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Les données d’essai contrôlé randomisé pour étudier l’effet du traitement

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VII. Discussion générale

VII.2. Complémentarité des données analysées et articulation avec les

VII.2.2. Les données d’essai contrôlé randomisé pour étudier l’effet du traitement

À l’autre extrémité de la cascade de soins, les données qui nous ont permis de questionner les effets du traitement ARV précoce étaient de nature interventionnelle et reposaient sur un essai contrôlé randomisé (ECR).

Comme nous l’avons souligné en introduction, l’ECR est le seul type d’étude permettant de contrôler rigoureusement tous les potentiels facteurs de confusion, connus ou inconnus. À ce titre, ce type d’étude apparaît idéal pour mesurer les effets du traitement ARV précoce. Même s’il n’est pas un essai de prévention, la randomisation de l’exposition au traitement ARV précoce dans l’essai Temprano en fait néanmoins un cadre privilégié pour interroger certains des aspects socio- comportementaux liés à cette stratégie thérapeutique dans un but de réduction de l’incidence du VIH.

Penchons-nous sur l’exemple particulier de l’impact du traitement ARV sur les comportements sexuels. À notre connaissance, la totalité des études conduites sur cette question dans le contexte de pays en développement ne reposaient pas sur un protocole randomisé (Venkatesh, Flanigan, et al. 2011). Ainsi, ces études observationnelles ne permettent que de comparer des individus sous traitement à leurs contrefactuels n’ayant pas encore débuté un traitement, sans pouvoir contrôler pour un facteur de confusion de premier plan : l’état de santé. En effet : un patient initiant un traitement ARV au seuil de 200 CD4/mm3 sera vraisemblablement en moins bonne santé qu’une personne récemment diagnostiquée. A l’inverse, un patient sous traitement depuis un délai suffisant peut avoir retrouvé un état de santé meilleur qu’un patient modérément immunodéprimé mais n’ayant pas initié un traitement. Or, l’état de santé joue un rôle déterminant dans les comportements sexuels, en particulier dans le contexte de l’infection à VIH (Siegel et al. 2006; Sarna et al. 2009; McGrath, Richter, et al. 2013). Certaines études observationnelles se sont efforcées de prendre en compte ce facteur de confusion potentiel par différentes méthodes : ajustement sur le stade clinique (e.g. Diabaté et al. 2008) ou le niveau de CD4 (e.g. Moatti et al. 2003; Venkatesh et al. 2010) ou encore score de propension (e.g. Marcellin et al. 2010). Néanmoins, seul un design randomisé permet en toute rigueur

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d’inférer la causalité entre une exposition (ici, le traitement ARV précoce) et un effet (comportements sexuels).

Un des reproches les plus souvent adressés aux études interventionnelles tient toutefois au fait qu’elles sont conduites dans un contexte expérimental, et qu’en conséquence, elles ne reflètent que partiellement les situations réelles. C’est en effet une des limites des données de l’essai Temprano, dont le protocole prévoit un suivi médical assez intensif. Or, la prise en charge de l’infection à VIH en routine en Afrique subsaharienne implique généralement des visites moins nombreuses, notamment durant la période pré-traitement ARV (Rosen & Fox 2011). Les effets du traitement ARV précoce devront également être évalués en situation réelle, mais ce passage en population ne sera envisageable qu’une fois que le rapport bénéfices/risques de cette stratégie aura été évalué dans un contexte expérimental formel. À ce titre, les résultats principaux de l’essai Temprano (attendus pour début 2015) ainsi que ceux de l’essai START (conduit dans 37 pays et dont les résultats sont attendus pour début 2016) seront de première importance (Granich et al. 2011). Par ailleurs, maintenant que l’OMS recommande le traitement dès 500 CD4/mm3, des données concernant une initiation relativement précoce du traitement ARV devraient être disponibles d’ici quelques années. De telles données d’observation collectées durant l’application de ce nouveau seuil OMS seront donc très informatives pour évaluer l’efficacité de cette stratégie en population et son effet sur les comportements sexuels. On peut imaginer des études comme en a déjà réalisées l’Africa

Center for Health and Population Studies, en Afrique du Sud, sur la base de données

démographiques, sanitaires et comportementales collectées durant la période de montée en puissance des ARV (McGrath, Eaton, et al. 2013).

