur nos 94 cas analysés en NGS, 7 cas (7,4%) possèdent une double altération affectant directement les voies MAP-kinase et PI3K-AKT. Un des autres mécanismes impliqués dans la progression tumorale inclut une activation d’une de ces voies puis de l’autre. Dans la littérature, 81% des CAT présentent une dérégulation d’une des voies72 qui, directement ou indirectement, affecte l’autre

76 voie telle que des mutations de TP53, CTNNB1, ALK72, ce qui est d’ailleurs probablement le cas dans 3/7 de nos cas (42,9%).

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