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Les obstacles à une diffusion à plus grande échelle

Il existe des freins qui pourraient limiter une dif- fusion plus ample du projet, voire l’engagement de plus de villes. Du côté des villes françaises, une réduction des budgets destinés à l’AECT est observée (CIEDEL, 2016). De plus, le travail de prise de contact avec les collectivités pour arri- ver à leur engagement est long. Ceci est dû, d’une part, au dialogue parfois peu fluide entre les ser- vices « coopération internationale » et « agricul- ture et alimentation » d’une même collectivité, qui nécessite du temps pour élaborer des objectifs communs. D’autre part, l’alimentation et la valo- risation des projets alimentaires à l’international ne constituent pas encore une priorité politique.

Il faut également considérer la particularité du contexte français, porteur d’une longue histoire de coopération décentralisée. C’est un mécanisme institutionnel bien enraciné en France qui n’au- rait probablement pas le même potentiel dans d’autres pays.

Le potentiel de réplicabilité reste donc incer- tain. Let’s Food Cities est un projet pilote et sa capacité à se propager ou à se reproduire dans un autre contexte dépendra de la volonté des villes à travailler sur ces thématiques.

CONCLUSION

Malgré son potentiel, le projet présente certaines limites. Tout d’abord, le positionnement du projet vers le « Sud » est discutable. L’action extérieure des collectivités locales s’inscrit historiquement dans le cadre des relations Nord-Sud, longuement dominées par l’approche « projet », assez focalisées sur le souci de répondre à des besoins locaux de court terme ou aux vœux des collectivités du Nord, soucieuses de montrer des résultats concrets. Or, ces actions de coopération n’ont du sens que si elles cherchent à impliquer les acteurs locaux et à favoriser un développement de capabilities dans le sens d’Armatya Sen, à transférer des savoir-faire (Djeflat et Boidin, 2010) qui puissent être exploités par les acteurs locaux sur le long terme. Dans ce sens, il aurait été souhaitable d’impliquer les étu- diants des villes étrangères, ou d’autres acteurs locaux, dans l’élaboration du diagnostic depuis le début, et pas seulement une fois que le diagnostic a déjà été réalisé par les étudiants français. Ceci aurait favorisé une meilleure appropriation des questions d’alimentation par les acteurs locaux.

En poussant ce questionnement encore plus loin : pourquoi chercher à engager des villes étrangères qui n’ont pas forcément montré leur intérêt à travailler sur les systèmes alimentaires ? Certes, ces villes présentent des initiatives liées à l’alimentation mais le fait qu’elles n’aient pas encore manifesté leur intérêt à travailler sur le sujet laisse penser qu’elles ont d’autres priori- tés. Il serait peut-être plus légitime de créer un forum de villes déjà engagées sur des actions liées à l’alimentation durable dans la lignée du Pacte de Milan. À la différence du Pacte, qui se limite à une rencontre par an, ce forum pourrait favoriser des coopérations et échanges continus entre villes, renforçant des dynamiques déjà existantes.

Ensuite, bien que le diagnostic des systèmes alimentaires puisse être un instrument perti- nent pour commencer une discussion avec les acteurs, il faut veiller à son utilisation. Le dia- gnostic demande une homogénéisation de don- nées qui n’est pas facile à atteindre, considérant la multitude d’acteurs qui ne travaillent pas for- cément à la même échelle. Comme différentes expériences le montrent, la mise en œuvre d’ac- tions sur la question alimentaire de la part des villes ne vient pas souvent d’une intention for- mulée de bâtir une politique alimentaire durable. La thématique est plutôt introduite « à partir

d’autres préoccupations des villes, telles que la santé, la salubrité, la pauvreté, l’environnement […] » (Brand et al., 2017 p. 130). Ceci montre donc

qu’il n’est pas nécessaire d’aspirer à un état des lieux complet pour générer l’intérêt vers les ques- tions alimentaires. Au contraire, des élus dispo- sant d’un levier et voulant tenter de nouvelles expériences peuvent être le principal moteur du changement. Le diagnostic serait donc à considé- rer comme un prétexte pour commencer les dis- cussions avec les acteurs locaux et non comme un instrument exhaustif à partir duquel des actions concrètes seront réalisées.

