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CHAPITRE 1 – INTRODUCTION

II. C ONSEQUENCES D ’ UN STRESS SOCIAL CHRONIQUE : EXEMPLE DE LA DEPRESSION UNIPOLAIRE

4. Corrélats neuronaux de la dépression unipolaire

4.1 Données chez l’humain

La dépression est un trouble multidimensionnel, mettant en jeu des structures cérébrales aussi bien limbiques, sous-limbiques que corticales. Elle est caractérisée par des anomalies fonctionnelles pouvant être étudiées en imagerie fonctionnelle, et structurales pouvant être analysée par des études post-mortem.

Des enregistrements au repos en IRMf ont mis en évidence une hyperactivation basale du CPF et CCA, avec des spécificités au niveau du CPF ventromédian, du CCAsg et du thalamus (Connolly et al., 2013; Greicius et al., 2007; Hamani et al., 2011; Helen S. Mayberg et al., 2005). En particulier, de nombreuses études ont désigné de manière constante le CCAsg ou BA25 comme impliqué dans la physiopathologie de la dépression (Lozano et al., 2008; H. S. Mayberg, 1997). Il serait lié aux symptômes de dysphorie, car il serait activé de manière transitoire chez les sujets sains en période de tristesse, et activé de manière chronique chez les patients dépressifs (Krishnan & Nestler, 2008). De manière intéressante, cette région répond aux traitements pharmacologiques par inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRSs) et par stimulation cérébrale profonde (SCP) chez les sujets résistants aux antidépresseurs. Une étude pionnière a démontré qu’un traitement par SCP au niveau de BA25 réduisait les symptômes dépressifs, via une réduction de son activation ainsi que celle du thalamus et de régions préfrontales (Helen S. Mayberg et al., 2005). De la même façon, les traitements par ISRSs chez les patients répondant au traitement réduisent le métabolisme au niveau de BA25, confirmant son rôle clé dans la physiopathologie de la dépression (Fig. 13; Hamani et al., 2010).

Figure 13. Pattern d'activation du CCAsg (BA25) en réponse à divers traitements antidépresseurs. Le métabolisme du glucose et le flux sanguin cérébral sont présentés en réponse à différents traitements antidépresseurs A-B) pharmacologiques, C-E) invasifs par stimulation, F) manipulation comportementale et G) manipulation des niveaux de sérotonine. H) Différence anatomique chez des sujets homozygotes pour l’allèle S du transporteur à la sérotonine et ceux porteurs de l’allèle L. I) Réduction (région rose) de la densité gliale chez des sujets déprimés comparés à des contrôles sains en post-mortem (Hamani et al., 2011).

Au niveau du lien entre intensité des symptômes dépressifs et activation neuronale, le niveau d’activation du CCAsg corrèle positivement avec les scores de dépression (Keedwell et al., 2009). Il a aussi été démontré que le niveau de désespoir était positivement corrélé avec le niveau d’activation au niveau du CCA ventral et de l’AI (Drevets, 2000; Z. Yao, Wang, Lu, Liu, & Teng, 2009). Des anomalies au niveau de l’activation insulaire ont aussi été relevées au cours de tâches d’interoception, où son activité est négativement corrélée à la sévérité des symptômes dépressifs (Avery et al., 2014). Cependant des résultats opposés ont été trouvés, montrant que son activité est élevée en réponse à des stimulus négatifs chez les patients déprimés ce qui reflèterait une sensibilité accrue généralisée envers les stimulus négatifs (Mottaghy et al., 2002; Sprengelmeyer et al., 2011). Une étude a néanmoins montré que l’altération du métabolisme de l’AI chez des sujets déprimés pouvait prédire la réponse à un traitement antidépresseur ou traitement par thérapie cognitive comportementale (McGrath et al., 2013). Au niveau structural, une réduction du volume neuronal du cortex insulaire antérieur

émotionnelles observées (Namkung et al., 2017; Takahashi et al., 2010). Cette structure pourrait donc constituer un biomarqueur permettant d’améliorer la prise en charge de la dépression.

Dans le contexte du stress social, des études en CBT chez des sujets déprimés a mis en évidence une activation accrue dans l’insula, amygdale et CPF ventrolatéral en réponse à l’exclusion sociale comparé à des sujets contrôles (Kumar et al., 2017; Silk et al., 2014). Cette réponse est aussi négativement corrélée aux scores d’estime de soi. L’insula aussi est impliquée dans le biais envers les émotions négatives étant donné que son activité après réception d’un stimuli émotionnel négatif est supérieure chez les sujets dépressifs que les sujets sains (Hamilton, Chen, & Gotlib, 2013; Hamilton et al., 2012). De manière intéressante une étude menée chez des adolescents non déprimés a montré que le niveau d’activation du CCAsg au cours d’une phase d’exclusion du CBT était positivement corrélé à l’apparition de symptômes dépressifs dans l’année qui a suivi (Masten et al., 2011). L’intensité d’activation du CCAsg dans un contexte de stress social pourrait donc mettre en évidence une prédisposition pour le développement de symptômes dépressifs et constituer un biomarqueur chez des sujets identifiés comme à risque pour la dépression.

