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Les observations en populations : études écologiques et études de cohortes

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I. Introduction générale

I.4. Quel impact préventif à l’échelle populationnelle ?

I.4.2. Les observations en populations : études écologiques et études de cohortes

Parallèlement aux exercices de modélisation, une des manières d’appréhender l’effet préventif du traitement ARV en population a été d’étudier l’évolution de l’épidémie dans des régions considérées comme des « expériences naturelles » de Tester et Traiter. Ces régions, telles que la Colombie Britannique ou la ville de San Francisco, se caractérisent par de hautes fréquences de recours au dépistage et une initiation rapide du traitement ARV après diagnostic (Wilson 2012). Ainsi, en Colombie Britannique et à San Francisco, des corrélations négatives ont été observées entre, d’une part, le nombre de personnes mises sous ARV et, d’autre part, la charge virale mesurée à l’échelle de la communauté6 ainsi que le nombre de nouveaux diagnostics VIH (Das et al. 2010; Montaner et al. 2010). En d’autres termes une augmentation de la proportion de sujets avec une CV indétectable (car sous traitement) était corrélée à une diminution des nouveaux cas déclarés, principalement parmi des usagers de drogues injectables (UDI) et des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). Il est pourtant difficile, à partir de ces observations, d’estimer l’effet de la stratégie TasP en population. Tout d’abord, ces relations, faites sur des données agrégées, peuvent résulter d’une erreur de type écologique (Miller et al. 2013) : une association ou corrélation observée à un niveau agrégé ne traduit pas nécessairement une relation causale à l’échelle de l’individu. À un niveau agrégé, il est ainsi difficile de dissocier l’effet bénéfique d’une augmentation de l’utilisation des ARV de celui d’autres méthodes de prévention qui ont pu être introduites concomitamment, comme par exemple les programmes d’échanges de seringues chez les UDI (Kerr et al. 2010). Ensuite, les conclusions de ces études reposent sur des hypothèses discutables ; en premier lieu celle selon laquelle le nombre de nouveaux diagnostics VIH est un proxy de l’incidence des nouvelles infections. En effet, les nouveaux diagnostics regroupent à la fois des infections

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La Charge Virale Communautaire (CVL) est généralement définie comme la moyenne arithmétique ou géométrique des charges virales les plus récentes de toutes les personnes diagnostiquées VIH-positives dans une communauté spécifique à un moment donné (Miller et al. 2013).

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récentes et anciennes ; et toutes les infections à VIH ne sont pas nécessairement captées par le système de santé (Smith et al. 2012; Supervie 2013). Enfin, une des limites de ces études écologiques est également le manque de réplications des résultats. Dans différents contextes, une augmentation du nombre de personnes sous ARV n’a pas été de pair avec une diminution des nouveaux diagnostics VIH: c’est notamment le cas au sein des populations HSH de France et d’Australie (Law et al. 2011; Wilson 2012) ou parmi les populations HSH et/ou défavorisées de Washington (Castel et al. 2012).

Étudier le lien, à l’échelle de la population, entre traitement ARV et incidence du VIH implique nécessairement de considérer le traitement ARV de façon agrégée, par exemple sous la forme de la couverture du traitement7. Comment dans ce cas dépasser les limites inhérentes aux études écologiques? Une réponse a été habilement proposée par Tanser et al. en 2013. Sur la base de données individuelles géo-localisées ainsi que de données individuelles de séroconversion obtenues auprès d’une population sud-africaine (KwaZulu Natal) de 17 000 personnes suivies sur une période de plus de sept ans, l’équipe a réussi à mettre en relation le niveau de couverture ARV dans la communauté proche avec le risque individuel d’acquisition du VIH (Tanser et al. 2013). Ainsi, les chercheurs ont montré que pour un individu vivant dans une communauté à haut niveau de couverture ARV (i.e. de 30 à 40% des personnes VIH-positives sous ARV), le risque d’acquisition du VIH était réduit de 38% par rapport à une personne vivant dans une communauté à faible couverture ARV (<10% des personnes VIH-positives sous ARV). Cette étude de cohorte en population, moins sujette au biais que les études écologiques présentées plus haut, peut ainsi être considérée comme la première observation de l’effet TasP à l’échelle d’une population. Elle comportait toutefois certaines limites. La première, inhérente aux études observationnelles, est qu’on ne peut pas rejeter l’hypothèse que ces observations soient le fruit d’effets confondants non pris en compte : une différence systématique pourrait exister entre les personnes vivant dans des communautés à hauts vs. bas niveaux de couverture ARV. La seconde tient au fait, assez délicat à expliquer, que sur la période d’étude (2004-2011), l’incidence au niveau de la population ne semble pas avoir diminué (Mossong et al. 2013), malgré une augmentation du nombre de personnes mises sous ARV et malgré la relation

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La couverture du traitement ARV est définie comme le pourcentage de personnes recevant effectivement le traitement ARV parmi ceux qui y sont éligibles, au sein d’une population donnée.

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décrite entre couverture ARV et risque individuel d’acquisition du. Nous reviendrons plus en détail sur ce point dans la partie VII.3.4.

I.4.3.

Les prochaines étapes : essais contrôlés randomisés en

population

Comme cela a été le cas pour la démonstration de l’effet protecteur individuel du traitement précoce, la démonstration formelle de l’effet TasP à l’échelle d’une population ne pourra être fournie que par un essai contrôlé randomisé. À la différence près que, pour démontrer un effet populationnel, la randomisation doit se faire non pas à l’échelle de l’individu mais à l’échelle de la communauté. C’est pourquoi ont été initiés plusieurs essais contrôlés randomisés en population sur la question. À ce jour, quatre ont débuté ou vont débuter prochainement en Afrique subsaharienne (Granich et al. 2011). Deux seulement seront brièvement présentés ici. Le premier, l’essai TasP-ANRS 12249, a débuté en 2012 dans la région sud-africaine du KwaZulu-Natal. Il tend à comparer l’effet sur l’incidence du VIH mesurée à l’échelle de la communauté d’un dépistage généralisé associé à un traitement ARV universel pour les personnes diagnostiquées VIH-positives (Iwuji et al. 2013). Le second, l’essai PopART-HPTN 071 devrait passer en phase de recrutement avant la fin de l’année 2013 en Zambie et en Afrique du Sud. Il vise à comparer l’effet sur l’incidence VIH de différentes stratégies de prévention, dont la circoncision, le dépistage généralisé et le traitement ARV universel, selon que ces stratégies sont proposées individuellement ou de manière combinée (Vermund et al. 2013).

En plus d’aboutir à une mesure de l’effet TasP à l’échelle populationnelle, ces essais devraient éclairer d’autres points relatifs à la question. Ils devraient ainsi apporter de précieuses informations quant à l’acceptabilité et au recours au dépistage, l’entrée et le maintien dans les soins, l’acceptabilité du traitement précoce, les déterminants de l’observance aux ARV, l’effet du traitement précoce sur les comportements sexuels et la stigmatisation liée au VIH. Cependant, les premiers résultats de ces essais ne seront pas disponibles avant 2017.

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