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De ce qui précède ressort le fait que, si loin qu’aillent la rupture ou l’oubli, et en raison de son caractère temporaire, la nouveauté prend toujours appui sur une part de continuité, dans laquelle la différence apparaît comme différence, et plus encore, comme différence significative. Il faut quelque part une identité maintenue, un fil non rompu, un espace de sens au sein duquel la réalité nouvelle et la situation antérieure se rapportent l’une à l’autre, ne serait-ce que pour se nier mutuellement. Lorsqu’on parle de la rupture réalisée par la Révolution française, on la rapporte au devenir du peuple français – même si cette identité devait être construite de toute pièce – ou encore, dans une perspective plus large, à celui de la démocratie. C’est dans la trame de ce récit que la nouveauté vient s’inscrire et prendre son sens de nouveauté.

Dans la détermination du « degré » d’une nouveauté, de sa radicalité, le contexte importe autant que la période de temps dans laquelle on l’inscrit. Si l’on mesure la nouveauté selon son rapport à l’antérieur, alors on considère qu’elle est d’autant plus grande qu’elle se rapporte à un passé, à une histoire plus longue, d’une part, et qu’elle prend son sens dans un contexte plus large, d’autre part. C’est pourquoi les nouveautés récurrentes sont généralement rangées du côté des nouveautés moins radicales, soit parce que leur caractère de nouveauté tient dans un contexte relativement restreint, alors qu’en élargissant le contexte, elles apparaissent comme le retour de l’ancien. En fait, c’est tout aussi bien l’ampleur du contexte que la « longueur » de la période temporelle dans laquelle on l’inscrit qui fait l’importance et la radicalité d’une nouveauté. Il tombe assez naturellement sous le sens que l’on ne peut considérer de la même manière la nouveauté en jeu dans un récit du renouvellement cosmique et dans la découverte, par exemple, d’une variété botanique inconnue, bien qu’on puisse dans les deux cas parler de nouveauté. Le second cas relève d’un événement qui se produit pour la première fois, mais il s’applique à un contexte relativement restreint au regard du premier. L’unique critère de la nouveauté ne saurait être, autrement dit, la question de savoir si celle-ci est originale ou récurrente, mais doit tout aussi bien impliquer la question du contexte, qui touche à celle de savoir ce qui est nouveau, ou de l’ensemble auquel cela est rapporté en tant que nouveauté.

Nouveauté relative et absolue

Cela nous conduit à considérer les limites de la notion de nouveauté. Jusqu’où peut-on élargir les déterminations contextuelles et temporelles qui donnent son sens à la nouveauté ? Plus encore, la nouveauté est-elle toujours relative à un passé et à un contexte, ou y a-t-il quelque sens à parler, comme on le fait d’ailleurs souvent, de nouveauté absolue ?

Il faut déjà préciser ce qu’on peut entendre par une nouveauté absolue. Car en principe, l’impossibilité de traiter la nouveauté comme une essence, comme nous l’avons souligné plus tôt, exclut aussi qu’elle puisse être considérée absolument. Cela contredit l’idée de la nouveauté comme attribut ou situation temporaire, et comme inscription temporelle de la différence. Parler d’une nouveauté absolue ne consiste-t-il pas à parler d’une réalité nouvelle « en soi », c’est-à-dire dont le caractère de nouveauté tiendrait en lui-même, sans lien avec autre chose, avec une autre réalité ou un autre temps? À tout le moins, ce serait parler d’une nouveauté dont aucun contexte, aucune perspective ne changerait ou ne réduirait le caractère de nouveauté. Par « nouveauté absolue », on désigne en tout cas le maximum d’originalité, d’inédit dans la nouveauté.

Cette idée peut être comprise de deux manières. La première consiste à affirmer qu’une réalité est absolument nouvelle si elle est totalement unique et indépendante dans son venir à l’être, en somme qu’elle est totalement spontanée. On dit par exemple de l’action libre qu’elle est absolument nouvelle parce qu’elle est cause d’elle-même et que sa nouveauté ne peut être tempérée en fonction d’une antériorité causale. Par là, elle serait ontologiquement innovante. De ce point de vue, chaque action libre est nouvelle par principe, peu importe sous quel angle on la considère. Son caractère de spontanéité – et partant, d’imprévisibilité –, s’inscrirait dans le temps comme nouveauté absolue. Néanmoins, il est difficile de nier le fait que les interprétations d’une action libre sont toujours multiples, et même si l’on affirme la plus parfaite autonomie de l’agent, on ne peut écarter, dans une perspective historique, le fait que l’action en question ait été posée en réponse ou en rapport à une certaine situation, qu’elle manifeste une inscription historique et culturelle de l’agent – qui à tout le moins s’exprime dans une langue héritée des siens – en somme qu’elle s’inscrit malgré tout dans un contexte réel. Cela n’empêcherait pas non plus qu’elle évoque, pour certains témoins, un événement passé. Autrement dit, une telle idée de la nouveauté absolue se définit par une hétérogénéité

de principe avec tout passé compris dans le sens de la causalité. Mais il reste que tout événement, même le plus révolutionnaire, tire en fin de compte sa nouveauté de sa relation à un contexte, à une perspective spécifique.