D’autres altérations cette fois-ci à l’échelle des réseaux cérébraux et de la connectivité fonctionnelle ont été observées chez les patients souffrant de dépression. Un symptôme clé de la dépression est la rumination inadaptée, qui semblerait avoir pour origine un dysfonctionnement au niveau du réseau de mode par défaut DMN, impliqué dans les processus de référence à soi et intéroceptifs (Hamilton, Farmer, Fogelman, & Gotlib, 2015). On retrouve en effet chez les sujets dépressifs une augmentation anormale de la connectivité au sein de ce réseau (Kaiser, Andrews-Hanna, Wager, & Pizzagalli, 2015) et avec d’autres régions telles que le CCAsg et le thalamus (Fig. 14 ; Berman et al., 2011; Cooney, Joormann, Eugène, Dennis, & Gotlib, 2010; Greicius et al., 2007; Hamilton, Farmer, Fogelman, & Gotlib, 2015; Nejad, Fossati, & Lemogne, 2013).

Figure 14. Corrélation en la connectivité CCAsg-DMN et la durée de l'épisode dépressif. Etude réalisée chez 24 patients, montrant que le niveau de connectivité CCAsg-DMN corrèle positivement avec la durée de l’épisode dépressif actuel (d’après Greicius et al. 2007).

Les différents patterns de connectivité des sous-divisions du CCA avec d’autres régions du cerveau ont aussi été examinés. Dans une étude étudiant la connectivité fonctionnelle chez des sujets déprimés, la réponse à un traitement par stimulation magnétique transcrânienne a été prédite par le niveau de connectivité du CCAsg en baseline (Liston et al., 2014). Les hauts niveaux de dépression sont associés avec une diminution de la connectivité entre le CCAsg et l’AI (Philippi, Motzkin, Pujara, & Koenigs, 2015; C. Wang et al., 2018). De plus, une plus grande connectivité a été observé entre le CCAsg et le PCC (faisant parti du DMN) ainsi qu’entre le CCAsg et le CPF dorsolatéral, validant les observations montrant une augmentation de la connectivité entre le CCAsg et le DMN dans les processus de rumination. L’utilisation de la stimulation magnétique transcrânienne au niveau du CPF dorsomédial réduit l’hyperconnectivité entre le CCAsg et certaines régions du DMN (CPF ventromédial et CCA prégénual) (Liston et al., 2014). Ces altérations au niveau du DMN sont aussi retrouvées chez des sujets à risque de dépression dont un membre de leur famille au premier degré a déclaré au moins un épisode dépressif majeur (Posner et al., 2016).

Un autre réseau majeur altéré dans la physiopathologie de la dépression est le SN (Manoliu et al., 2013; Sheline et al., 2009) où une diminution du niveau d’activation fonctionnelle au niveau de l’AI, une des régions centrales du SN, a été observée. De plus, cette réduction a été négativement corrélée à la sévérité des symptômes dépressifs, et positivement à la réduction de connectivité entre le DMN et CEN (Manoliu et al., 2013). Étant donné le rôle

connectivité pourrait avoir des conséquences importantes notamment au niveau des troubles de la rumination, avec une balance penchant vers une augmentation de l’activité du DMN. Ceci entrainerait une réduction de l’attention portée sur des informations venant du monde extérieur et un focus accru sur ses états et pensées internes (Hamilton et al., 2011). De plus, d’autres altérations ont été observées dans des systèmes impliqués dans le contrôle cognitif et la régulation émotionnelle, pouvant expliquer les difficultés qu’ont les sujets dépressifs à réguler les niveaux d’humeur triste.

De manière cohérente avec les modifications de connectivité fonctionnelle, des anomalies structurales ont été observées chez les sujets déprimés, chez lesquels on retrouve une réduction globale de la myélinisation au niveau notamment du CCAsg et de l’insula comparé à des contrôles sains (Drevets, Savitz, & Trimble, 2008; Sacchet & Gotlib, 2017). Ces anomalies ont aussi été retrouvées chez des proches des patients déprimés. Par exemple, une étude réalisée chez des descendants de proches déprimés a montré une réduction de 28% de l’épaisseur corticale du l’hémisphère droit, et ce malgré l’absence d’histoire dépressive (Peterson et al., 2009). Ceci pourrait constituer un marqueur de vulnérabilité à développer des symptômes dépressifs.