Récemment, un regard critique a également été posé par K. Underhill sur l’utilisation, pour l’étude spécifique de la compensation du risque (thème étudié dans la Partie IV), de données provenant d’ECR évaluant l’efficacité d’outils de prévention biomédicale du VIH (Underhill 2013). En effet, le modèle théorique de l’homéostasie du risque, proposé par G. Wilde, postule que chaque individu accepte un certain niveau de risque subjectivement évalué en contrepartie des bénéfices supposés que cette prise de risque implique (Wilde 1994). Ce niveau de risque ciblé est constamment réévalué et varie dans le temps ou en fonction de contraintes sociales. En particulier, on s’attend à ce que la disponibilité de moyens de prévention, en diminuant le risque perçu, déplace le curseur du

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risque ciblé vers de plus hauts niveaux de risque. Deux conditions sont nécessaires pour qu’un individu réajuste son risque ciblé en réponse à une intervention de prévention : l’individu doit croire qu’il reçoit l’intervention ; et d’autre part il doit croire que cette intervention est efficace pour réduire son risque. Pour que le phénomène de compensation de risque (ou son absence) mesuré en ECR soit conforme à ce qui serait attendu en situation réelle, il faut donc que ces deux conditions y soient remplies. La première de ces conditions était assurée dans l’essai Temprano : l’essai étant ouvert, chaque participant avait connaissance du bras dans lequel il est randomisé et savait s’il recevait ou non l’intervention (ARV précoce). La deuxième condition n’y était cependant pas rencontrée : Temprano étant un essai clinique centré sur les bénéfices individuels du traitement ARV précoce, la thérapie ARV n’y était pas présentée par les investigateurs comme efficace pour réduire le risque de transmission du VIH. Notons toutefois que dans le cadre d’un essai de prévention classique mené contre placebo, ces deux conditions ne sont pas non plus rigoureusement remplies : le participant ne sait pas s’il a été randomisé pour recevoir l’intervention ou le placebo ; et l’intervention n’y est généralement pas présentée comme efficace par l’investigateur mais comme pouvant avoir un effet préventif (Underhill 2013). Cependant, comme le concède Underhill, les données d’essai de prévention, ou d’essai clinique dans le cas de Temprano, sont chronologiquement les premières disponibles pour étudier les questions de compensation du risque. En effet, dans la majorité des cas, une intervention n’est proposée en population que si son efficacité a préalablement été démontrée en ECR. Il serait donc absurde de renoncer à utiliser les données d’ECR pour étudier la question de la compensation du risque, mais il apparaît néanmoins important de garder à l’esprit les limites qui leur sont inhérentes, et également de continuer à surveiller l’évolution des comportements à risque suite à un déploiement de l’intervention en situation réelle.

Le cadre particulier de l’essai Temprano ne nous a permis d’étudier l’effet de l’initiation d’un traitement précoce que chez les sujets de l’étude, c’est-à-dire des individus VIH-positifs exposés précocement aux ARV. Or, comme nous l’avons souligné, il serait également de premier intérêt de mesurer l’effet d’un accès élargi au traitement précoce sur le risque perçu et les comportements sexuels au sein de la population VIH-négative. Par ailleurs, l’élargissement de l’accès aux ARV pourrait, par d’autres mécanismes, avoir un impact sur les comportements sexuels à l’échelle d’une population. Des études ont montré comment la diffusion des traitements ARV dans les années 1990 a

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modifié les dynamiques des épidémies de VIH/SIDA qui touchait les populations de MSM des pays développés. Durant la période pré-ARV, les individus enclins à s’engager dans des comportements à haut risque de transmission (multi-partenariat, rapports non protégés) connaissaient des taux disproportionnés de mortalité et morbidité liées au VIH/SIDA. La déplétion de la population des individus enclins à s’engager dans des comportements à risque aurait ainsi diminué les comportements à risque au sein de la population (Blower & van Griensven 1993; Chesson et al. 2003). En permettant un renouvellement de cette population, la diffusion des ARV pourrait avoir contribué à une augmentation des comportements à risque chez des individus, sans pour autant avoir modifié leur intention de s’engager dans des comportements à risque (Boily et al. 2005; Boily et al. 2004). De tels phénomènes populationnels mériteraient d’être étudiés dans le cas d’un traitement initié précocement.

Enfin, il faut une nouvelle fois ici signaler que, parmi les données disponibles et publiées sur l’effet préventif des ARV, celles de l’essai Temprano sont à l’heure actuelle les seules données à avoir été collectées dans le cadre d’un traitement ARV précoce, à côté des données de l’essai HPTN-052 (Cohen et al. 2011). Comme nous l’avons détaillé en introduction, tout un corpus d’études de modélisation a été développé pour estimer l’impact en population d’interventions de prévention reposant sur les stratégies TasP et Tester et Traiter. La plupart des modèles publiés après 2011 (c’est-à-dire après publication des résultats de HPTN 052) ont fondé leur hypothèse de réduction de la transmission du VIH en cas de traitement ARV sur les résultats de l’essai HPTN 052 (e.g. Bärnighausen , Bloom & Humair 2012; Cori et al. 2013; Cremin et al. 2013). Étant donné l’importance prise par ces études de modélisation dans la conduite des essais en population à venir et les politiques de santé publique11, on peut considérer que des réplications des résultats de Cohen et al., dans d’autres contextes et d’autres populations, sont les bienvenues (Cohen, Muessig, et al. 2012).

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Les études coût-efficacité de stratégies de prévention basées sur le TasP du Consortium de Modélisation du VIH sont entrés en ligne de compte dans les nouvelles recommandations de l’OMS d’initier le traitement ARV à partir de 500 CD4/mm3 (WHO 2013a)

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