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La Nueva literatura aux Îles Canaries : La Rosa de los Vientos et l’universalisme (1927-1928), en quête d’une psychogéologie insulaire

1.2.1. Les avant-gardes en Espagne

1.2.1.2. La Nueva literatura aux Îles Canaries : La Rosa de los Vientos et l’universalisme (1927-1928), en quête d’une psychogéologie insulaire

Aux Îles Canaries, trois revues culturelles, dont la publication ne dépasse jamais une année, participent à leur tour de l’esprit d’avant-garde qui envahit l’Espagne : Hespérides, de 1926, Cartones, de 1930 et Índice, de 1935.116 Vecteurs essentiels des pulsionscréatives dans cette période, elles ont été poétiquement décrites par Nilo Palenzuela :

Todas ellas están marcadas por la hora del vanguardismo, por su signo colectivo y por un escalonamiento histórico que puede verse como un compromiso encaminado a aprehender una imagen del universo, y con ella alcanzar la participación, siguiendo la utopía vanguardista, en un orden nuevo de la sociedad y la cultura occidentales. Compromiso ciertamente difícil que se produce desde un archipiélago atlántico, alejado de las cosmópolis contemporáneas ; y, sin embargo, decidido compromiso con un orden nuevo que recibe lecturas diferenciales aún en el seno del vanguardismo insular.117

L’intérêt d'Hespérides, revue qu’un critique a cataloguée de « semiturística »,118 est surtout historique, du fait que cette publication a précédé La Rosa de los Vientos et Gaceta de

arte et a recueilli les collaborations d’écrivains et poètes canariens qui sont devenus, par la

suite, des figures essentielles de la culture canarienne, telles qu’Eduardo Westerdahl ou Domingo Pérez Minik. Pedro García Cabrera définit le « labeur culturel » d’Hespérides en soulignant son rôle de mécène parmi les jeunes écrivains :

A Hespérides se debe que una legión de literatos jóvenes haya surgido a la publicidad, y son a ellos a quienes se deben, principalmente, la divulgación de las nuevas orientaciones literarias, reaccionando, rebelándose contra moldes que parecían irrompibles.119

116 Voir J. RODRÍGUEZ DORESTE, « Las revistas de Arte en Canarias (chapitres 4, 5 et 6) », El Museo

Canario, numéros 93-96, Las Palmas de Gran Canaria, 1965, pp. 79-81. La Rosa de los Vientos et Gaceta de arte ne sont pas encore incluses car elles seront étudiées en profondeur par la suite lors des chapitres 1.2.1.2. et

1.2.2.2.

117 N. PALENZUELA, Canarias : las vanguardias históricas, « El proceso de las revistas : de ‘La Rosa de los Vientos’ a ‘Índice’ », édition d’A. SÁNCHEZ ROBAYNA, Caam, Gobierno de Canarias, Viceconsejería de Cultura y Deportes, 1992, p. 19. Il faut, néanmoins, souligner deux choses : d’un côté, la revue Hespérides n’est pas citée par l’auteur et, d’un autre côté, il y inclut La Rosa de los Vientos et Gaceta de arte.

118 M. PÉREZ CORRALES, Entre islas anda el juego : (Nueva literatura y surrealismo en Canarias,

1927-1936), collection « La edad de oro », Teruel, Museo de Teruel, 1999, p. 22.

119 P. GARCÍA CABRERA, Hespérides, Santa Cruz de Tenerife, 2 janvier 1927. Dans Obras completas. Pedro

García Cabrera. Sous la direction de Sebastián de la Nuez, avec la collaboration de Rafael Fernández et Nilo

Palenzuela, vol. IV (Narrativa. Teatro. Ensayo.), Consejería de Cultura y Deportes, Gobierno Autónomo de Canarias, Madrid, 1987, p. 188.

Pourtant, Espinosa ne prendra pas au sérieux cette publication, qu’il ridiculisera par la suite dans l’un des articles parus dans La Rosa de los Vientos :

Nuestro amor es para el padre Teide, de la testa nevada. Nos enloquece la música ideal de las folías. (¡Ah! Y el arrorró : la tetina musical, adormecedora, de los lindos nenes de Hespérides).120

La revue Cartones, dont la durée n’a représenté qu’un seul numéro, a eu la bienvenue de La Gaceta Literaria en juin 1928, un an après La Rosa de los Vientos, avec une prise de position claire :

