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L’objet de la thèse : émergence, trajectoire et effets d’une offre publique de participation dans les

L’objet de la thèse, tel qu’il est présenté dans les paragraphes suivants, est donc le résultat d’un parcours dont j’ai présenté les grandes lignes. Ce travail entend donc rendre compte des diverses dimensions du processus d’institutionnalisation heurté d’un droit d’expression collective des personnes détenues en France. Il s’agit, d’une part, de rendre compte de l’émergence historique et du développement d’un enjeu réformateur dont l’expérimentation administrative contemporaine, comme j’en fais l’hypothèse, constitue une actualisation. Cette thèse se consacre, d’autre part, à l’analyse des effets de cette mise en participation de certains pans de la gestion des prisons au sein même de la détention. La seconde hypothèse à cet égard peut se formuler ainsi : le déploiement d’une « offre publique de participation » [Gourgues, 2013] en prison est porteuse de modifications, limitées, mais réelles, des rôles sociaux des différents acteurs qui y prennent part ainsi que des formes d’exercice du pouvoir en prison. Les trois axes de délimitation de l’objet de la recherche présentés dans les paragraphes suivants croisent de multiples domaines de savoirs, parmi lesquels, en tout premier lieu, l’analyse de l’émergence des problèmes publics, la sociologie de l’action publique et plus particulièrement des processus d’institutionnalisation, les approches sociologiques et criminologiques de la prison contemporaine et des politiques pénitentiaires ainsi que les études sur la participation et la démocratie participative.

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C’est donc en 2009 que la commission des lois du Sénat prend l’initiative d’inscrire dans la loi pénitentiaire un article 11 quater qui, à la fin des travaux parlementaires, deviendra l’article 29 de la loi du 24 novembre 2009. Ce dernier dispose :

Sous réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité de l’établissement, les personnes détenues sont consultées par l’administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont proposées.

Si, dans sa formulation, cet article semble bien plus limité que la Règle Pénitentiaire Européenne dont il entend s’inspirer, laquelle évoque « l’autorisation » qui doit être donnée aux détenus de « discuter des conditions relatives à leurs conditions générales de détention », il procède, selon Jean-René Lecerf, rapporteur de la loi au Sénat et sénateur UMP du Nord, de la recherche d’une évolution progressive et modérée du droit en la matière. Comme le déclare l’intéressé :

Par la rédaction proposée à l’article 11 quater, la commission s’est efforcée de trouver un équilibre entre l’absence totale, à ce jour, de dispositions législatives sur l’expression des détenus et un droit d’expression collective autonome. [Sénat, 2009]

De fait, le sénateur du Nord souligne un fait régulièrement pointé par la littérature sociologique [Chauvenet, 2006], juridique [Herzog-Evans, 2002] ; criminologique [Kaminski, 2002], mais également par le législateur lui-même [Floch, Mermaz, 2001]. Comme le souligne par exemple Martine Herzog-Evans :

Les détenus ne bénéficient pas, à ce jour, des droits constitutionnels et conventionnels d’expression et d’association. Les détenus ne peuvent se syndiquer, se regrouper, s’associer, se défendre collectivement, revendiquer d’une quelconque manière. Ceux des détenus qui s’y risquent font le plus souvent l’objet de sanctions disciplinaires et quasi disciplinaires. [Herzog- Evans, 2002]

En effet, le code de procédure pénale aborde par exemple la participation à « toute action collective de nature à perturber l’ordre de l’établissement » comme une faute disciplinaire du second degré, ou, lorsqu’elle est accompagnée de violences ou jugée mettre en péril « la sécurité des établissements », du premier degré49. De même, l’exercice du droit d’association et de celui

de se syndiquer, s’ils ne font pas l’objet de dispositions explicites, restent néanmoins inaccessibles de fait à la population carcérale Antoinette Chauvenet, qui s’appuie en ceci sur

49 La gradation des infractions disciplinaires implique des sanctions plus lourdes pour les infractions du premier degré que pour celles du

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l’opposition entre « conflit » et « violence » à partir des travaux de Michel Wieviorka [Wieviorka, 2004], note que la seconde intervient précisément là où le premier est banni. « L’absence de lieux de conflictualisation » [Chauvenet, 2006] traduit pour l’auteure un « rapport politique » spécifique au détenu qui, faute de rendre exprimable le conflit qui structure l’institution carcérale, laisse place à la violence :

