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Les obstacles de l’APD en Haïti

3 PORTRAIT DE L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT À HAÏTI

4.2 Les obstacles de l’APD en Haïti

Aborder les obstacles de l’APD à Haïti amène inévitablement à questionner son efficacité. La littérature est abondante sur le sujet mais la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide publiée en 2005, demeure le document incontournable permettant d’évaluer les résultats mitigés de l’APD. Dans le cas d’Haïti, les notions de neutralité, d’impartialité et d’apolitisme devraient constituer la pierre angulaire de l’action des bailleurs, ce qui représente un véritable défi rien qu’en jetant un simple coup d’œil sur les déboires de la communauté internationale et l’impuissance des autorités haïtiennes au lendemain du séisme du 12 janvier 2010. La déclaration de Paris consacre trois principes longuement discutés (appropriation, alignement et harmonisation) et deux principes supplémentaires couronnent le tout en vue d’assurer une efficacité maximale de l’aide (gestion axée sur les résultats en matière de développement et de responsabilité mutuelle). À ceux-là s’ajoutent douze indicateurs de suivis (Perroulaz et autres, 2010). Pourtant, force est de constater qu’en dépit de la Déclaration de Paris, l’aide internationale à Haïti demeure très controversée en raison du nombre élevé d’intervenants et du manque d’organisation de ces derniers (Dufour, 2011). À côté de la multiplicité des acteurs, un

autre enjeu de coordination de l’aide parait tout aussi déterminant. Il s’agit des nouveaux pays donateurs comme la Chine, lesquels ne participent pas l’effort d’harmonisation (Jacquet, 2006). L’APD en Haïti fait face à plusieurs obstacles d’ordre interne et externe, lesquels constituent un frein à son efficacité et entravent l’atteinte des objectifs du développement durable dans ce pays. Bien que les principaux obstacles aient été énumérés dans la section traitant du vide institutionnel, il s’avère opportun de mettre l’accent sur la corruption et le trafic de la drogue.

4.2.1 La corruption

Tel que mentionné au chapitre deux, la corruption est un phénomène séculaire qui s’est installé en Haïti depuis l’époque de Toussaint Louverture et qui a connu son apogée sous le gouvernement des Duvalier, père et fils. Ce système a sévi pendant le règne des militaires (1986 à 1991) ainsi que sous la présidence d’Aristide et de Préval (1994 à 2004) pour se perpétuer de façon plus discrète sous l’administration Martelly. Ainsi, la pérennisation de la corruption s’explique par le fait qu’elle constitue un moyen sûr de s’enrichir, toutes classes sociales confondues. Le même raisonnement s’applique aux IFI, lesquelles en ont fait leur cheval de bataille en finançant des projets sur la gouvernance, le renforcement institutionnel, la lutte contre la corruption, etc. Il sera donc démontré que les bailleurs de fonds ont contribué à des épisodes de corruption à l’instar des institutions haïtiennes.

À titre d’exemple, la corruption du gouvernement de Jean-Claude Duvalier a contribué à faire diminuer l’impact de la dette externe d’Haïti en procurant des avantages aux responsables politiques de l’époque. Le gouvernement a ainsi enfreint l’accord stand-by signé avec le FMI, qui lui permettait d’avoir accès à des fonds d’un montant de 32 000 $ US de droits de tirages spéciaux (DTS) pour une période de trois ans. Le gouvernement a préféré donner sa garantie pour le financement de 90 millions de dollars pour des projets non rentables (usine sucrière, pêche, huiles comestibles) tout en renonçant aux DTS (Péan, 2007). Ce laisser-aller dans la gestion des finances publiques s’est manifesté par la suite dans la disparition de 20 des 22 millions de dollars octroyés par le FMI à la fin de l’année 1980 (Péan, 2007).

Selon Leslie Péan, la pratique du financement de projets non rentables allait favoriser l’évasion massive de capitaux vers l’extérieur. Une façon de détourner l’aide extérieure, sous l’œil complaisant des IFI. Ainsi, 1 262 millions de dollars, soit une moyenne annuelle de 180 millions de dollars ont

corruption financière était liée à la sortie de capitaux (Péan, 2007). Il est important de souligner qu’à cette époque un vent de panique soufflait sur le régime de Jean-Claude Duvalier. D’une part, la rationalisation de la gestion économique conduite par le ministre des Finances d’alors Marc L. Bazin (surnommé Mr. Clean) et d’autre part, la fameuse phrase prononcée par le Pape Jean Paul II lors de sa visite en Haïti en 1983 « Il faut que les choses changent », allaient accélérer le processus d’évasion des capitaux et la chute du régime trois ans plus tard.