Reste enfin la question de la pérennisation. Y a-t-il une réelle volonté de la part des collectivités à s’engager ou leur participation relève-t-elle plu- tôt d’un simple affichage politique ? Le projet fait face au risque de voir des collectivités, en particu- lier étrangères, s’engager pour les trois ans, sans suite à la fin du projet.

La structuration des systèmes alimentaires vers plus de durabilité peut passer par l’échange d’expériences, comme Let’s Food Cities le pro- pose. Ceci ne constitue qu’une première étape pour la préparation du terrain pour un mouve- ment plus ample. Sur le long terme, les villes, pro- posant plus d’alternatives et étant plus engagées que les États, ont le potentiel de devenir un véri- table mouvement politique et d’acquérir un poids majeur dans les négociations au sein des poli- tiques nationales, européennes et internatio- nales. La rupture avec les systèmes dominants et la transition vers plus de durabilité, « ne pourra

pas se faire avec les seuls leviers dont disposent les villes. La gouvernance doit être locale et glo- bale. Les politiques nationales et internationales et les pratiques de grands groupes industriels façonnent aujourd’hui les systèmes alimentaires.

Ces acteurs devront aussi changer de stratégie, notamment sous pression des villes organisées en réseaux » (Debru et al. 2017, p. 23).

BIBLIOGRAPHIE

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Concepts et démarches. Versailles : Éditions Quae,

158 p.

BRICAS N., FAGES R., 2017. L’alimentation des villes.

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française de développement, 55 p.

CENTRE INTERNATIONAL D’ÉTUDES POUR LE DÉVELOPPEMENT LOCAL (CIEDEL), 2016.

Internationalisation des collectivités territoriales et des territoires. CIEDEL, compte rendu des travaux de

l’atelier du 20 mai, 18 p.

DEBRU J., ALBERT S., BRICAS N., CONARÉ D. (Eds), 2017. Politiques alimentaires urbaines. Actes de la

rencontre internationale sur les expériences en Afrique, Amérique latine et Asie en matière de marchés, restauration collective et connexion urbain/rural.

Montpellier : Chaire Unesco Alimentations du monde, 168 p.

DJEFLAT A., BOIDIN B., 2010. La coopération décentralisée face aux enjeux du développement durable. Développement durable et territoires, 1, 1. Disponible sur Internet : https://journals.openedition. org/developpementdurable/8387

DOYEN M.-F., 2017. La coopération décentralisée

sur les systèmes alimentaires, quels rôles pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture ? Mémoire pour l’obtention du diplôme

d’Ingénieur spécialisé en innovations et politiques pour une alimentation durable. Montpellier : Montpellier SupAgro, 50 p.

FORSTER T., EGAL F., GETZ ESCUDERO A., RENTING H., DUBBELING, M., 2015. Milan Urban Food Policy Pact.

Selected Good Practices from cities. Milan : Fondazione

JOURNÉE DES INNOVATIONS POUR UNE ALIMENTATION DURABLE 2018

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Cette étude s’est basée sur les entretiens suivants, dont les contenus sont venus enrichir l’analyse : BRICAS N., directeur de la Chaire Unesco Alimentations du monde et socioéconomiste de l’alimentation au Cirad, entretien le 07/03/2018 à Montpellier. FAUCHER A., porteuse du projet Let’s Food Cities, entretien le 06/03/2018 à Bordeaux.

GIORDANO T., expert coopération décentralisée DAECT-MEAE auprès de la FAO, entretien le 26/03/2018 par Skype.

LANÇON L., porteuse du projet Let’s Food Cities, entretien le 09/03/2018 par Skype.

PARIENTÉ S., chargée de mission agroécologie et alimentation auprès de Montpellier Méditerranée Métropole, entretien le 02/03/2018 à Montpellier. SCOUARNEC M., chargée d’animation au sein du Conseil consultatif de gouvernance alimentaire auprès de Bordeaux Métropole, entretien le 06/03/2018 à Bordeaux.