En prison non seulement les lieux de conflictualisation sont absents, mais ils ne peuvent trouver place par définition, compte tenu de la nature du rapport politique au détenu. C’est bien parce que la conflictualisation est impossible, sinon à la surface des relations, que la violence fait irruption. [Chauvenet, 2006]

À ce titre, l’adoption de l’article 29 de la loi pénitentiaire et son prolongement dans la mise en place d’un comité de pilotage nommé « droit d’expression collective des personnes détenues », entre mai 2010 et juin 2011, peut sembler constituer une forme de rupture par rapport à l’histoire carcérale française :

En France, donner la parole aux personnes détenues dans un cadre formalisé, organisé et pérenne est une démarche qui n’a jamais été institutionnalisée dans les établissements pénitentiaires français ni soutenue ou portée par la direction de l’administration pénitentiaire. [Brunet-Ludet, 2012, 14]

De ce point de vue, un des premiers objectifs de ce travail de thèse sera de rendre compte des multiples genèses de l’article 29 de la loi pénitentiaire à travers l’exploration de ses conditions de possibilité politico-administratives ou au repérage des pratiques pénitentiaires antérieures mettant en œuvre une certaine forme de participation des détenus à la gestion quotidienne des établissements pénitentiaires dans l’histoire carcérale française.

IV-1) Le « droit d’expression collective des personnes détenues », une rupture ?

Les formes de participation institutionnelle des détenus à la gestion de la prison ne sont, encore une fois, nullement une spécificité française et moins encore une invention du XXIe siècle. Il est ainsi possible de distinguer plusieurs genèses historiques du processus réformateur contemporain. Sans tracer dès à présent les lignes de ce parcours historique, j’ai néanmoins opté pour un bornage chronologique débutant à la fin de la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à l’année 2014. Il ne s’agit pas, entre ces deux dates, de se limiter à mettre bout à bout les formes de participation institutionnelle ou d’auto-organisation repérables dans l’histoire carcérale française. En analysant ces occurrences en lien avec leur contexte politique, économique

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institutionnel et social, ce travail vise à permettre de saisir les cadres contemporains du processus réformateur initié au début des années 2000, du moins en ce qui concerne l’objet spécifique sur lequel ce travail se concentre. En d’autres termes, il s’agit de saisir les conditions historiques et politico-institutionnelles de la formulation sous l’angle du droit d’un ensemble de pratiques routinières ou conflictuelles et de projets réformateurs qu’il s’agit de repérer, d’analyser et d’articuler.

Cette prise de distance historique se veut au service de la connaissance d'objets de ce présent. Je m'appuie pour ce faire et en premier lieu sur les spécificités du raisonnement sociologique tel que mises en lumière par Jean-Claude Passeron. Pour l'auteur, raisonnement sociologique et raisonnement historique sont « épistémologiquement indiscernables » dans la mesure où « le raisonnement sociologique est condamné à mêler la sémantique du récit historique à la grammaire du modèle expérimental » [Passeron, 1991, 162]. Vincent Dubois [Dubois, 2003, 361], s'appuyant sur les apports de Passeron note à ce sujet que « l'exploration du passé dans l'analyse socio-historique » repose sur deux principes de méthode. Il s'agit d'une part d'éviter de voir, dans le recours à l'histoire, un simple « prolongement chronologique » ou une précaution de méthode cherchant à s’acquitter de l’injonction rituelle à « contextualiser» une analyse. Bien plutôt, pour l'auteur, il faut que cette analyse soit « tendue vers leur intelligibilité ou vers la production d’un point d’appui comparatif » avant d'ajouter : « la démarche socio- historique ainsi définie ne se comprend qu’en fonction des objets et des pratiques du présent ». D'autre part, le second principe dégagé par l'auteur « a trait à l'inévitable inscription historique de l'observation des pratiques ». Pour V. Dubois, en effet une « sociologie exclusivement "présentiste" oublie non seulement l’ancrage temporel des pratiques », mais également que « le matériau à partir duquel elles sont étudiées constitue lui-même le plus souvent une forme de "récit historique" ».

