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Dans le contexte où bon nombre d’adultes ne sont pas en mesure de traiter l’information17 en lien avec leur santé de façon optimale et autonome, et où un partenariat dans les soins est mis en place, les professionnels de la santé sont appelés à développer de nouvelles compétences en matière de littératie. Ces compétences ont été définies comme «les savoirs, savoir-faire et attitudes dont les professionnels de la santé ont besoin pour mener une action efficace au regard de l’information et des services à donner à une clientèle de faible niveau de littératie18» (Coleman et al., 2013, p.83). Dans une approche collaborative de soins, les professionnels doivent être en mesure d’offrir toute l’information nécessaire de manière accessible afin que la personne puisse la comprendre et participer aux décisions en lien avec sa santé (Coleman et al., 2011; Légaré, 2009; RUIS, 2014; Thoër, 2013). Mais au-delà de la responsabilité d’informer, le partenariat de soins s’appuie sur «une relation d’apprentissage» au sein de laquelle la personne développe une compréhension de sa maladie et de son traitement, et cela, afin d’être autonome et active dans ses démarches de santé (Pomey, Flora, Karazivan, et al., 2015, p.S43; RUIS, 2014).

Dans un récent avis, le Conseil supérieur de l’éducation (2013) a émis des recommandations en vue d’actions liées à la littératie. Dans cet avis, au lieu d’aborder la littératie par le déficit de compétences, on a privilégié l’angle des interventions visant à soutenir les pratiques des adultes «faibles lecteurs» afin de mobiliser leurs compétences et ainsi contribuer au renforcement de celles-ci (CSÉ, 2013, p.4). Pour ce faire, le Conseil s’appuie sur les travaux de Bélisle (2007) et invite à s’intéresser au rapport à l’écrit de ces adultes ainsi qu’aux pratiques qu’ils mettent en œuvre dans leur quotidien :

Les adultes ayant de faibles compétences en littératie ont généralement des pratiques de l’écrit qualifiées d’ordinaires, c’est-à-dire qui relèvent de leur vie quotidienne (loisir, vie familiale, travail), qui diffèrent selon qu’elles s’inscrivent dans la vie publique ou privée, qui sont souvent

17 D’un point de vue sémantique, rappelons les distinctions suivantes : 1) l’information s’entend de faits objectivés susceptibles de nourrir le corpus de connaissances d’une personne; 2) la connaissance, qui ne peut être transmise, réfère à une représentation de la réalité telle que construite par une personne; 3) le savoir se veut pour sa part une combinaison de connaissances structurées acquises par une personne et socialement partagées et validées (Carré & Charbonnier, 2003, p.32-33; Lauzon et al., 2013, p.22).

liées à l’action (préparation de listes pour les courses, préparation des repas, prise de rendez-vous, etc.) et auxquelles ils peuvent participer (Bélisle, 2007, p. 20).

Puisque les adultes de faible niveau de littératie ont des pratiques associées à l’écrit «en dehors de l’éducation formelle», on peut envisager de soutenir ces pratiques (Bélisle, 2007, p.2) afin d’enrichir les compétences en littératie qu’ils possèdent déjà et les aider à combler leurs lacunes dans ce domaine (CSÉ, 2013). Une recommandation du Conseil supérieur de l’éducation va donc en ce sens et souligne le rôle que les intervenantes et intervenants en santé ont à l’égard de la littératie :

Considérant que les intervenantes et les intervenants des réseaux qui offrent des services de première ligne peuvent agir pour susciter la demande de formation des adultes concernés et les amener ainsi à combler leur déficit de compétences;

Considérant que ces intervenantes et ces intervenants doivent aussi s’assurer que les adultes ayant un faible niveau d’alphabétisme comprennent l’information dont ils ont besoin; […]

Le Conseil recommande à la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, notamment en collaboration avec la ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale et le ministre de la Santé et des Services sociaux, de tenir sur une base périodique des activités de perfectionnement à l’intention des intervenantes et des intervenants des réseaux de l’emploi ainsi que de la santé et des services sociaux et portant sur le faible alphabétisme d’une partie de la population adulte, afin qu’ils tiennent mieux compte des besoins particuliers de cette population (CSÉ, 2013, p.140).

La formation continue au regard de la littératie du personnel œuvrant dans le milieu de la santé devient ainsi une priorité d’action, comme le soulignent également plusieurs autres organisations gouvernementales et internationales (U.S. Department of Health and Human Services, 2010; WHO, 2013). Et cette recommandation de mettre davantage d’efforts sur un développement professionnel en la matière s’adresse à tous les intervenants et intervenantes œuvrant dans les milieux de santé, peu importe leur champ de pratique (IOM, 2004).

