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L’île d’Espinosa avant 1932 : une île touristique classique dans

l’Île touristique peut-elle devenir l’île des malédictions ?

2.5. Les îles épineuses

2.5.1. L’île d’Espinosa avant 1932 : une île touristique classique dans

Lancelot 28º-7º, 1929.

Le fait qu’Agustín Espinosa ait consacré sa thèse de doctorat à Clavijo y Fajardo,149 un intellectuel canarien du XVIIIe siècle, révèle en partie son rapport à l’île avant 1932. Espinosa se dit héritier de ce siècle des Lumières qui a donné aux Canaries leurs écrivains les plus célèbres.150 Parmi eux, Clavijo y Fajardo est né, précisément, à Lanzarote. Il est, toutefois, sorti de l’île très jeune pour se rendre à Madrid, au service des Bourbons réformistes, Fernando VI et Carlos III. Nommé a plusieurs reprises pour occuper des postes de responsabilité, Clavijo participe pleinement de la vie de son époque à travers ses ouvrages151 dont El Pensador demeure le plus célèbre. Clavijo y Fajardo devient ainsi l’un de plus éminents exemples de l’esprit des lumières espagnol. Avide de connaissance comme Clavijo, Espinosa accumule durant la période de 1917 à 1932, de nombreux voyages et rencontres.

Espinosa admire aussi l’œuvre de l’historien Viera y Clavijo et lui consacre, d’ailleurs, une de ses meilleures conférences, intitulée « Sobre el signo de Viera ». L’on peut supposer qu’Espinosa se sert de la figure de Viera pour composer une sorte de programme culturel pour les Îles Canaries, inspiré de l’esprit internationaliste des Lumières :

El corazón de Viera florecía en Canarias y su intelecto en el reino de lo Universal. […]

Canarias lo enciende en la realización poética pura como Europa lo desfoga en cerebrales labores de Universalidad.

« Yo tengo dos patrias –cuéntase que dijo Marco Aurelio, definiendo su universal corazón- ; como Antonino, Roma ; como hombre, el mundo . »

149 A. ESPINOSA, Don José Clavijo y Fajardo, écrit en 1924, Ediciones del Excmo. Cabildo Insular de Gran Canaria, Las Palmas de Gran Canaria, 1970, p. 43. Prologue d’A. VALBUENA PRAT en 1949.

150 « El siglo más musculado de las Islas Canarias : el XVIII. Hasta su poesía –exigua aquí como en España- supera en excelencias a la poesía del siglo XIX », A. MILLARES CARLO, dans une entrevue réalisée par A. ESPINOSA, pour le journal La Prensa, section « La joven literatura », le 7 octobre 1928. Par la suite, dans son discours d’inauguration du lycée d’Arrecife, Espinosa proclame : « El siglo XVIII, la centuria más musculada de Canarias, me trajo este nombre : don José Clavijo y Fajardo. ». « Discurso de inauguración del Instituto de Arrecife » dans Lancelot 28°-7º, Madrid, novembre, 1929. Deuxième édition en 1968, Las Palmas, et troisième en 1974, à Madrid. Dorénavant, l’on citera d’après la quatrième édition, de N. PALENZUELA, éditorial Interinsular Canaria, Santa Cruz de Tenerife, 1988, p. 111.

151 J. CLAVIJO Y FAJARDO, El tribunal de las damas, 1755, Pragmática de Zelo y Desagravio de las damas, 1755, le journal hebdomadaire El pensador « Sátira de la Nación », 1762-1763, 1767, Estado general, histórico

y cronológico del Exército, y ramos militares de la Monarquía, 1761, Estado Militar de España, 1763, Los jesuitas reos de lesa Majestad Divina y humana, 1767, Diccionario castellano de Historia Natural, 1777-1802, Catálogo científico de las producciones y curiosidades del Real Gabinete de Historia Natural, 1777-1802.

También, como el estoico latino, puede decir Viera de sí : « Tuve dos patrias ; como hombre, el mundo ; como Viera, Canarias ».