Si la participation institutionnelle revêt, à notre époque, les formes du droit d’expression collective des personnes détenues, de la modernisation administrative ou de l’ouverture des institutions sur leurs usagers, je chercherai à montrer qu’elle s’ancre également dans deux histoires parallèles. La première concerne la série de controverses politiques et pénologiques relatives à l’incarcération, à ses buts et à ses modalités, tandis que la seconde met en avant différentes formes d’usages (au double sens du terme) liés à l’expression d’une parole collective

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des personnes détenues dans leur relation à l’administration, en situation routinière ou conflictuelle. Il s’agit, par le biais d’une démarche sociohistorique, de proposer une interprétation du processus réformateur contemporain croisant, dans les termes de Renaud Payre [Payre, 2009] l’analyse régressive (celle du « passé du présent »), les possibles non- advenus (le « passé du passé ») ainsi que l’histoire en train de se faire (« le présent du passé »).

Cette situation contemporaine se caractérise en effet par la constitution de la participation institutionnelle des personnes détenues comme problème public, c’est-à-dire comme un enjeu « faisant l’objet d’un traitement, sous quelque forme que ce soit, de la part des autorités publiques et donc susceptibles de faire l’objet d’une ou plusieurs décisions » [Garraud, 1990]. Il n’est pas anodin de remarquer, à cet égard, que si l’article 29 de la loi pénitentiaire apparaît au cours du travail législatif devant aboutir à l’adoption de la loi, il s’inscrit dans un processus réformateur plus large entamé au tournant des années 2000 suite à la parution de l’ouvrage du Dr Vasseur Médecin-chef à la prison de la santé [Vasseur, 2000]. Dans les mois suivant l’éclatement d’une large polémique sur l’état des prisons françaises, les commissions parlementaires, et notamment celle mise en place par l’Assemblée Nationale, regrette l’absence de garanties des droits des détenus en prison :

[Ces droits] sont très spécifiques et ne peuvent concerner qu’une décision particulière de l’administration ; ils ne portent pas sur l’ensemble de la détention : il n’existe pas à cet effet, comme au Canada, de droit concernant l’expression collective des détenus [Floch, Mermaz, 2000, 143]

L’étude du processus réformateur initié en 2000 et culminant avec l’adoption de la loi pénitentiaire de 2009, incite par ailleurs à ne pas cantonner la recherche aux seuls travaux parlementaires et à prêter attention aux différents groupes d’acteurs ayant contribué à la constitution du droit d’expression collective des personnes détenues en problème public légitime, appelant une série de réponses politiques et institutionnelles. En ce sens, il s’agit de repérer et de prendre en compte « les logiques de mobilisation collective, de médiatisation et de politisation » [Hassenteufel, 2010] ayant abouti à la mise sur agenda de la participation institutionnelle des détenus dont témoigne la loi pénitentiaire de 2009. Je chercherai ainsi à identifier et à lier entre elles, en premier lieu, un ensemble de mobilisations, que celles-ci soient directement liées à l’action de personnes détenues ou d’organisations actives dans le champ

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pénitentiaire français, bien qu’elles puissent également faire intervenir des acteurs nationaux et internationaux.

Ces mobilisations, lorsqu’elles émergent, s’appuient régulièrement sur un ensemble hétérogène d’expertises qu’il s’agit également de recenser et d’analyser tant du point de vue de leur contenu que de celui de leurs conditions de production. Ainsi, lorsque les États Généraux de la Condition Pénitentiaire se mettent en place, les acteurs coalisés s’appuient tant sur les Règles Pénitentiaires Européennes, déjà citées, que sur les recommandations du Comité pour la Prévention de la Torture et des Traitements Inhumains et Dégradants ou sur les constats du commissaire européen aux droits de l’homme, Alvaro Gil Robles. De la même manière, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme [CNCDH, 2004] ou, plus récemment, le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté [CGLPL, 2010] ont pu, parmi d’autres, mettre en avant la nécessité d’un aggiornamento pénitentiaire, qu’il s’agisse d’étendre la reconnaissance des droits des détenus ou d’appeler l’administration à se conformer à un ensemble de pratiques et de formes de gestion liées à la sécurité dynamique.

