qu’il avoit entreprinse, en une contenance effraïee: chargeant sa voix et ses yeus
d’estonemant et de paenitance:. cCherchant a coniller et se desrober, il les
enflamma & appela sur soi.
se remplir l’ame & le front
de repentance
et d’effrai
, n’ayant plus autre soing que de sa conserva tion: si qu’abandonnant son premieroffice
de regler & guider, & cedant plustost que s’opposant, ilapela
cet orage sur soy,employant
inconsidereement
tous moyens de le fuyr & eschaper. On deliberoit de faire une montre generalle de diverses trouppes en armes,(c’est le lieu des vengeances secretes, & n’ est point ou, en plus grande seurté on les puisse exercer) Il y avoit publiques
et
notoires apparences, qu’il n’y faisoit pas fort bon pour aucuns,ausquels touchoit la principalle & necessaire charge de les re cognoistre. Il s’y proposa divers conseils, comme en chose difficile, & qui avoit beaucoup de poids & de suyte: le mien fut, qu’on evitast sur tout de donner aucun tesmoi gnage de ce doubte, & qu’on s’y trouvast & meslast parmy les files, la teste droicte, & le visage ouvert, & qu’au lieu d’en re trancher aucune chose (à quoy les autres opinions visoyent le plus) qu’au contraire, on sollicitast les capitaines d’advertir les soldats de faire leurs salues belles & gaillardes en l’honneur des assi stans, & n’espargner leur poudre. Cela servit de gratification
envers ces troupes suspectes, & engendra dés lors en
avant une mutuelle & utile confidence. La voye qu’y tint Julius Caesar, je trouve que c’est la plus belle, qu’on y puisse prendre. Pre mierement il essaya par clemence & douceur, à se faire aymer de ses ennemis mesmes, se contentant aux conjurations, qui luy estoient descouvertes, de declarer simplement qu’il en e stoit adverty: cela faict, il print une tresnoble resolution, d’at tendre sans effroy & sans solicitude, ce qui luy en pourroit ad venir, s’abandonnant & se remettant à la garde des dieux & de la fortune.
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Cc
ar certainement c’est l’estat où il estoit quand il fut tué. Un estranger ayant dict & publié par tout,
qu’il pourroit in struire Dionysius Tyran de Syracuse, d’un moyen de sentir &descouvrir en toute certitude, les parties que ses subjets ma
[48v]
ESSAIS DE M. DE MONT.
chineroyent contre luy, s’il luy vouloit donner une bonne pie ce d’argent, Dionysius en estant adverty, le fit appeller à soy, pour l’esclarcir d’un art si necessaire à sa conservation: cet estrangier, luy dict, qu’il n’y avoit pas d’autre art, sinon qu’il luy fit delivrer un talent, & se ventast d’avoir apris de luy un singulier secret. Dionysius trouva cette invention bonne, & luy fit compter six cens escus. Il n’estoit pas vraysembla ble, qu’il eust donné si grande somme à un homme incogneu, qu’en recompense d’un tresutile aprentissage, & servoit cette reputation à tenir ses ennemis en crainte. Pourtant les Prin ces sagement publient les advis qu’ils reçoivent des menées qu’on dresse contre leur vie, pour faire croire qu’ils sont bien advertis, & qu’il ne se peut rien entreprendre dequoy ils ne sentent le vent. Le
duc d’Athenes fit
plusieurs sottises en la
l’establissement de sa
fresche tirannie sur
Florence: mais cete ci la
plus notable qu’estant
ayant receu le premier
advis des monopoles que
ce peuple dressoit contre
luypar Matteo di Morozo
complice d’icelles il le fit
mourir pour supprimer cet
adv
ertissement et ne faire
sen
tir qu’aucun en la ville se peut
e
nuïer de son juste
⁁
⁁
rolle attira⁁
en plusieurs & nous⁁
g
ouvernement.
Il me souvient d’avoir leu autrefois l’histoire
de quelque Romain, personnage de dignité, lequel fuyant la tyrannie du Triumuirat, avoit eschappé mille fois les mains de ceux, qui le poursuivoyent, par la subtilité de ses inventions: Il advint un jour, qu’une troupe de gens de cheval, qui avoit charge de le prendre, passa tout joignant un halier, où il s’e stoit tapy, & faillit de le descouvrir: mais luy sur ce point là, considerant la peine & les difficultez, ausquelles il avoit desja si long temps duré, pour se sauver des continuelles & curieu ses recherches, qu’on faisoit de luy par tout, le peu de plaisir qu’il pouvoit esperer d’une telle vie, & combien il luy valoit mieux passer une fois le pas, que demeurer tousjours en ces
t
te transe, luy mesme les r’apella & leur trahit sa cachete, s’a bandonnant volontairement à leur cruauté, pour oster eux & luy d’une plus longue peine. D’appeller les mains enne mies, c’est un conseil un peu gaillard :,
si croyje, qu’en core vaudroitil mieux le prendre, que de demeurer en la fie vre continuelle d’un accident, qui n’a point de remede:.
mM
ais puisque les provisions qu’on y peut aporter sont pleines d’inquie
LIVRE PREMIER.
49 quietude, & d’incertitude, il vaut mieux d’une
belle asseurance se preparer à tout ce qui en pourra advenir, & tirer quelque consolation de ce qu’on n’est pas asseuré qu’il
advienne.
Du pedantisme. CHAP. XXV.
J
E me suis souvent despité en mon enfance,
de voir és comedies Italiennes, tousjours un pedante pour badin, &Et
le surnom de magister, n’avoit guiere plus honora ble signification parmy nous. Car leur estant donné en gou vernement & en garde, que pouvoisje moins faire que d’estrejalous de leur reputation? Je cherchois bien de les excuser par la
disconvenance naturelle qu’il y a entre le vulgaire, & les person nes rares & excellentes en jugement, & en sçavoir: d
D
’autant qu’ils vont un train entierement contraire les uns des autres. Mais en cecy perdois je mon latin, que les plus galans hom mes c’estoient ceux qui les avoyent le plus à mespris, tesmoing nostre bon du Bellay.Mais je hay par sur tout un sçavoir pedantesque.
Et est cette coustume ancienne: c
C
ar Plutarque dit que Grec & escholier, estoient mots de reproche entre les Romains, & de mespris. Depuis avec l’eage j’ay trouvé qu’on avoit une gran dissime raison, & que magis magnos clericos, non sunt magis magnos sapientes. Mais d’où il puisse advenir qu’une americhe
de laconnoissance de tant de choses, n’en devienne pas plus vive, & plus esveillée, &
Et
qu’un esprit grossier & vulgaire puisse loger en soy, sans s’amender, les discours & les jugemens des plus excellens esprits, que le monde ait porté, j’en suis encore en doute. A recevoir tant de cervelles estrangeres, & si fortes, & si grandes, il est necessaire (me disoit une fille, la premiere de nos Princesses, parlant de quelqu’un) que la sienne se foule, se contraingne & rapetisse, pour faire place aux autres. Je dirois N [49v] ESSAIS DE M. DE MONTA. volontiers, que comme les plantes s’estouffent de trop d’humeur,
et les lampes de trop d’huile
aussi l’action de l’esprit par trop d’estude, & que l’ameet de matiere. Lequel
saisie & embarassée de tant de’une grande
diversité de choses, perde lemoyen de se desmesler,