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CHAPITRE 1 – INTRODUCTION

III. P SYCHOPHARMACOLOGIE DE L ’ EXCLUSION SOCIALE

1. Ocytocine et processus affiliatifs

Ces dernières années l’OT, un neuropeptide produit par les neurones magnocellulaires des noyaux paraventriculaires et supraoptiques de l’hypothalamus, a été le sujet d’études poussées notamment dans le domaine des interactions sociales. Ce neuropeptide est présent chez tous les vertébrés et serait apparu très tôt dans l’évolution car la présence de peptides homologues de l’OT est avérée chez les invertébrés (Gimpl & Fahrenholz, 2001; Gruber, 2014; Knobloch & Grinevich, 2014). Il est sécrété de manière endocrine via libération vésiculaire au niveau de la glande pituitaire dans la circulation sanguine générale pour une action en périphérie, mais peut aussi agir au niveau central sur des régions cibles des projections hypothalamiques (Buijs, De Vries, Van Leeuwen, & Swaab, 1983). Les régions d’actions de l’OT sont liées à la distribution de ses récepteurs (OTR) et de leurs projections dans le cerveau. Peu d’études ont déterminé avec exactitude cette distribution cérébrale chez l’humain, cependant des études chez les primates non-humains ont pu mettre en évidence la présence de récepteurs au niveau de l’hippocampe, amygdale et CCA, des régions impliquées dans les processus sociaux (Fig. 15 ; Grinevich, Knobloch-Bollmann, Eliava, Busnelli, & Chini, 2016). Cette molécule a été caractérisée comme impliquée dans les comportements maternels via son action stimulante sur

la lactation, mais aussi dans l’affiliation et les comportement pro-sociaux d’approche. Les OTR sont aussi présents au niveau de l’insula (Tribollet, Dubois-Dauphin, Dreifuss, Barberis, & Jard, 1992) ainsi que du CCA et de l’amygdale, une structure centrale connectée à l’insula et impliquée dans les comportements sociaux (Amaral, 2003; Boccia, Petrusz, Suzuki, Marson, & Pedersen, 2013).

Chez le rongeur, il y a une forte densité des OTR qui sont présents au niveau du CPF médian (Knobloch et al., 2012; Sabihi, Dong, Maurer, Post, & Leuner, 2017; Smeltzer, Curtis, Aragona, & Wang, 2006). On retrouve aussi des OTR au niveau de l’insula (Rogers-Carter et al., 2018) ainsi qu’au niveau du bulbe olfactif, voie d’entrée principale des stimuli sociaux chez les rongeurs (Grinevich et al., 2016). Les neurones ocytocinergiques projettent aussi au niveau du CPF médian et de l’insula (Knobloch et al., 2012; Marlin & Froemke, 2017; Mitre, Minder, Morina, Chao, & Froemke, 2018).

Figure 15. Expression des OTR chez les rongeurs et les primates. (d’après Grinevich et al. 2016)

Étant donné la répartition des OTR et la localisation des neurones sensibles à l’OT au niveau de régions impliquées dans la cognition sociale, nous allons dans ce chapitre présenter les modulations comportementales et neuronales de l’OT dans un contexte social chez l’humain

1.1 Ocytocine chez l’humain

1.1.1 Modulation comportementale

Dans le contexte des études en laboratoire des effets de l’OT, la voie d’administration privilégiée pour action centrale chez l’humain est intra-nasale (Born et al., 2002). En effet cette voie d’administration est non invasive et permet de délivrer des neuropeptides au niveau cérébral, démontré par mesure de la concentration de ces molécules dans le liquide céphalo-rachidien. L’administration d’OT module l’activation cérébrale ainsi que les comportements. Son action pro-sociale agirait de deux manière, avec d’une part une action anxiolytique de l’OT facilitant les comportements d’approche, et d’autre part une augmentation de la saillance et valeur gratifiante des stimulus sociaux (Fig. 16 ; Bethlehem, Baron-Cohen, van Honk, Auyeung, & Bos, 2014; Grace, Rossell, Heinrichs, Kordsachia, & Labuschagne, 2018).

Chez l’humain, ce neuropeptide modifie la perception des visages émotionnels et augmente le niveau de confiance accordé à autrui (Kosfeld, Heinrichs, Zak, Fischbacher, & Fehr, 2005). Il aurait donc une action permettant d’augmenter la détection d’indices et stimuli sociaux pertinents et la régulation des signaux pro-sociaux ainsi que l’encodage de stimuli sociaux de valence positive (Guastella, Mitchell, & Dadds, 2008), favorisant donc la création et maintenance de relations sociales fortes (Bartz, Zaki, Bolger, & Ochsner, 2011). Des mécanismes d’action ont été proposés et impliquent, en réponse à un stimulus social, que l’activation du système ocytocinergique soit modulée par le système sérotoninergique. L’OT va à son tour moduler l’activité phasique dopaminergique au niveau de l’aire tegmentale ventrale. Cette cascade d’activation menant à la libération de dopamine va permettre non seulement d’associer l’interaction sociale à une récompense positive, mais aussi d’augmenter le niveau de saillance des indices sociaux dans le but de favoriser les comportements pro-sociaux (Bethlehem et al., 2014; Porcelli et al., 2018).