Esta ha sido la gran lección de Viera, la de su signo interior. La que aún no hemos aprendido del todo, la que es necesario que a toda hora subrayemos : Canarias. Frontera africana. Atlántica. Ibérica. Universal.152

Pedro García Cabrera esquisse, lui aussi, dans son article « Tradición europea de la poesía de Canarias », un portrait de ce canarien cosmopolite du XVIIIe, Viera y Clavijo. L’on s’aperçoit que l’esprit des lumières du XVIIIe est très proche de l’esprit des avant-gardes européennes des années trente dont Espinosa fait partie :

Esta misma línea la prosigue nuestro historiador Viera y Clavijo viajando por Europa y recogiendo las manifestaciones culturales de su tiempo. En sus cartas puede seguirse paso a paso su itinerario, cómo se va empapando del aura y las preocupaciones de su momento, cómo imante del aire europeo, de sus técnicas, de sus procedimientos, de todo lo que representa una conquista en las ciencias y las artes, para luego levantar el edificio de su obra, incorporando las islas a los quehaceres más vivos de la época.153

Certes, doté d’un esprit éclairé, Espinosa mène une vie intellectuelle et sociale très riche dès qu’il se rend sur le continent. Jeune bourgeois envoyé par sa famille en métropole pour y acquérir une formation universitaire,154 Espinosa profite dès 1917 pour nouer des contacts avec les esprits de l’avant-garde madrilène. Il commence à écrire dès 1927 dans La

Rosa de los Vientos et, deux ans après, en 1929, il débute ses collaborations avec La Gaceta Literaria155, qui se prolongent jusqu’en 1931.

Espinosa va couronner dès 1929 cette époque prolifique par une œuvre fondatrice :

Lancelot 28º-7º. Comme dans le genre littéraire et philosophique des utopies du XVIIIe siècle, Lanzarote incarne une île dont l’auteur se sert pour révéler son propre univers. À l’image des explorateurs scientifiques, le rôle premier d’Espinosa sera de nommer le territoire découvert, ce non-territoire utopique, pour le faire figurer sur les cartes littéraires du monde entier. Il accomplit sa tâche dès le titre de son œuvre, où il baptise Lanzarote du nom de Lancelot, en s’inspirant du cycle breton. Cette licence poétique est suivie des coordonnées 28º-7º, qui

152 A. ESPINOSA, Crimen y otros textos, Biblioteca Básica Canaria, éd. de M. ALMEIDA, Islas Canarias, 1990, pp. 110-111.

153 P. GARCÍA CABRERA, Obras completas, Pedro García Cabrera. Sous la direction de S. DE LA NUEZ, avec la collaboration de R. FERNÁNDEZ et N. PALENZUELA, Consejería de Cultura y Deportes, Gobierno Autónomo de Canarias, Madrid, 1987, « Tradición europea de la poesía de Canarias », tome IV, p. 341.

154 En 1917, Espinosa est inscrit à l’Université de Grenade pour sa première année de Philosophie et Lettres. Il y demeure encore deux ou trois ans, avant de se rendre à Madrid, où il soutient sa thèse de doctorat en 1924. 155 Espinosa a aussi publié, bien que moins fréquemment, quatre articles et une entrevue pour El Heraldo de

Madrid de 1930 à 1931, et « Oda a María Ana, primer premio de axilas sin depilar de 1930 » dans Extremos a que ha llegado la poesía española, num. 1, mars, 1931.

représentent le parallèle et le méridien d’une géographie réelle, celle de l’île de Lanzarote. Le mélange de poésie et de géographie de Lancelot 28º-7º fut célébrée par Antonio Dorta dans son article « Poesía y geografía en Agustín Espinosa » :

De esta coexistencia en el alma de nuestro poeta, de la geografía, o vocación de superficies, con la poesía, o vocación de profundidad, vemos nacer este maravilloso dinamismo quieto –cálido- de Agustín Espinosa .156

Entre le moyen âge et le XVIIIe siècle, les voyages scientifiques et les quêtes du Graal, Espinosa s’inspire de toutes les littératures pour nommer une réalité nouvelle. Il s’agit d’une colonisation culturelle du territoire, d’une réinvention de l’espace. Espinosa revendique son pouvoir créateur et proclame le devoir de dévoiler l’inconnu : « Colonizar algunas islas de

misterio y sujetarlas al imperio de la razón es obra de clasicismo ».157 Il faut sauver les îles

de leur solitude, les coloniser, les rendre intelligibles au reste du monde :

Una isla abstracta, ideal, profética. Una isla de San Borondón con parrales históricos, testimoniados ya por Shakespeare y aun por Mayne Reid. Una isla de soledad, que busca desoledarse, que lucha por ello y en cuyo batallar es animada por el alto redoble de las parras.158

L’esprit qui habite Espinosa avant 1932 trouve notamment ses sources dans le mouvement universaliste de La Rosa de los Vientos. Après ses poèmes et sa Thèse de doctorat de 1924, les premiers articles d’Espinosa sont publiés par cette revue à partir de 1927. Il est donc important de rappeler que l’universalisme de Juan Manuel Trujillo, son directeur, prône l’exploration de l’univers proche, comme moyen de s’approprier une universalité culturelle. Dès 1924, dans sa Thèse de doctorat, Espinosa prend déjà parti pour cette position : « Ahondar en la profundidad de lo propio conduce inevitablemente a centros de generalidad ; nunca a callejuelas de particularización ».159

