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Le régime d’exemption ouvert par l’article 222 du règlement n°1308/2013 reconnaît qu’une régulation des marchés nécessite, notamment en période de crises, une concertation des opérateurs, à défaut d’une intervention importante des pouvoirs publics. Ce régime d’exemption marque le début du mouvement récent d’élargissement des régimes d’exemption applicables aux organisations économiques agricoles, accentué par l’adoption du règlement 2017/2393, dit « omnibus », qui a notamment élargi le nombre d’opérateurs pouvant intervenir et simplifié les conditions de mise en œuvre de l’article 222. Néanmoins, l’efficacité de cette mesure d’exemption a pu être critiquée, notamment au regard de l’impossibilité d’étendre, de manière obligatoire, les mesures de régulation à l’ensemble des opérateurs du périmètre géographique concerné. Les critiques faites sur la mise en œuvre de l’article 222 dans le secteur laitier illustrent les limites de la disposition. Les pouvoirs publics ne pouvaient donner de portée obligatoire, aux mesures adoptées par les organisations de producteurs et coopératives, à l’ensemble des opérateurs, par une extension des règles. Pourtant, l’efficacité de la mesure était conditionnée à la participation d’un maximum d’opérateurs du marché concerné, en l’espèce, la totalité de l’Union européenne. En l’absence de toute contrepartie financière incitative aux mesures de régulation et de tout caractère obligatoire, les observateurs craignaient qu’un certain nombre d’opérateurs préfèrent continuer à prendre des parts de marché en maintenant leurs volumes de production et en pratiquant des prix bas462. C’est

d’ailleurs le choix opéré par les opérateurs de plusieurs États membres qui n’ont pas souhaité limiter la production (Pays-Bas, Allemagne ou encore Irlande) au regard des perspectives de consommation463. En conséquence, les opérateurs pouvaient être

rapidement tentés de ne pas appliquer les mesures de diminution de la production. Le

462 Cabinet Racine Avocats, Secteur Agricole : vers une dérogation temporaire et partielle au droit de la concurrence pour le lait ; Y. PETIT, PAC : première mise en œuvre de l’article 222 du règlement « OCM unique », précité, paragraphe 7 ; C. DUCOURTIEUX et L. GIRARD, Comment Le Foll espère en finir avec la crise du lait, Le Monde, 23 mars 2016, consultable sur

https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/03/22/comment-stephane-le-foll-espere-en-finir-avec- la-crise-du-lait_4887697_3234.html ; R. HONORE et E. GRASLAND, Crise agricole : Paris obtient une régulation a minima, Les Echos, 15 mars 2016, consultable sur

https://www.lesechos.fr/14/03/2016/lesechos.fr/021764764062_crise-agricole---paris-obtient-une- regulation-a-minima.htm.

régime d’exemption prévu par l’article 222 du règlement n°1308/2013 illustre la difficulté de concilier la mise en œuvre d’une politique de développement sectoriel, qui nécessite une réaction en cas de dysfonctionnement des marchés, avec la protection du marché intérieur dans le secteur agricole. Rappelons que l’un des objectifs de la politique agricole commune est de stabiliser les marchés agricoles. En conséquence, en cherchant à mettre fin aux périodes d’instabilité des marchés agricoles par une adaptation de la production mise en marché, le régime d’exemption de l’article 222 contribue à la réalisation de cet objectif. Si le rôle des organisations économiques agricoles reconnues, et plus largement les organisations collectives agricoles dans leur ensemble, peut s’avérer déterminant pour la régulation des marchés agricoles, le régime d’exemption de l’article 222 ne semble pas pleinement efficace. Se pose alors la question de la place des pouvoirs publics dans la régulation des marchés agricoles, que les réformes successives de la politique agricole commune ont réduit a minima. Le rapport de la commission agriculture du Parlement européen propose, dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune, la création d’un observatoire des marchés agricoles auquel les États membres devront transmettre les données économiques de l’ensemble des filières agricoles. Cet observatoire pourrait alerter la Commission et proposer des interventions nécessaires à la stabilisation des marchés sur lesquels un risque de crise important est décelé. La Commission aurait un délai de 30 jours pour adopter les mesures nécessaires, pouvant aller jusqu’à des mesures de retrait de marchandises volontaire, avec compensation financière, ou encore des mesures de retrait obligatoire.

CONCLUSION DU TITRE 2

Le règlement n°1308/2013 reconnaît plusieurs régimes dérogatoires à l’article 101 du TFUE, applicables aux organisations économiques agricoles. Le développement du nombre de ces régimes, le déclenchement facilité de leur mise en œuvre et le recul du pouvoir de contrôle de la Commission témoignent de la nécessité, toujours présente, de régulation des marchés agricoles. Néanmoins, ces avancées par tâtonnement manquent de cohérence générale et nécessitent une clarification afin d’asseoir la sécurité juridique des opérateurs. En effet, la portée dérogatoire des différents régimes d’exemption diffère selon la nature de l’organisation, sans que cela ne soit réellement justifié. En outre, l’articulation des différentes dispositions dérogatoires n’est pas toujours aisée. Ce besoin de cohérence a été identifié par la commission agriculture du Parlement européen, qui a notamment voté un amendement proposant la modification de l’article 210 du règlement n°1308/2013, relatif à l’exemption des organisations interprofessionnelles. Le régime proposé est similaire à celui existant à l’article 209 pour les associations d’agriculteurs. La notification à la Commission, préalable à la mise en œuvre des mesures envisagées, disparaît. Les organisations interprofessionnelles pourront néanmoins demander un avis à la Commission, qui pourra le modifier si l’organisation a fourni des informations inexactes ou fait une utilisation abusive de cet avis464. En raison des récentes élections

européennes, l’avenir du rapport voté par la commission agriculture du Parlement européen, est néanmoins incertain. En effet, la conférence des Présidents devra décider si ce rapport est présenté sans modification en séance plénière, ou si, au contraire, il est renvoyé devant la commission agriculture afin de modifier son contenu. Les prochains mois seront ainsi déterminants en la matière. En tout état de cause, le cadre concurrentiel applicable aux organisations économiques agricoles semble s’assouplir de manière générale, allant vers une réduction des conditions de déclenchement des mesures dérogatoires et une place réduite de contrôle de la Commission. Les modifications apportées par le règlement n°2017/2392, dit « omnibus », sont, à ce titre, remarquables.

464 E. ANDRIEU et K. GLOANEC MAURIN, Amendement 589, modifiant l’article 210, paragraphe 1, du règlement n°1308/2013, document n° 2018/0218(COD), consultable sur :

http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2014_2019/plmrep/COMMITTEES/AGRI/AM/2019/04- 01/1171815FR.pdf

Elles ont renforcé le caractère dérogatoire du cadre concurrentiel applicable aux organisations économiques agricoles, et même plus largement, aux organisations collectives non reconnues. La sécurité juridique des opérateurs semble renforcée, créant un contexte propice au développement des organisations économiques reconnues.