Hemos recibido de Santa Cruz de Tenerife un fuerte rumor de mar anunciando -Iº de Julio- la aparición de una nueva revista literaria, con el título –rojo- de “Cartones”. El largo y encendido manifiesto viene dedicado al poeta Rafael Alberti. Es un canto –vivo- de mar y de presagios de buena navegación: “Nuestra nave: “Cartones” […] no se debatirá en un estrecho marco regional. Degolladora de rutas, paseará el carrusel de nuestras siete cajas de colores por las cristalizaciones de espumas ignoradas”. […] « En el astillero atlántico construimos nuestra nave: “Cartones”. En su rol, cuatro cazadores de estrellas marinas intentan captar, con su escafandra fanfarrona, los cimientos de un arte propio. Arte Isleño. Arte Cosmopolita. En las jarcias voltejean los siete corazones de las islas, que subiremos a los mapas en sonrisa depurada y construida.»

El manifiesto viene firmado por José Antonio Rojas, Juan Ismael, Pedro García Cabrera y Guillermo Cruz.121

Si la sortie de la revue été prévue pour le 1er juillet 1928, le seul numéro de Cartones ne fut finalement publié que deux ans après, en 1930. Ce décalage explique le changement des positions initialement prises par rapport à l’esprit cosmopolite de la revue. De ce fait, en 1930, Pedro García Cabrera, théoricien du groupe, écrit l’article « Regionalismo y universalismo »,122 qui le rapproche des attitudes de La Rosa de los Vientos, même si, en 1928, le groupe avait essayé de se distancier de cette dernière afin d’avoir une personnalité propre dans le nouvel ordre esthétique. À ce propos, les articles « El hombre en función del paisaje », écrits à l’occasion de l’exposition de l’école Luján Pérez de Las Palmas pour présenter Cartones au public, sont à signaler comme source des mouvements de revendication des singularités de la culture insulaire :

Respondiendo a esta ideología […] un sector de la juventud se ha creído en el deber de reivindicar elementos artísticos, reciamente entroncados en el alma insular. Fruto de esta sabia

120 A. ESPINOSA GARCÍA, « Vidas paralelas. Eses Españolas », La Rosa de los Vientos, numéro 3, juin 1927,

Textos, pp. 23-25.

121 La Gaceta Literaria, num. 36, 15 juillet 1928, dans « Postales ibéricas. » D. López Torres, qui avait déjà

publié dans Hespérides est, lui aussi, fondateur de cette revue. L’article n’est pas signé, mais c’est probablement issu de la plume de Giménez Caballero. L’italique est de mon fait.

[…] hemos calafateado una nave –revista Cartones- que definirá una actitud.123

Il est important de signaler que cette exposition de l’école Luján Pérez, qui se déroule à Ténériffe en 1930 et suscite les critiques d’Ernesto Pestana pour La Rosa de los Vientos,124

de Pedro García Cabrera pour Cartones,125 et d’Eduardo Westerdahl, futur directeur de

Gaceta de arte,126 constitue une sorte d’acte fondateur des esthétiques d’avant-garde. À travers la prise de conscience des singularités de la production artistique aux Îles Canaries, cette génération se sent enfin identifiée à une psychogéologie127 insulaire.

Or, dans cette quête d’identité, deux stratégies opposées vont s’enchaîner : l’universalisme et le cosmopolitisme. La différence de leurs approches à la réalité canarienne peut être analysée comme la confluence de deux regards qui articulent la littérature canarienne : un regard vers soi, qui se veut universaliste, et un regard vers l’autre, de nature cosmopolite.

Fernando Ainsa a une vision polarisée de l'identité culturelle hispano-américaine qui peut aider à saisir les mouvements de la littérature canarienne. Son schéma trouve l’équilibre dans l'oscillation de deux mouvements, l’un universel, l’autre cosmopolite. D’un côté, un mouvement «centrípeto nacionalista» (représenté ici par La Rosa de los Vientos et son désir d’universalisme), qui explore la poésie rurale, réaliste et enracinée aux mythes fondateurs. D’après ce courant, il semblerait que l' « authentique » identité canarienne soit identifiée à l'indigène, au natif, et à des formes de nationalisme qui demeurent une sorte d’adamisme fondateur.128 Cette perspective prétend que la condition décisive pour être universel est celle d’avoir, préalablement, une identité propre. De l'autre, un mouvement «centrífugo

universalista» (Gaceta de arte et sa défense du cosmopolitisme), qui tache de s’évader à

travers une poésie urbaine,129 « escapista », pleine d'influences foraines. Ce trait est dénoncé par les « centrípeto nacionalistas » universalistes comme coupable du déracinement et de l'aliénation, car le mouvement cosmopolite n’est pas précédé d’un regard vers soi,

123 P. GARCÍA CABRERA, La Tarde, Santa Cruz de Tenerife, 16 août 1930. Opus cit., p. 209.

124 E. PESTANA, « En la exposición de la escuela Luján Pérez », Gaceta de Tenerife, 10 mai 1930 et « Clausura de la escuela Luján Pérez », La Tarde, 3 juin 1930. Idem., p. 29.