Espinosa esquisse une définition de son esthétique classique dès 1927, dans son « Ensayo de una estética del Valle ». Il s’agit là d’apprécier la beauté du détail pour accéder à une échelle universelle de la beauté, ce qui équivaut dans l’idéologie universaliste de La Rosa

de los Vientos, à l’approfondissement dans l’entourage proche en vue d’une universalité

156 A. DORTA, « Poesía y geografía en Agustín Espinosa », La Tarde, 16 février 1934.

157 A. ESPINOSA, « Cuenta de pasión : la isla prometida de A. Lorenzo Cáceres », La Prensa, 26 novembre, 1931. Textos, p. 124.

158 Idem.

159 A. ESPINOSA, Don José Clavijo y Fajardo, Ediciones del Excmo. Cabildo Insular de Gran Canaria, Las Palmas de Gran Canaria, 1970, p. 58. Prologué par Ángel Valbuena Prat en 1949. Thèse de doctorat soutenue en 1924.

culturelle :

La belleza pictórica –y hasta sentimental- de un paisaje está en un detalle, en unos detalles solamente. El uno o el varios es dependiente de la técnica peculiar del paisajista. La técnica del paisajista de exposición ha de resolverse en detalles que atraigan constantemente al espectador, que no dejen en paz su sed de colores y de luces y de contrastes. Pero, por su misma pequeñez, serán tan intensamente saboreables como en la visión de Nietzsche.160

Cette allusion à Nietzsche renvoie à un chapitre précédent de son essai où Espinosa explique cet aspect caché de la beauté qu’il faut désormais récupérer :

La belleza más noble no es la que nos deslumbra instantáneamente, sino aquella que se insinúa lentamente, la que uno lleva dentro de sí, en el pensamiento. […] Este segundo aspecto es el que importa hoy, como fuente de belleza nueva, remozadora, incomprendida. Es necesario hacer brillar al sol tanto pedazo de cristal umbroso.161

Dans un article consacré à l’île de Fuerteventura en 1924, « Leche de Tabaiba », Miguel de Unamuno avait déjà écrit que cette beauté des îles mérite un nouveau code esthétique pour être comprise et appréciée :

¡Estas soledades desnudas, esqueléticas, de esta descarnada isla de Fuerteventura! ¡Este esqueleto de tierra, entrañas rocosas que surgieron del fondo de la mar, ruinas de volcanes; esta rojiza osamenta atormentada de sed! ¡Y qué hermosura! Claro está que para el que sabe buscar el íntimo secreto de la forma, la esencia del estilo, en la línea desnuda del esqueleto; para el que sabe descubrir en una calavera una hermosa cabeza.162

Or, Unamuno va défendre par la suite, ce paysage aride de Fuerteventura face au paysage classique de l’Orotava dont Espinosa se veut le protecteur :

No es, no, el verdor ficticio de los platanares que allá, en la Orotava de Tenerife, encantan a los boquiabiertos turistas que se enamoran de hojarasca y de perifollos. Ese es paisaje de turistas, no de peregrinos del ideal ultraterrestre, no de romeros de la inmortalidad.163

Ce paysage « de touristes » de l’Orotava, selon Unamuno, est celui-là même qu’Espinosa cherche à redécouvrir trois ans après, en 1927, avec un autre regard. Pour cela, il place, comme l’on a remarqué, l’esthétique subjective de Nietzsche au-dessus de celle de Humboldt : « La belleza […] que nos deslumbra instantáneamente […] fue [la entrevista]

160 A. ESPINOSA, « Ensayo de una estética del Valle », chapitre III, La voz del Valle, mai, 1927. Paru à El Día, 6, mai, 1997. Textos inéditos y no recogidos en volumen.

