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CHAPITRE 1 - LA PERCEPTION DES MÉLANGES D’ODEURS : REVUE BIBLIOGRAPHIQUE

IV. F ACTEURS MODULANT LA STRATÉGIE PERCEPTIVE OLFACTIVE

3. Complexité de l’information et perception

3.3. Odorants clés

La perception de mélanges complexes peut aussi être facilitée par la perception de quelques odorants-clés, qui pourront eux aussi, le cas échéant, être perçus de façon synthétique ou analytique. Selon le domaine de recherche il existe plusieurs définitions d’un odorant-clé. Les éthologues définissent des odorants-clés comme des stimuli ayant une valeur biologique de façon spontanée (prédisposée), comme les phéromones (cas de la Phéromone Mammaire; Coureaud, 2001; Coureaud et al., 2010; Schaal et al., 2003), ou acquise, comme les odorants permettant aux abeilles de reconnaître les congénères familiers (même essaim/ruche) et non familiers (Breed et Julian, 1992). Du point de vue des experts de l’analyse d’arômes ou des aromaticiens, les odorants-clés sont ceux qui contribuent majoritairement au fait de conférer à un mélange complexe sa note odorante (Pons et al., 2011). Ainsi, Grosch et collaborateurs (Grosch, 2001) ont défini que les odorants ayant les plus fortes OAV (Odor Active Value; rapport entre la concentration de l’odorant et son seuil de détection) sont ceux

76 qui contribuent le plus à la note finale du mélange. Mais les auteurs eux-mêmes soulignent qu’il existe des exceptions. Nous prendrons ici comme définition d'odorants-clés d'un mélange ceux qui, lorsqu'ils sont omis, modifient significativement la note globale du mélange ou le comportement qui lui est associé.

L’étude par omission est un paradigme pertinent pour aborder la question des odorants-clés. Il a été par exemple utilisé chez des singes (Saimiri sciureus) dans une étude dont l’objectif était d’évaluer la généralisation de la réponse à un mélange de 12 odorants préalablement appris, à des sous-mélanges composés de 3, 6, 9 ou 11 de ces douze odorants. Les sous-mélanges de 3 odorants étaient tous perçus différemment du mélange de 12. Parmi les sous-mélanges de 6, seuls deux (sur 6) étaient perçus différemment du mélange de 12, et dans ceux de 9, un seul (sur 4) était discriminé. Dans les sous-mélanges de 11 odorants, seule l’omission du cinéole (sur 3) induisait une discrimination entre le sous-mélange et le mélange de 12 (Laska et Hudson, 1993). Ainsi, les singes semblent traiter ce mélange complexe de 12 odorants de façon au-moins partiellement synthétique ; la formation d'une configuration propre au mélange semble, elle, dépendre plus particulièrement de certains des odorants constitutifs du mélange, comme le cinéole. Ce dernier serait donc un élément clé de la configuration. De façon intéressante, les auteurs ont également présenté ces mêmes mélanges à des sujets humains adultes (n = 3). Les mêmes réponses ont été observées pour les sous-mélanges de 9 constituants. Toutefois, les sous-mélanges de 6 et 3 constituants n'étaient pas systématiquement différenciés. Enfin, sur les 3 juges testés, un seul percevait une différence entre le mélange initial et celui ou le cinéole avait été omis. Ainsi, si ce mélange de 12 odorants semble perçu de façon en partie synthétique chez l'Homme et le singe, le cinéole serait moins un odorant-clé pour l’Homme, au sein de ce mélange. Tous les constituants n’auraient donc pas nécessairement le même poids dans la note finale d’un mélange. Et ce poids pourrait différer d'une espèce à une autre.

La présence de constituants-clés dans les mélanges complexes floraux a été étudiée chez l'abeille. Une étude a ainsi visé à déterminer si les abeilles discriminaient olfactivement deux espèces de fleurs (muflier et colza) mais aussi différentes variétés d'une même espèce. En l'occurence, il existe des différences qualitatives entre les deux espèces considérées par l'étude et entre leurs variétés: seuls 3 odorants sont communs aux deux espèces, et les variétés de colza présentent entre 75 et 83% d’odorants communs, les mufliers beaucoup

77 moins. Dans l'étude, les abeilles étaient effectivement capables de différencier les variétés de mufliers mais pas celle de colzas. Cependant, après apprentissage répété récompensé en sucrose de l’odeur d’une variété de fleur, elles devenaient aptes à différencier correctement les variétés, même pour le colza. Les auteurs supposent que la ressemblance entre les variétés de colza repose sur la présence des mêmes odorants-clés (Wright et al., 2002). Différents éléments-clés en mélange engendrent-ils la perception d'une configuration? Reinhard et collaborateurs (Reinhard et al., 2010) donnent un début de réponse à cette question. Des abeilles sont conditionnées par une récompense en sucrose à 3 mélanges floraux de 14 odorants avant d'être testées à chacun de ces constituants, présentés séparément. Elles ne répondent alors pas de façon similaire à tous les odorants. Même si elles répondent à tous les odorants du mélanges, elles répondent plus à une sélection de quelques odorants testés individuellement (3 à 9), sélection différente d'un mélange à un autre. Ces sous-mélanges de 3 à 9 odorants entraînent même une réponse équivalente à celle exprimée envers le mélange initial de 14 odorants. Ainsi, ces sous-mélanges semblent perçus de façon synthétique, puisque la réponse à chacun de leurs odorants-clés est moindre que la réponse au sous-mélange de ces derniers, réponse elle-même équivalente à celle observée pour le mélange complet. Les auteurs suggèrent que les sous-mélanges sont perçus comme des configurations. Les auteurs ont souligné que la différence de réponse entre les odorants-clés et les non-clés était bien marquée. Ils ont aussi montré que ni la volatilité, ni la structure moléculaire, ni les facultés d’apprentissage des abeilles vis-à-vis de chacun des odorants n'affectait le fait qu’un odorant soit clé ou non (Reinhard et al., 2010). Le seul facteur modulant cette "valeur clé" d'un odorant clé semblait être sa concentration, les odorants les plus concentrés étant souvent les odorants-clés.

Comprendre ce que sont les odorants-clés, comment ils fonctionnent et ce qu’ils confèrent comme propriété particulière au mélange reste largement à approfondir. D’un point de vu aromatique, ces questions sont également d’un grand intérêt puisque la formulation des mélanges en dépend.

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