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Avec l'importante arrivée de requérants d'asile en provenance des pays du Tiers-Monde, on assiste depuis 1 980 à l'émergence d'une situation nouvelle. En Suisse le nombre total des requérants d'asile dont le statut reste incertain est estimé à 40. 136, et le nombre de personnes ayant obtenu le statut permanent de réfugié est de 29.1 36 jusqu'en 1989 (DAR­

Délégué aux réfugiés, janvier 1 990). Parmi ces requérants d'asile, on peut constater l'arrivée de nombreuses familles accompagnées de leurs enfants dont certains sont en âge de scolarité. Cette situation implique non seulement des mesures sur le plan politique et socio-économique, mais aussi des structures adéquates pour la scolarisation des enfants au niveau de la politique éducative.

Par différentes voies d'accès, les réflexions engagées dans cette recherche (Il s'organisent autour de la rencontre interculturelle au niveau de l'école genevoise. Il s'agit d'une recherche en cours portant sur la scolarisation d'enfants non occidentaux dans les écoles primaires genevoises, et illustrée à travers une étude de cas, celle de requérants d'asile et de réfugiés iraniens. A partir de ces cas, notre interrogation est double: elle est à la fois spécifique, car nous tenons compte de la dimension culturelle iranienne, et plus générale, car, à travers ce "groupe révélateur", certaines constatations et réflexions peuvent être valables pour d'autres groupes en situation d'exil.

L'objet de cette recherche est l'étude des mutations dans le processus de socialisation de l'enfant/l'élève en exil et les mécanismes d'adaptation qu'implique un milieu nouveau, ceci à travers les représentations des parents et des enseignants concernés. Les représentations sociales peuvent être considérées comme un mode de construction de la réalité émananl d'un groupe ou d'un individu socialement situé. Moscovici ( 1 969) définit la représentation sociale comme :

"un système de valeurs, de notions et de pratiques ayant une double vocation. Tout d'abord, d'instaurer un ordre qui donne aux individus la possibilité de s'orienter dans l'environnement social, matériel et le dominer. Ensuite d'assurer la communication entre les membres d'une communauté en leur proposant un code pour leurs échanges et un code pour nommer et classer de manière univoque les parties de leur monde, de leur histoire individuelle ou collective." (p.1 1 )

CADRE GENERAL DE LA RECHERCHE

L'éducation interculturelle

L'éducation interculturelle repose sur un principe fondamental, le respect des autres qui implique la sensibilisation à des cultures et des valeurs différenles. Abdallah-Pretceille ( 1986) définit la pédagogie interculture!le comme suit:

"Dans une perspective de formation globale de l'enfant, la pédagogie interculturelle imprègne toutes les disciplines, toutes les activités y compris la relation à l'Autre (domaine encore inexploité dans le système éducatif actuel) ... L'apprentissage de l'objectivité et de la décentration ainsi que l'interdisciplinarité précisent le cadre de l'action.

Apprendre à maîtriser le milieu, à objectiver les relations de l'individu par rapport à l'environnement économique, social, politique et humain implique, en réalité une perspective interculturelle." (p.21 1 )

Au cours des récentes décennies, l'évolution du canton de Genève a été marquée par deux phénomènes importants :

- l'arrivée de migrants et de réfugiés venant de différents pays européens et des pays du tiers-monde;

- et la volonté du Département de l'instruction Publique genevois(l 989) d'inscrire parmi ses objectifs la prise en considération de la diversité au niveau de l'école et en explicitant ses objectifs sur le plan de la mission éducative de l'école de la manière suivante:

"entendue au sens large de préparation à la vie dans une société complexe et multiculturelle, qui change rapidement et s'ouvre sur l'Europe et sur le monde ... elle doit contribuer à développer la tolérance à l'égard des minorités, des immigrés et des réfugiés ... " (p.9)

La Convention sur les Droits de !'Enfant

Dans le cadre du processus d'élaboration d'une politique, le groupe de travail des Nations Unies sur les enfants réfugiés a pris un certain nombre de mesures afin d'améliorer la qualité de l'aide apportée sur le terrain aux jeunes réfugiés.

Reconnaissant la situation particulière et la vulnérabilité des enfants contraints de quitter leur pays, l'article 1 1 bis de la Convention sur les droits de l'enfant (UNICEF) traite spécifiquement des enfants réfugiés. Il stipule "La protection spéciale à accorder à l'enfant qui est réfugié ou qui cherche à obtenir le statut de réfugié, et l'obligation de l'Etat de collaborer avec des organisations compétentes ayant pour mandat d'assurer cette protection". Notons qu'à ce jour cette Convention n'a pas encore été signée et ratifiée par la Confédération Helvétique.

La problématique des réfugiés fait partie d'une problématique plus large qui est celle de la migration en général, et d'autre part il ne faut pas considérer isolément les enfants réfugiés. C'est au travers d'une approche globale de leurs situations que nous pouvons mieux résoudre notamment les difficultés scolaires et familiales auxquelles ils peuvent être confrontés.