161 Idem. Chapitre 2. L’italique est de mon fait. 162 Idem., p. 55.

163 M. DE UNAMUNO, Opus cit, article « La aulaga majorera », p. 58-60, publié dans Caras y caretas, Buenos Aires, le 1er mai 1924. Il fut à l’origine publié sous le titre « Divagaciones de un confinado ». Citation extraite de la p. 59.

por Humboldt y toda su abundante descendencia turística-insular inacabable. »164 Ce regard mythologique, non conventionnel, devient d’ailleurs une évidence pour André Breton, lorsqu’il se rend à l’Orotava :

J’aime que ce soit le dragonnier, dans son immobilité parfaite, le dragonnier faussement endormi qui se tienne au seuil du palais de feuillages qu’est le jardin de la Orotava prêt à défendre la réalité éternelle de tous les contes, cette princesse folle de palmes.165

L’opposition esthétique entre Unamuno et Espinosa, l’un en quête d’un paysage spirituel, l’autre d’un paysage littéraire, loin des excès du moi poétique, sert à comprendre la manière dont la Nueva literatura conteste la génération précédente.166 Par rapport à cette querelle de la Nueva literatura esthétisante avec la génération précédente, Gutiérrez Albelo propose une analyse percutante dans un article consacré à Lancelot 28º-7º :

Hay un arte culto y un arte popular. El primero informa estas realizaciones de Agustín Espinosa. Pero ¿En verdad, existe un arte genuinamente popular. Oíd a J.R.J (en sus notas al prólogo de su Segunda Antología Poética –Espasa Calpe- 1920): Lo exquisito que se llama popular es siempre, a mi juicio, imitación o tradición inconsciente de un arte refinado que se ha perdido. El pueblo, si piensa –la madre que cuenta cuentos-, amplifica. […] Lo hacen bien porque copian inconscientemente un modelo escogido. La sencillez sintética es un producto último […] de cultura refinada. No hay arte popular, sino imitación, tradición popular del arte.167

La nouvelle esthétique déshumanisée, celle que prône Ortega y Gasset, est, certes, essentiellement intellectuelle. Espinosa prend cette position, d’ailleurs, dans son « Ensayo de una estética del Valle » : « Siempre es preciso que el mirar a la naturaleza sea con antiparras

intelectuales ».168 Mais l’esthétique d’Espinosa se veut néanmoins, exacte et simple, sans céder aux excès érudits et elle s’inspire souvent des mythologies populaires, des chansons de

164 A. ESPINOSA, « Ensayo de una estética del Valle », chapitre II, La voz del Valle, mai, 1927. Paru à El Día, 6, mai, 1997. Textos inéditos y no recogidos en volumen.

165 A. BRETON, « Le château étoilé », Minotaure, n° 6, hiver, 1935. Chapitre V de L’Amour fou, 1937. L’édition utilisée est celle de Gallimard, collection Folio, Paris, 1976, p. 99.

166 Voir supra, le chapitre 1.2.1.1. « L’invention d’une Nueva literatura. ».

167 E. GUTIÉRREZ ALBELO, « Lancelot 28º-7º. Un libro de Agustín Espinosa », La Tarde, 14 décembre 1929. 168 A. ESPINOSA, « Ensayo de una estética del Valle », chapitre V, section C La voz del Valle, mai, 1927. Paru à El Día, 6, mai, 1997. Textos inéditos y no recogidos en volumen. Une orientation que Joris-Karl Huysmans (1848-1907) avait menée à l’extrême en 1884, dans Au rebours. Certes, la rupture que ce roman provoque avec l’esthétique naturaliste de Zola à travers les artifices de Des Esseintes, représente un élan vers un nouvel idéal de beauté, comme celui qu’Espinosa essaie d’établir à partir de nouvelles données. Il s’inspire néanmoins de ceux qui ont contesté le symbolisme dans la publication Nord-Sud (1917-1918), entre autres, Pierre Reverdy, Paul Dermée et Max Jacob. Or, il n’y a point de contradiction à citer Huysmans ici, car il est revendiqué par A. BRETON dans son Anthologie de l’humour noir (première édition, 1939), Jean-Jacques Pauvert éd., Paris, 1966, « Joris-Karl Huysmans », pp. 189-202 : « Le style de Huysmans, merveilleusement refondu en vue de la communicabilité nerveuse des sensations, est le produit du détournement de plusieurs vocabulaires […] », p. 190. Cette dernière phrase n’est pas sans rappeler le style d’Espinosa, qui se sert, lui aussi, de l’amalgame de vocabulaires pour recréer le réel.

geste et des « romances ». Lancelot 28º-7º demeure ainsi une synthèse réussie d’art savant et d’art populaire, malgré les « antiparras intelectuales » de son auteur.

Espinosa va donc « penser » le paysage au lieu de se limiter à le regarder. De ce fait, la devise : « Es necesario hacer brillar al sol tanto pedazo de cristal umbroso »,169

révèle l’intention principale qui va guider Lancelot 28º-7º. Elle permet à Espinosa de faire

resplendir l’île de Lanzarote grâce à son imagination. Pour cela, l’écrivain emploie divers procédés créatifs, comme des métaphores, des analogies et des effets grotesques et démesurés.170 L’on verra par la suite comment ces effets d’écriture créent un nouvel univers poétique dans un espace géographique réel.

