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L’analyse du mouvement associée à la quantification des forces de réaction au sol a permis de mieux comprendre la contribution de chaque articulation à la locomotion (Schache et al., 2015). Par exemple, il est possible de connaître le couple de force généré au niveau des articulations de la hanche et du genou à chaque instant d’un cycle de foulée (Arnold et al., 2007; Neptune et al., 2009; Schache et al., 2012). En revanche, savoir comment chaque muscle des ischio-jambiers participe à la production de ces couples de force articulaires reste complexe. En effet, le nombre de muscles croisant ces articulations dépassent le nombre de degrés de liberté, résultant en une infinité de combinaisons de forces possibles pour produire le même niveau de couple de force (Bernstein, 1967; Kutch et Valero-Cuevas, 2011). Il est alors nécessaire de comprendre les règles appliquées par le système nerveux central pour contrôler l’ensemble de ces muscles.

Plusieurs théories s’opposent ou se complètent pour expliquer le contrôle moteur. Pour autant, la théorie du contrôle optimal reste la plus largement utilisée aujourd’hui (Crowninshield et Brand, 1981; Dul et al., 1984; Prilutsky et Zatsiorsky, 2002). Dans ce cas, le système nerveux central associerait chaque coordination à un ou plusieurs coûts physiologiques. Par itération, le système nerveux central chercherait ensuite à utiliser à chaque répétition la coordination lui permettant de minimiser ces coûts. Cette théorie est aujourd’hui couramment utilisée au sein de modèles musculo-squelettiques afin de prédire les coordinations musculaires (Erdemir et al., 2007; Sartori et Farina, 2016). Ainsi, sachant que la somme des couples de force produits par les muscles situés autour d’une articulation est égale au couple de force articulaire mesuré expérimentalement, ces modèles cherchent à déterminer la stratégie de distribution de force permettant de satisfaire la minimisation d’un coût. Par exemple, Schache et al. (2012) ont estimé les forces musculaires produites par les ischio-jambiers à chaque instant d’un cycle de course. Ils ont utilisé une procédure d’optimisation considérant que la somme des activations musculaires devait être minimisée.

Si ces études permettent de mieux comprendre les coordinations musculaires durant des tâches variées, leurs résultats restent fortement conditionnés par les principes du contrôle optimal. La limite réside dans le fait que ce principe n’est pas clairement établi. Pour preuve, les données issues de modèles sont parfois éloignées de celle obtenues expérimentalement sur le modèle animal. Par exemple, Herzog et Leonard (1991) ont montré qu’aucune des solutions issues de modèles d’optimisation ne correspondait aux stratégies de distribution

de force mesurées chez le chat pendant la locomotion. De même, de Rugy et al. (2012) ont montré chez l’homme que lorsque les propriétés mécaniques des muscles étaient modifiées (i.e. dommages musculaires), le système nerveux central ne semblait pas suivre les règles d’un contrôle optimal pour accomplir la tâche. Ces résultats mettent en avant les possibles différences entre les coordinations musculaires estimées à l’aide de modèles, avec les stratégies réellement employées chez l’homme.

Une approche expérimentale de l’étude des coordinations musculaires pourrait permettre de faire émerger des stratégies individuelles de distribution des forces musculaires sans émettre de suppositions sur la manière dont le système nerveux central agit.

Pour cela, la mesure de la distribution de l’activation musculaires par EMG reste la méthode la plus répandue. Cependant, les données enregistrées par EMG reflètent simplement l’activation du muscle. Il est nécessaire d’estimer les propriétés mécaniques de chaque muscle pour décrire les coordinations musculaires, i.e. la distribution de la force parmi les muscles pour produire une tâche motrice. C’est d’autant plus important concernant les muscles ischio-jambiers, dont l’architecture varie de manière substantielle entre les chefs qui constituent ce groupe musculaire. L’utilisation de cette approche expérimentale nous permet de mettre en évidence les liens entre les coordinations individuelles et la performance. Il devient également possible de comprendre quelles sont les adaptations des coordinations à la suite d’une lésion musculaire, dont il apparaît qu’elle modifie l’activation musculaire et les propriétés mécaniques des muscles touchés. L’étude des muscles ischio-jambiers semble dès lors particulièrement intéressante car ces muscles restent peu étudiés, notamment en raison de leur architecture complexe. Par ailleurs, étant donné le taux d’incidence et de récurrence des blessures de ce groupe musculaire chez le sportif de haut niveau (Edouard et al., 2016), l’étude des coordinations musculaires de ces muscles après la phase de rééducation semble être un modèle idéal pour mieux comprendre les conséquences à long terme d’une blessure.

La partie expérimentale présentée dans ce document vise ainsi à mieux comprendre les origines et conséquences des coordinations musculaires des ischio-jambiers mesurées expérimentalement chez l’homme, en s’intéressant aux effets de l’expertise et de la blessure.

L’étude #1s’attache à décrire l’action mécanique des ischio-jambiers lorsque ceux-ci agissent en tant qu’antagoniste. Étant donné que de nombreux travaux ont montré que le

crosstalk pouvait contaminer le signal EMG, l’originalité de cette étude réside dans

l’utilisation de l’élastographie ultrasonore, technique insensible au crosstalk, pour estimer la variation de force des ischio-jambiers lors d’extensions isométriques du genou.

L’étude #2 vise à (i) décrire les coordinations musculaires des ischio-jambiers et (ii) déterminer si celles-ci ont un effet sur la performance motrice. Pour ce faire, nous avons cherché à savoir si le niveau d’activation musculaire était lié aux propriétés mécaniques des muscles, comme cela est souvent rapporté dans les modèles d’optimisation. Nous avons également évalué dans quelle mesure les coordinations musculaires variaient entre les individus. Enfin, nous avons cherché à savoir (iii) si ces coordinations avaient un impact sur la performance d’endurance.

L’étude #3 s’intéresse aux coordinations musculaires des ischio-jambiers chez l’athlète de haut niveau présentant un historique de lésion aux ischio-jambiers. Plus particulièrement, nous avons cherché à savoir si les coordinations des ischio-jambiers observées sur une jambe ayant subi une blessure au BF étaient différentes de celles observées sur le membre controlatéral.

Dans l’optique de l’entraînement ou de la prévention des blessures musculaires, ces résultats pourraient permettre de mieux identifier les stratégies individuelles de coordinations musculaires afin de mieux définir les cibles et les objectifs de renforcement musculaire ou de rééducation. De telles applications seraient prometteuses dans un contexte où (i) l’efficacité des méthodes d’évaluation du risque de lésion reste limitée et (ii) les effets à long terme des lésions musculaires sur les coordinations musculaires sont encore mal compris.

MÉTHODES EXPÉRIMENTALES : ACQUISITION ET TRAITEMENT