125 P. GARCÍA CABRERA, « El hombre en función del paisaje », La Tarde, 16, 17, 19 et 21 mai 1930. Dans

opus cit., pp. 201-209. Ce texte est étudié plus profondément par la suite, lors du Chapitre 2.

126 « Exposición de las obras de la escuela Luján Pérez », La Tarde, 24 juin 1930. Ibid., p. 29. 127 Selon la définition de Domingo López Torres.

128 Les conquérants des Îles Canaries, comme ceux de l’Amérique du Sud, ont dû nommer une réalité nouvelle en se servant d’une langue créée initialement pour donner corps à un autre type de réalité.

129 Cfr. P. GARCÍA CABRERA, « Expresión de G.A. (Gaceta de arte). Por una dialéctica urbana ». Opus cit., pp. 235-236.

autoconscient, et semble aux universalistes vide et frivole.130 Pedro García Cabrera approche le sujet d’une manière assez claire dans « Regionalismo y universalismo » :

Lo universal y cosmopolita –dice Eugenio Montes-, tienen de común la generalidad. Pero mientras el cosmopolitismo es sólo general, el universalismo es general y local –o también nacional. Es decir que los elementos de región son la materia prima para fabricar un arte universal. Ahora bien, no siempre estos materiales pueden llegar a cúspide tan elevada. Sólo cuando los elementos espirituales de una región –o nación- se disponen de manera que su resultante –el poliedro artístico- adquiera la jerarquía de un símbolo primario, es –a mi juicio- cuando lo castizo se cubre con el morado birrete universalista. […] Lo popular no es siempre universal […] El Fausto de Goethe […] es universal y sin embargo nada tan impopular […].131

Le dualisme s'exprime également en termes géographiques : la campagne est opposée à la ville, reflet d'une littérature rurale, réaliste et enracinée, mais « barbare », face à une littérature urbaine en quête d’évasion, soumise à toutes sortes d'influences « étrangères », généralement d’ordre esthétisante.132

Dans l’une des premières tentatives de systématisation de la poésie canarienne,

Historia de la poesía canaria,133 Ángel Valbuena Prat segmente la production artistique aux Îles Canaries en deux tendances : d’un côté, une tendance régionaliste, intimiste, que l’auteur appelle poésie de l’isolement, qui explore l’intérieur de l’île et son paysage terrestre.134 De l’autre côté, la tendance expansive, en quête d’évasion, d’une poésie cosmopolite de la mer, très influencée par les littératures étrangères et dont les poètes de la Grande Canarie sont les plus représentatifs. Deux poètes emblématiques incarnent ces styles opposés : Alonso Quesada, poète de l’isolement (exception poétique, d’ailleurs, dans le contexte de la Grande Canarie, d’inclination plutôt cosmopolite) et Tomás Morales, poète de vocation intensément

130 « […] Juan Manuel Trujillo (co-directeur de La Rosa de los Vientos) […] defendió el universalismo frente al cosmopolitismo, porque el universalismo, a diferencia del cosmopolitismo, integra lo específico, en este caso lo insualr, es decir, la consciencia del lugar concreto desde el cual se experimenta la visión de lo universal. » A. SÁNCHEZ ROBAYNA, « Ante una nueva edición de La Rosa de los Vientos », La Provincia, Supplément « Cultura », 18 mars 2004.

131 P. GARCÍA CABRERA, La Tarde, Santa Cruz de Tenerife, 16 août 1930. Opus cit. pp. 213-214.

132 F. AINSA., La identidad cultural de Iberoamérica en su narrativa, ed. Gredos, Biblioteca Románica Hispánica, Madrid, 1986. Mémoire de D.E.A., Les anthologies de poésie canarienne, « La poésie canarienne mise en doute », pp. 26-30.

133 A. VALBUENA PRAT, Historia de la poesía canaria, Universidad de Barcelona, Seminario de Estudios Hispánicos, Barcelona, 1937.