La présence d’OT faciliterait aussi les comportements d’approche sociale en ayant une action anxiolytique. En effet d’autres études ont mis en évidence une action similaire de l’OT, qui a favorisé les comportements d’approche versus ceux d’évitement.

Figure 16. Potentiel modèle d'action de l'OT. L’OT agirait au niveau de la cognition sociale et de manière pro-sociale via une potentielle action anxiolytique et une augmentation de la sensibilité à la récompense. Cette action concomitante augmenterait la sensibilité et la saillance sociale (d’après Bethlehem et al., 2014).

1.1.2 Corrélats neuronaux

L’OT aurait une action sur l’activation de l’amygdale, sa présence favoriserait la reconnaissance sociale et réduirait l’attention sur les indices négatifs et potentiellement menaçant. Son administration augmenterait aussi la connectivité fonctionnelle entre l’amygdale et le CPF, pouvant expliquer ses effets pro-sociaux via une amélioration du contrôle cognitif et de la régulation émotionnelle (Sripada et al., 2013). Cette modulation de l’activation au niveau de l’amygdale contribuerait à l’action anxiolytique de l’OT (Bethlehem, van Honk, Auyeung, & Baron-Cohen, 2013; Labuschagne et al., 2010).

Au cours d’un paradigme mesurant les comportements d’approche et d’évitement, l’administration intra-nasale d’OT a favorisé les comportements d’approche en réponse à un stimulus social comparé aux sujets ayant reçu un placebo. De manière intéressante, ce comportement d’approche a été associé à une réduction de l’activation insulaire (S. Yao et al., 2018). Les auteurs proposent que cette déactivation permettrait de réduire les interférences permettant aux sujets de focaliser leur attention sur le stimulus social. A l’inverse, d’autres auteurs proposent que l’OT aurait une action pro-sociale après exposition à un stimulus

émotionnel via une augmentation de la réponse neuronale au niveau de l’insula et d’autres régions comme le CCAsg et cortex orbitofrontal (Mottolese, Redouté, Costes, Bars, & Sirigu, 2014). Les effets observés de l’OT sur l’activation insulaire et du CCA valideraient l’hypothèse d’une action de l’OT sur la saillance des indices environnementaux pertinents.

1.2 Ocytocine chez le rongeur

Des études chez le rongeur ont mis en évidence un rôle de l’OT dans les comportements maternels mais aussi affiliatifs. Une première étude conduite a mis en évidence le rôle de l’administration centrale d’OT exogène dans la création de liens maternels chez des rates nullipares (Pedersen & Prange, 1979). Une autre étude pionnière a mis en évidence son rôle dans la création de couples, où la répartition des OTR a été étudiée chez deux espèces de campagnols : une monogame vivant dans les prairies et une polygame vivant dans les champs (J. R. Williams, Insel, Harbaugh, & Carter, 1994; Young & Wang, 2004). Les deux espèces ont la même répartition d’OTR au niveau du CPF, cependant la différence apparaît au niveau de la répartition dans le noyau accumbens et le noyau caudé du putamen, deux régions impliquées dans les processus affiliatifs (Fig. 17A et 17B). L’espèce monogame a une préférence significative pour initier des interactions sociales avec son partenaire, alors que les campagnols polygames ne présentent aucune préférence entre un partenaire et un inconnu (Fig. 17C). Le niveau d’expression des OTR serait aussi associé à différents comportements maternels chez le rat (Francis, Champagne, & Meaney, 2000). De plus, l’administration centrale d’OT chez le rat augmente la durée et quantité d’interactions sociales, validant son implication dans les processus affiliatifs (Witt, Winslow, & Insel, 1992).

Figure 17. Neurobiologie de l'attachement chez le campagnol. Localisation des récepteurs à l’OT chez deux espèces de campagnols A) monogame et B) polygame. C) Représentation graphique du temps de contact social chez ces deux espèces (d’après Donaldson & Young, 2008).

L’OT est aussi impliqué dans les processus de cognition sociale et notamment la mémoire sociale, qui est requise pour le maintien de lien sociaux forts (Lukas & Neumann, 2013). L’administration intra-cérébro-ventriculaire (ICV) d’OT à des doses physiologiques augmente la mémoire sociale des rats, qui se traduit par une durée d’exploration réduite à la deuxième exposition dans un test de reconnaissance sociale (Benelli et al., 1995). A l’inverse, l’inactivation des OTR chez des souris KO ou par injection d’un antagoniste de ces récepteurs entraine l’apparition de déficits de reconnaissance sociale ainsi qu’un temps d’exploration réduit dans un test de sociabilité (Lukas et al., 2011). Au cours d’un test de préférence sociale, le blocage des OTR inhibe la préférence pour la nouveauté sociale, et l’administration d’OT exogène la rétablit chez des rats pré-exposés à un protocole de défaite sociale (Lukas et al., 2011; Pobbe et al., 2012; Rogers-Carter et al., 2018). L’OT jouerait donc un rôle central dans la création et le maintien de liens sociaux.