LA NICHE DEVELOPPEMENTALE ET L'ACCULTURATION

L'enfant dont les parents sont requérant d'asile ou réfugié est un enfant qui est déplacé de son environnement culturel et social, mais ce déplacement s'effectue par définition dans des situations subites et parfois traumatisantes. Pour cette raison, l'analyse de la situation d'exil doit être envisagée en tenant compte de cette rupture avec la société d'origine ainsi que des capacités d'adaptation à de nouvelles situations, comme l'exprime un enseignant:

"ça dépend tout de la manière où la transplantation a été faite, il y a le caractère du gosse, il y a les conditions de transplantation, est-ce que ça a été une transplantation brutale ou heureuse? Ce qui fait que dans ses relations avec les autres il sera plus ou moins positif ou plus ou moins négatif'. ( ens.6ème)

De plus, ces enfants se trouvent à la confluence de plusieurs projets culturels et éducatifs, parmi lesquels nous retiendrons d'une part, la culture d'origine médiatisée par l'identification aux parents et, d'autre part, la culture d'accueil médiatisée par l'expérience scolaire. Afin de mieux comprendre les incidences qu'impliquent ces systèmes de référence, tant sur le plan de la distance culturelle que sur celui de l'acculturation, il nous paraît nécessaire de confronter le vécu familial de l'élève avec son expérience scolaire.

Ainsi, en tenant compte des différents espaces de socialisation et de leurs modes d'interaction, nous pensons pouvoir mettre en évidence les stratégies mises en place par les différents acteurs concernés dans ce processus.

Pour notre analyse nous partirons d'une problématique qui empruntera ses concepts théoriques aux travaux de Super & Harkness (1986) et de Berry (1989), concepts qui nous paraissent en interrelation pour fournir un cadre théorique adéquat dans la situation de socialisation et de changement contextuel. Dans un article intitulé " The developmental niche: a conceptualization at the interface of child and culture" Super &

Harkness (] 986) proposent le concept de "niche dévelopementale" pour étudier la régulation culturelle du micro-environnement de l'enfant. La niche développementale est envisagée en tant que système comprenant trois sous-systèmes en interrelation opérant avec des mécanismes homéostatiques. Ces trois sous-systèmes sont : ( 1 ) le cadre ou le milieu physique et social dans lequel vit l'enfant; (2) les pratiques éducatives; (3) les attitudes et les valeurs éducatives des acteurs de la socialisation (the psychology of the caretakers) . Ainsi, pour ces auteurs, la socialisation s'opère dans des pratiques et des attitudes, c'est-à-dire dans une culture au quotidien propre à l'environnement de la famille, de l'école, du groupe des pairs, etc. qui sont eux-mêmes en relation avec un environnement plus large. En quelque sorte la niche développementale est une métaphore pour désigner l'interaction entre l'enfant et la culture.

Lors de changements dus à la migration ou à l'exil des parents dans un nouveau pays, certains éléments de la niche développementale de l'enfant peuvent être modifiés tant au niveau de la famille qu'au niveau de l'école. Pour Berry ( 1989) les réfugiés sont des groupes qui sont définis par deux caractéristiques: la mobilité, et dans ce sens ils font pa1tie de la population migrante, et la migration non volontaire car leur départ ne constitue pas un choix personnel et résulte d'une contrainte telle que la guerre, la famine (p. 140). Dans la même perspective, Araujo et Vasquez ( 1 988) font la différence entre les immigrés" ... Puisque leur départ est la matérialisation d'un projet, les immigrés ont le sentiment qu'ils peuvent rentrer à tout moment...", et les réfugiés: " ... L'exilé en revanche part parce qu'il a subi une double défaite: celle d'un projet, collectif d'abord , mais qui implique aussi l'abandon d'un projet individuel qui s'insérait dans le processus global. Pour lui, il ne s'agit pas d'un choix personnel, c'est le nouveau pouvoir qui décide à sa place." (p.36).

Le concept d'acculturation désigne pour nous essentiellement un processus d'échange culturel en cours et se distingue de l'assimilation qui désigne le stade final auquel peut aboutir, dans cc1tains des cas, un processus d'acculturation lorsque l'une des cultures en présence cède complètement la place à l'autre. Berry (1 989) distingue quatre modes d'acculturation: l'assimilation, l'intégration, la séparation et la

marginalisation; ces quatres processus dépendent du degré de maintien de l'identité culturelle et de la modalité de contact avec la société d'accueil.

Le processus d'acculturation est accompagné d'un ensemble de changements d'ordre à la fois: physiques (nouveau milieu, nouvel habitat, etc.) biologiques (nouveîle alimentation, nouvelles maladies, etc.) politiques (perte d'autonomie,etc.) économiques (emploi, salaire, etc.) culturels (la langue, la religion, l'éducation,etc.) sociaux (nouvelles relations interindividuelles et intergroupales, etc.) et psychologiques. Le terme adaptation est employé pour rendre compte du processus d'acculturation et de son résultat.

L'ensemble de ces éléments tant sur le plan de la mobilité des familles que de leurs modes d'insertion dans le milieu d'accueil peuvent influencer l'intégration scolaire de l'élève.

ENQUETE ET ECHANTILLON

Notre échantillon est composé de 20 familles requérantes d'asile ou réfugiées ayant leurs enfants scolarisés au niveau de l'école primaire à Genève, dont l'arrivée s'échelonne entre 1 986 et 1 988, et de 30 enseignants des écoles primaires à Genève. Notre enquête s'est déroulée sous forme d'entretiens semi-directifs auprès des parents (en persan) et des enseignants concernés par la scolarisation de ces enfants.

Ces entretiens ont eu pour but de dégager d'une part, les représentations réciproques des parents et des enseignants sur les processus de socialisation et de mutations culturelles de l'enfant/l'élève dans une situation spécifique, celle de l'exil, et d'autre part, d'appréhender les modes d'interaction famille-école. Les réflexions menées sur la rencontre de ces cultures très différentes, au niveau de l'école, et les mécanismes d'acculturation que cette rencontre peut engendrer, nous a permis de formuler les questions suivantes:

- La situation de requérants d'asile (ou réfugiés) des parents et les incertitudes que cela peut entraîner dans les projets de vie ont-elles un