Depuis quelques années déjà, la littératie est intégrée dans les curriculums des établissements responsables de la formation initiale du personnel en santé. Toutefois, le développement de telles compétences reposerait souvent sur la formation continue et les pratiques d’apprentissage informel en cours d’emploi (Barrett et al., 2008). Et si, de façon générale, l’apprentissage réalisé en milieu formel a été beaucoup étudié, l’apprentissage réalisé en dehors des institutions de formation l’a été relativement moins (Barrette, 2008; Livingstone, 2001), ce qui est d’autant plus le cas dans le «jeune» champ des recherches en littératie en santé (Coleman et al., 2013; Coleman, Nguyen, Garvin, Sou, & Carney, 2016; Pleasant, 2011; Sheridan et al., 2011). Aussi, alors que le développement professionnel en cours d’emploi ouvre vers un apprentissage qui se construit sous forme de parcours, où les

frontières entre le formel et l’informel sont floues, plusieurs questions subsistent quant à la compréhension des dimensions de cet apprentissage ainsi qu’à la façon de le favoriser au sein des organisations (Coleman et al., 2016).

Dans le cadre de la présente recherche, la perspective de développement professionnel retenue «met davantage l’accent sur les processus d’apprentissage d’une personne, que sur les dispositifs, les méthodes et les stratégies», alors qu’elle «reconnaît de la valeur aux apprentissages occasionnels issus ou non de situations structurées» (Donnay & Charlier, 2008, p.19). Le développement professionnel se fait par le biais d’expériences spontanées en cours de pratique, de même que par des expériences plus conscientes et planifiées (Brodeur et al., 2005; Day, 1999), dans une démarche d’apprentissage combinant le formel et l’informel à

différents degrés. En ce sens, l’objectif poursuivi par la présente recherche est le suivant :

Comprendre comment des intervenantes et intervenants développent, en cours de pratique, leurs compétences en vue de soutenir la participation d’une clientèle de faible niveau de littératie à ses soins de santé.

De ce fait, nous nous intéresserons aux parcours de professionnels, femmes et hommes, au regard de la littératie en santé. Puisqu’il est impossible de couvrir tous les aspects d’un tel objectif, nous avons formulé certaines questions de recherche dans le but de poser les limites de ce qui sera étudié. Ainsi, nous souhaitons apporter certains éléments de réponse aux questions suivantes :

 Comment décrire la compétence de professionnels en matière de littératie en santé ? Peut-on identifier de «bonnes pratiques»?

 Comment se fait le développement de cette compétence en cours d’emploi?

 Comment représenter le développement de cette compétence en milieu de travail et, plus particulièrement, l’articulation des dimensions formelles et informelles de cet apprentissage?

Pour réaliser ces objectifs, nous envisageons de procéder à des entretiens auprès d’infirmières et d’infirmiers, ainsi qu’auprès de médecins, femmes et hommes, car ces professionnels jouent un rôle de premier plan dans l’accompagnement du patient dans sa démarche en santé. D’autres personnes, qui sont en rapport direct avec des personnes de faibles niveaux de littératie et intervenant en lien avec la santé, seront également rencontrées. La présente étude

ne vise pas une comparaison entre ces groupes de professionnels, mais cherche à comprendre le développement des compétences liées à une pratique adaptée aux besoins d’une clientèle à risque de présenter des difficultés à traiter l’information écrite, et ce, peu importe le champ d’intervention.

L’analyse des données recueillies, dans une approche de nature qualitative et interprétative, se fera dans le but de construire un modèle de l’apprentissage professionnel au regard de la littératie en santé en contexte de travail. Alors qu’en recherche qualitative «les objets d’étude sont souvent dynamiques et complexes», la modélisation s’avère une méthode particulièrement utile pour «rendre intelligible» un phénomène qui le serait difficilement à travers des réalités multiples (Colerette, 2009, p.145). Ainsi, en nous basant sur l’expérience d’intervenantEs, nous souhaitons enrichir les connaissances en ce qui a trait aux pratiques à cibler afin de soutenir les adultes de faible niveau de littératie dans leur démarche en santé, mais aussi contribuer à identifier et réunir les conditions permettant d’en favoriser le développement. Car comme le rappelle Le Boterf (2010, p.139), ce sont «les premiers récits de navigateurs qui sont à la base des cartographies».