134 On a trouvé des théories de tout genre pour justifier cette indifférence de la mer. Parmi elles, une qui relève du conflit île-continent : « En torno a la moralidad y espíritu guanches se ha forjado una leyenda, sin fundamento, de nobleza, valentía, bondad e inteligencia, en grado absoluto, virtudes que fueron destruidas por los españoles, y no queriendo imputarles a éstos su menosprecio lo proyectan sobre el mar que los condujo a nuestras peñas. » P. GARCÍA CABRERA, « Poesía del mar en el s. XIX tinerfeño », opus cit., pp. 283-284. Ou celle d’A. VALBUENA PRAT inspirée de la philosophie, opus cit., p. 88 : « […] el insular busca la tierra firme. Ante este sentimiento no cabe más que dos actitudes : o sumirse el hombre en la naturaleza (Spinoza) o atraer la naturaleza a sí convirtiéndose en el eje central del universo (Fichte) ». Cette dernière tentative constitue pour l’auteur le moteur de la poésie intimiste.

cosmopolite.135 A. Valbuena Prat, qui fut professeur d’Agustín Espinosa,136 développe sa propre vision du cosmopolitisme et de l’universalisme, qui coïncide avec celle manifestée par

Cartones et La Rosa de los Vientos, comme suit :

[…] generalmente, en el arte la obra cosmopolita es lo más opuesto a la obra universal. El valor universal, eterno, humano, lo es a base de ser nacional, regional, individual. […] En cambio lo cosmopolita, suele ser el barniz y la máscara de la universalidad.137

Cette définition des deux tendances poétiques peut être appliquée d’une manière générale à l'histoire de l’identité culturelle aux Îles Canaries et, en particulier, à celle qui découle de l'expression littéraire. Une identité qui doit être considérée, en tant que notion dynamique, comme reflet d'un processus dialectique permanent entre tradition et nouveauté, continuité et rupture, intégration et changement, évasion et enracinement. En définitive, l’ouverture vers d'autres cultures et le repli isolationniste et défensif sur soi-même.

Pourtant, il faut tout d'abord constater que ces stratégies ne sont pas seulement issues d'un besoin d'identification mais, avant tout, d’un désir craintif de souligner les différences par rapport aux autres cultures, qui sont ressenties comme menaçantes. En effet, il ne faut pas négliger les connotations politiques des termes :

Certaines notions, formellement identiques et que le vocabulaire neutre ne désignerait pas deux fois, sont scindées par la valeur et chaque versant rejoint un nom différent : par exemple, « cosmopolitisme » est le nom négatif d’ « internationalisme » (déjà chez Marx).138

Le souci de se démarquer constamment d’autrui démontre que le problème de l'identité apparaît là où il y a une concurrence avec l’extérieur, comme l'a écrit Selim Abou :

« Nous n'avons jamais autant besoin de nous affirmer tels que nous sommes que lorsque nous nous trouvons en présence des autres ».139 L’affirmation de l'identité est une forme d'autodéfense car la « différence » est toujours perçue comme une éventuelle menace. En termes de psychogéologie, cette problématique devient flagrante dans les cas des Îles Canaries quand on considère la situation géographiquement fragile des îles par rapport au continent.

135 Le chapitre 2 analysera plus profondément ces deux visions de l’île à travers les poésies de Tomás Morales et d’Alonso Quesada.

136 A. VALBUENA PRAT prologue, d’ailleurs, sa thèse sur Clavijo y Fajardo en 1949. Voir supra note 4. 137 A. VALBUENA PRAT, Historia de la poesía canaria, Universidad de Barcelona, Seminario de Estudios Hispánicos, Barcelona, 1937.

138 R. BARTHES, Le degré zéro de l’écriture (suivi de Nouveaux essais critiques), « Écritures politiques », éditions du Seuil, Paris, 1953 et 1972, p. 24. À propos de l’écriture marxiste.

Nombre de critiques littéraires canariens se sont intéressés à ce sujet140 sans pouvoir éviter la référence obligée à l’éloignement de la culture péninsulaire, comme origine du sentiment qu'a toujours éprouvé l'écrivain canarien de vivre en marge des centres culturels de la métropole. Cet isolement est aggravé par l'attitude péninsulaire vis-à-vis du fait canarien, qui oscille, surtout dans les années trente, entre la sous-estimation, la commisération, le paternalisme culturel ou la mythification émerveillée des Canaries.