***

Lancelot 28º-7º s’ouvre sur une citation de Paul Dermée : « Le but du poète est de

créer une œuvre qui vive, en dehors de lui, de sa vie propre, qui soit située dans un ciel spécial, comme une île sur l’horizon ».171 L’art se met donc au service de l’imagination pour déréaliser le monde et le transformer en objet littéraire. Espinosa, à l’égal de la nouvelle génération d’écrivains espagnols, abandonne le modernisme littéraire et l’ultraïsme pour embrasser les théories d’Ortega y Gasset.

Par la suite, « Palabras preliminares » définit le sujet qui va être exploré. Un sujet géographique, mais seulement en apparence car, très tôt, il se configure littérairement. C’est là que la récréation de l’espace commence :

Lanzarote es la isla más oriental del archipiélago canario. Un pedazo –insularizado- de África. Una avanzada marroquí. Tiene la forma de un caballo marino en actitud de saltar un obstáculo:

169 A. ESPINOSA, « Ensayo de una estética del Valle », chapitre II, La voz del Valle, mai, 1927. Paru à El Día, 6, mai, 1997. Textos inéditos y no recogidos en volumen.

170 L’intertextualité d’archétypes littéraires est essentielle, elle aussi, dans la création de Lancelot 28º-7º, mais cet aspect est abordé plus profondément dans le chapitre 5 « Les mythologies épineuses ».

171 P. DERMÉE, « Quand le symbolisme fut mort… », Nord-Sud, 15 mars 1917. La traduction d’Espinosa a été : « Crear una obra que viva fuera de sí, de su propia vida, y que esté situada en un cielo especial como una isla en el horizonte ». Il va peut-être encore plus loin que P. DERMÉE : l’œuvre ne vit pas en dehors du poète (lui) mais, chez Espinosa, en ignorant la première partie de la phrase (Le but du poète) l’œuvre, elle-même, vit en dehors de soi (de sí). Ce n’est probablement pas aléatoire, car ESPINOSA, toujours soucieux dans ses textes des normes académiques, n’a pas signalé que le début de la phrase avait été ignoré et il commence sa citation avec une majuscule.

las patas delanteras encogidas aún bajo el vientre, preparándose la distensión que producirá el salto futuro; las patas traseras reciamente apoyadas sobre un paralelo. El caballo Lanzarote mira hacia África. Su cabeza la adelanta sobre el obstáculo azul que de la meta africana le separa. Cuando desaparezca la isla de Lanzarote, habrá que pensar, más que en fauce marina, en tragaldabas de África. Acicates de la hazaña: camello, palmera, cisterna.172

Les analogies se succèdent comme des équations qu’il faudrait développer pour trouver le résultat final : l’île imaginaire de Lancelot. Certes, l’on trouve dans Lancelot 28º-7º des analogies de tous ordres : phonétiques, conceptuelles ou imagées. Probablement influencé par Pierre Reverdy, qui voit dans l’analogie un moyen de création,173 Espinosa s’en sert très souvent, à l’égal des surréalistes. Il devient ainsi, comme il s’auto proclame dans Lancelot

28º-7º, un chasseur de styles : « Estos cuatro puntos cardinales, en mi percha de cazador de estilos. Atornillados en la mesa de las analogías. En libertad sobre el escenario de los caracteres »174

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Ces mots préliminaires sont suivis d’une introduction pour expliquer l’analogie du titre Lancelot par rapport à Lanzarote. Cette introduction, intitulée « Lancelot y Lanzarote », joue le rôle d’un manifeste qui délimiterait le projet que propose l’auteur. Il s’agit d’une espèce de manifeste qui demeure essentiel pour comprendre la quête qui guide Espinosa. Voici donc, intégralement, « Lancelot y Lanzarote » :

Lanzarote ha sido explicado de manera anecdótica, inafectiva. Esto ha significado –significan- libros como Tierras sedientas de Francisco González, o Costumbres canarias de Isaac Viera. Únicos precedentes literarios (?) de mi libro.

La música que salva un pueblo, a un astro o a una isla, no será nunca música de esta clase. Sino música integral. Sino la creación de una mitología. De un clima poético, donde cada pedazo de pueblo, astro o isla, pueda sentarse a repasar heroicidades. Sino aquella literatura que imponga su módulo vivo sobre la tierra inédita. No ha sido de otro modo cómo el mundo ha visto, durante siglos, la India que creó Camoens; o la Grecia que fabricó Homero; o la Roma que hizo Virgilio; o la América que edificó Hercilla; o la España que inventaron nuestros romances