Les différentes formes de cette expertise, extérieures ou internes à l’administration, nationale et européenne, l’analyse de leurs conditions de production et de leur lien avec les mobilisations en faveur du développement de la participation institutionnelle en prison pourront dès lors aider à cerner le processus de son émergence comme problème public et, finalement, sa traduction législative à travers l’article 29 de la loi pénitentiaire.

IV-2) L’expérimentation administrative : un processus d’institutionnalisation controversé

Le premier enjeu de cette thèse concerne donc le repérage sociohistorique des mobilisations, logiques institutionnelles, expertises multiples et pratiques carcérales « routinières » comme « de crise » ayant contribué à faire de la participation institutionnelle des détenus un enjeu légitime de politique pénitentiaire. Cependant, l’inscription de l’article 29 dans la loi pénitentiaire ne constitue que la première étape d’un processus d’institutionnalisation plus large dont l’analyse de déroulement, national et local, constitue le deuxième axe de ce travail.

Entre mai 2010 et juin 2011, en effet, le comité de pilotage « droit d’expression collective des personnes détenues » se met en place. Il réunit 17 membres, soit des personnels de cette administration aux différents niveaux (national, régional, local), des professionnels issus

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d’autres secteurs (notamment du champ de la prise en charge sociale et médico-sociale) ainsi que des représentants d’associations, dont les activités vont parfois au-delà du seul champ carcéral.

L’étude de la composition, de l’activité et des controverses qu’il a pu soulever seront abordées, dans le cadre de ce travail, comme autant d’épisodes permettant de rendre compte des multiples dimensions et de la trajectoire d’un processus d’institutionnalisation. Par l’emploi de la notion d’« institutionnalisation », je désigne un « travail de mise en forme qui consiste à […] conférer son sens et sa fonction » à une série de pratiques par leur « formalisation », leur « codification » et leur « fonctionnalisation » [Dubois, 2001] [Lacroix, Lagroye, 1992]. Il s’agit donc de s’intéresser simultanément à deux aspects de ce travail. Le premier concerne la délimitation de ces pratiques, la manière dont celles-ci sont articulées aux usages professionnels, réels ou supposés, des acteurs. Le second aspect traite de leur standardisation sous l’angle de la codification, dans la mesure où, si l’article 29 est bel et bien inscrit dans la loi, le comité de pilotage constitue un préalable à l’adoption d’un décret précisant les modalités d’application de cette même disposition. Il s’agit donc d’étudier tant la manière dont les acteurs de ce comité tentent de conférer aux pratiques liées à l’article 29 de la loi pénitentiaire un caractère « opérationnel », notamment à destination d’agents pénitentiaires eux-mêmes, que les stratégies de légitimation de la thématique développées par ce comité quant à son objet.

Le comité de pilotage « droit d’expression collective des détenus » ne se limite pas, cependant, à la définition in abstracto de la forme du contenu, et des diverses raisons d’être de cette participation institutionnelle des détenus. Il est par ailleurs chargé de mettre en place et de coordonner une expérimentation administrative dans 10 établissements pénitentiaires, choisis notamment en fonction de leur localisation, un par direction interrégionale (DI), dans les établissements de Val-de-Reuil (pour la DI de Lille), Nancy (pour la DI Est-Strasbourg), Bois- d’Arcy (pour la DI de Paris), Rennes-Vezin (pour la DI de Rennes), Limoges (pour la DI de Bordeaux), Arles (pour la DI de Marseille), Clermont-Ferrand (pour la DI de Lyon), Châteauroux (pour la DI de Dijon) ainsi que de Saint-Denis de la Réunion (pour la Mission Outre-Mer). D’un établissement à l’autre et sur cette période, comme le note Cécile Brunet- Ludet, « l’expérimentation […] montre une grande diversité des solutions recherchées » [Brunet-Ludet, 2012, 18]. De fait, elle a été caractérisée par une importante variabilité de

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fonctionnement au niveau de ces comités locaux. Cette variabilité s’illustre dans les modalités de sélection du groupe des représentants des détenus, le nombre et le statut des agents pénitentiaires qui y prennent part, le champ des questions abordées au cours des réunions, la périodicité de ces dernières ou encore le caractère plus ou moins formalisé des procédures (par exemple concernant la transmission des dates et lieux de réunion, les ordres du jour ou encore les comptes-rendus).