Il n'est donc pas surprenant de trouver dans certaines formes « originales » de la poésie canarienne un désir d'être défini en fonction de sa « différence ». Cet accent, mis sur ce qui est « particulier » dans la nature canarienne, n'est peut-être que la volonté d'être reconnu par la culture espagnole. La littérature devient ainsi, simultanément, la cause et l'effet de l'identité nationale. De ce fait, l'éternelle polémique sur l'existence de la littérature canarienne trouve ses sources dans la dialectique culturelle de l’Amérique du Sud. Les Canaries, comme tous les territoires issus de la découverte, ont besoin d'une littérature pour fonder une identité, mais cette littérature ne peut exister qu'en fonction d'une réalité préalable. Ce qui paraît un cercle vicieux va constituer finalement le moteur qui soutient la quête d’une définition de la « réalité » et de l’ « imaginaire individuel », et de l' « imaginaire collectif » comme résultat de l’interaction des autres.

Pourtant, à vouloir trouver son identité, une culture risque de demeurer marginale, même si elle est « originale » et identifiée. Fernando Savater réclame l'adoption de critères d'universalité toujours plus larges et moins subordonnés à une particularité historique donnée :

Lo que importa es una valoración de las respuestas novelescas y literarias que una comunidad humana ha sido capaz de producir para interpretar, valorar y utilizar su circunstancia vital, concepto que se aproxima al de una definición de lo que debe entenderse por cultura.141

Cette valorisation universelle du caractère « particulier » d'une expression ou des racines d'une diversité originale ne doit pas être folklorique, mais doit être considérée comme une preuve de la richesse et de la variété des formes que peut revêtir la condition humaine. Savater propose de situer les différences sur un pied d'égalité afin que chaque expression

140 Notamment, E. PADORNO, Algunos materiales para la definición de la poesía canaria, ediciones del Cabildo de Gran Canaria, Las Palmas de Gran Canaria, 2000 et M. PADORNO, Sobre la indiferencia y el

ocultamiento : la indefinición cultural canaria, Fundación Mutua Guanarteme, Las Palmas de Gran Canaria,

1990 .

littéraire ait la possibilité d’exister : « de participar a su modo irrepetible en los valores que

sellan la conflictiva condición del hombre. […] Los más destacados de esos valores obtienen su fuerza de lo común y están por encima de cualquier peculiaridad folklórica ».142

En ce sens, il y a toujours eu un manque de définition culturelle et intellectuelle aux Canaries. Il n'est pas évident d'assimiler une réalité qui est très différente de celle qui est considérée comme la plus prestigieuse : l'espagnole et l’européenne. Une problématique qui est, d’ailleurs, au coeur du discours nationaliste en Espagne à partir de la génération du 98. Certains vont essayer d’éviter ce paradoxe d’amour-haine envers l’Espagne, par l’assimilation directe des Canaries à l’étranger sans passer au préalable par le filtre espagnol, en justifiant leur position par des propos qui décrivent des conditions géographiques particulières ou, tout simplement, une manière de sentir différente :

De aquí que como acto previo para llegar a un arte de matiz universal sea necesario afirmar, por un estudio sopesado, las características de las islas –ya dentro de nuestro marco-.Y aunque haya en esto una especie de desviación de la trayectoria nacionalista de Unamuno, ello no es más que un cambio de posición para un salto de mayor, ya que a nosotros, por nuestra geografía y manera de sentir, nos es más asequible ir directamente a lo universal, sin la escala intermedia –cada vez más difícil-, de la fusión nacional.143

Les sciences sociales soulignent très précisément le rôle que joue la culture dans cette quête de l'identité. Effectivement, la culture représente, dans le groupe humain élargi, l'idiosyncrasie globale qui se manifeste dans les traditions linguistiques, l'art et les rites. Elle se charge d’établir une distinction à la fois multiforme et variable entre l'intérieur et l'extérieur de la communauté. Toutefois, face à l'hétérodétermination qu'entraîne l'adoption des stéréotypes précédemment évoqués, on cherche –surtout quand la tradition est un peu fragile, comme c'est le cas aux Îles Canaries- à s'appuyer sur certaines idées ou sur certains modèles.

En effet, le caractère définitif de la condition culturelle de l'insulaire est l'ambiguïté. L’île est, par définition, en proie à une culture d' « aluvión », mouvementée par la « sincretización ». Les procès d'acculturation ont toujours été la marque différentielle de la littérature coloniale, qui ne peut être que plurale et héritière d'un patrimoine culturel, d’un mélange de pays différents. Dans le procès d'acculturation littéraire, les Îles Canaries ont essayé de naturaliser les mythes, les thèmes, les caractères et les symboles de la littérature