Dans le même ordre d’idées, la tendance à l’exportation des capitaux allait s’accentuer jusqu’en 1994. Ainsi, de 1985 à 1994, la moyenne d’évasion est de 397 millions de dollars par an, tandis que les dépôts d’Haïti dans les banques étrangères atteignaient 403 millions de dollars par an avec des sauts en 1997 et 1998 quand ils ont atteint respectivement 530 et 597 millions de dollars (Péan, 2007). La corruption joue par ailleurs un rôle dans la fixation par l’État des prix de certains produits de base comme le sucre, la farine, le ciment, l’huile comestible, etc. et s’étend également à d’autres secteurs industriels comme l’électricité, l’eau potable et les télécommunications. Sous le gouvernement de Jean-Claude Duvalier, ces prix dépassaient largement ceux des pays des Caraïbes. Ces exemples illustrent la relation entre la corruption financière et la fixation des prix et permettent de démontrer comment un pays corrompu s’y prend pour générer des revenus en dehors du budget de l’État en augmentant la parafiscalité (Péan, 2007).

Il est à se demander comment l’APD aurait pu atteindre ses objectifs de développement économique et d’amélioration de la qualité de vie des populations les plus défavorisées, alors qu’elle est littéralement détournée. De plus, comment lutter contre la pauvreté et la faim, financer des projets de développement durable quand les capitaux sont utilisés à d’autres fins ou tout simplement volés? De plus, comment le gouvernement a-t-il pu contribuer directement et volontairement à accroître la pauvreté en fixant à la hausse les prix des produits de première nécessité? Vue sous cet angle, la corruption représente un obstacle insurmontable à l’APD ancrée dans les mœurs haïtiennes et dont l’éradication est difficile voire impossible. Les IFI ne sont pas en reste comme il a déjà été démontré au chapitre trois. Non seulement, l’aide bénéficie d’abord et avant tout au pays donateur mais les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux sont eux-mêmes corrompus. Toutefois, les règles cardinales de la corruption, qu’elle soit issue des IFI et de la plupart des régimes dictatoriaux qui se sont succédés, de l’indépendance à nos jours, sont le favoritisme, le népotisme, le clientélisme et l’enrichissement illicite par le biais du trafic de la drogue.

4.2.2 Le trafic de la drogue

Depuis plusieurs décennies, Haïti, de par sa situation géographique, est connu comme étant un lieu de transit important pour le commerce de la drogue, principalement entre les États-Unis et la Colombie. Ainsi, la drogue est devenue un important fléau aux conséquences néfastes sur la société et l’ensemble des institutions sur le plan social, économique et politique (OXFAM, 2002). Par ailleurs, le trafic de la drogue représente une source importante de devises injectée dans l’économie locale, ce qui laisse l’impression qu’en période de gel de l’APD, l’économie informelle supplée à cette défaillance des bailleurs de fonds. De plus, Haïti reçoit une aide bilatérale des États-Unis à travers la Drug Enforcement Administration (DEA) dont les conséquences sont souvent imprévisibles. Si l’économie informelle bénéficie des flux financiers émanant du trafic de la drogue, les sommes confisquées lors du démantèlement de réseaux de trafiquants servent souvent à financer des activités illicites et à maintenir au pouvoir des régimes dictatoriaux et sanguinaires. Ainsi, la complicité dont bénéficie ce trafic au niveau de plusieurs institutions et de certains secteurs de la société et de la corruption institutionnalisée résulte de :

 la faiblesse de l’appareil judiciaire dont le personnel est corrompu et sous payé;

 la faiblesse de la Police nationale d’Haïti (également sous payée) dont les lacunes au niveau de l’entrainement, de l’expérience et du manque de moyens logistiques (manque de bateaux, etc.,) la rend incapable de surveiller adéquatement et efficacement les côtes;

 la carence de lois et d’un cadre règlementaire adéquat (lois désuètes et inefficaces);

 la violence et l’insécurité (impunité résultant d’actes de violence tels les représailles et les exécutions sommaires dues à des règlements de compte entre groupes rivaux, etc.);

 l’enjeu politique que représente la drogue (implication des politiciens dans le trafic car la lutte contre le trafic de la drogue figure parmi l’un des paramètres pris en compte pour l’octroi de l’aide et la signature d’accords commerciaux ou économiques sur le plan international) (OXFAM, 2002).