Rendre compte de la trajectoire d’un tel processus d’institutionnalisation implique alors différentes directions d’analyse. Une première de ces directions implique de restituer ce que j’ai proposé de nommer, dans le cours de ce travail, des scénarios locaux d’institutionnalisation. Il s’agit, dans un premier temps, de repérer plus précisément la genèse des dispositifs50, la

définition de leurs caractéristiques générales, la constitution éventuelle de groupes ad hoc, formels ou informels, au sein de l’administration pénitentiaire locale, prenant plus spécialement en charge cette expérimentation. Il faut néanmoins remarquer que ces points d’analyse seront adaptés, au cours de mon travail, à la spécificité de chaque scénario. Comme je l’ai indiqué plus haut, parmi les trois établissements dans lesquels j’ai mené un travail de terrain, un seul est directement lié à l’expérimentation administrative. Un second établissement s’est fortement et très explicitement inspiré de celle-ci sans y être formellement intégré tandis que le troisième relève d’une initiative du chef d’établissement et n’a pas entretenu, ou très peu, de liens avec les acteurs de l’expérimentation « droit d’expression collective des personnes détenues ».

Plus généralement, je m’intéresserai également aux logiques d’action administratives locales, entendues comme « référentiels et paradigmes divergents mobilisés pour réaliser les missions institutionnelles, qui s’expriment à travers les rationalités explicatives, les modes d’organisation, les dispositifs opératoires, les postures professionnelles » [Bonny, 2012, 16] s’exprimant dans la promotion de l’expérimentation comme dans les multiples formes de critique et de résistance soulevées par celle-ci. Enfin, ces scénarios locaux sont également caractérisés par des trajectoires temporelles spécifiques, en partie déterminées par les rapports

50 J’emploie le terme « dispositif », tout au long de ce travail, dans l’acception que lui donne Guillaume Gourgues, s’inspirant librement de la

définition proposée par Michel Foucault [Foucault, 1994, 299]. Les abordant comme des « espaces de gouvernement » traversés par de multiples tensions (qui peuvent être d’ordre idéologique, professionnel ou encore statutaire), l’auteur souligne que « la mise en œuvre d’un dispositif et son évolution ne se résument pas à la rationalité de ses commanditaires ». Ceux-ci sont « portées », et « investis » par une pluralité d’acteurs » aux stratégies d’actions et aux motivations « irrémédiablement différentes et variables ». [Gourgues, 2013, 24]

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de force entre groupes d’acteurs engagés dans la promotion, la critique ou le fonctionnement des comités locaux. Il peut s’agir, en certains lieux, de modifications, incrémentales ou radicales, de ces comités aboutissant ou non à la poursuite de leur activité. Dans certains établissements, par exemple au centre pénitentiaire de Nancy, l’expérimentation n’a en effet pas dépassé le stade de projet, en raison d’un « climat local tendu » entre direction d’établissement et organisations syndicales [Brunet-Ludet, 2012, 57].

La place centrale accordée, dans ce deuxième axe de travail, aux logiques d’action locales, à la diversité des configurations institutionnelles au sein desquelles émergent des comités vise en outre à départir, autant que possible, l’analyse menée d’une opposition binaire entre « réformateurs » et « opposants », ou, la plupart du temps, comité de pilotage et organisations syndicales opposées à l’expérimentation. Si elle est omniprésente dans la rhétorique employée tant par le comité de pilotage que par certains de ses critiques, cette opposition me semble masquer par ailleurs une importante diversité de positionnements à l’intérieur même du comité ainsi que des registres de critique et de dénonciation qui ne peuvent a priori être amalgamés. De la dénonciation de la « voyoucratie », chère à certains représentants syndicaux, à la critique des modalités de fonctionnement de ces organes consultatifs, le répertoire de la dénonciation est large, tout autant que les formes de soutien à ces dispositifs, selon qu’il est question de « gestion modernisée », de sécurité dynamique ou d’« éducation à la démocratie », autant de formulations qui ont pu émerger au cours de l’enquête de terrain.

Mais cette opposition discursive entre « réformateurs » et « opposants » peut également masquer un second aspect important pour l’analyse, qui dépasse cette fois-ci le rapport entre comité de pilotage et sites expérimentaux. Les multiples controverses, locales et/ou nationales