L’autre interprétation possible de l’idée de nouveauté absolue peut être comprise dans les termes de l’énoncé qui paraphrase couramment la notion de nouveauté : « cela n’était pas là avant ». On dit alors absolument nouvelle une réalité qui n’a jamais, d’aucune manière,

existé dans aucune circonstance.177 Il s’agirait autrement dit d’une réalité qui serait nouvelle

peu importe la perspective adoptée – ce qui en ferait en même temps la véritable nouveauté objective178 –, dont on ne pourrait d’aucune manière rendre compte dans les termes du

précédent. Il est indéniable qu’un tel événement mériterait l’appellation de nouveauté, mais elle ne s’en rapporte pas moins, négativement, à une antériorité définie. L’extension maximale des cadres temporel et contextuel permet sans doute de cerner une sorte de maximum de la nouveauté, mais non une nouveauté absolue au sens où elle tiendrait « en elle-même », comme une nouveauté « en soi ». Fût-elle nouvelle au regard de l’histoire entière de l’univers entier, la nouveauté n’en est pas moins relative à cette histoire. Elle ne prend son sens de nouveauté que dans la mesure où elle s’inscrit dans cette histoire.179 Ainsi,

la première interprétation de la nouveauté absolue repose sur un postulat d’indétermination causale qui n’équivaut pas pour autant à une apparition ex nihilo, alors que la seconde correspond à une nouveauté radicale qui n’en est pas moins pensée dans un rapport à l’antérieur.

Nous verrons au chapitre suivant comment Arendt résout cette difficulté en intégrant la notion de natalité, en lien avec la manière dont la naissance humaine s’inscrit simultanément dans plusieurs temporalités. Mais retenons, pour l’instant, que la nouveauté est ultimement une notion relative, sans que cela exclue de parler, dans certains cas, d’une nouveauté radicale et même d’un saut qualitatif dans le devenir. Une telle nouveauté serait

177 Réfléchissant sur la production de nouveauté par la nature, Stace définit ainsi comme nouveauté absolue ce

qui n’a jamais existé « dans toute l’histoire de l’univers ». (p. 300.)

178 C’est pourquoi, dans l’article cité plus tôt, Whitmore propose les termes de nouveauté contextuelle et de

nouveauté intrinsèque (p. 147) pour désigner ce que Stace nomme ensuite, de manière plus générale, les nouveautés relatives et absolues. (p. 300.)

179 Les cas extrêmes de nouveauté sont rapportés à l’élémentaire, ou au fondement des choses : la nouveauté

donc celle qui ne présente aucun rapport de continuité avec l’état antérieur des choses, autrement dit qui s’inscrirait en totale discontinuité avec le passé, dont on ne peut d’aucune manière rendre compte à partir de ce qui précédait.180 Cela correspond à ce que l’on appelle

des révolutions, de même qu’à l’émergence dans le domaine de l’évolution de la vie. Toutes deux impliquent des changements de logique. Néanmoins, dans quelle mesure peut-on penser une discontinuité radicale ? Peut-on penser la nouveauté sans un élément, même minimal, de continuité ? Nous venons au contraire de montrer qu’une réalité ne peut être nouvelle que relativement à un certain passé, qu’il y a nécessairement une antériorité relative à toute nouveauté. L’absence de celle-ci, ultimement, conduit aux limites de la pensée et de l’expérience. Une radicale discontinuité, qui s’imposerait à tout point de vue, exclurait même ce point de vue capable de saisir la discontinuité. Or il faut à tout le moins pouvoir penser une conscience capable d’inscrire ce saut dans le temps. Pour pousser la chose aux extrêmes, l’idée d’une nouveauté absolue ne pourrait avoir de sens qu’en se renversant dans une absence de passé, autrement dit dans une primauté temporelle sans antériorité. Mais une telle perspective nous conduit elle-même aux limites de la pensée. Ainsi, par exemple, saint Augustin interroge le mystère de la Genèse et constate le caractère impensable du commencement du monde, qui doit être aussi le commencement du Temps même.181 Nous

sommes incapables de penser un événement véritablement premier, sans aucune antériorité, de penser le passage du néant à l’être.

Le problème apparaît tout aussi bien du point de vue de l’évolution et de l’origine de la vie. En effet, comme le souligne Whitmore, le problème du passage de l’inanimé à l’animé – et de l’animé au conscient – est la véritable « citadelle » des défenseurs de la nouveauté

intrinsèque ou absolue dans la réflexion sur l’évolution. La question est ici celle de

180 Il y a, dans l’idée d’une nouveauté absolue, quelque chose qui se rapproche du miracle. Mais ce dernier, s’il

est compris comme l’œuvre d’une entité extérieure, surnaturelle ou transcendante, vient reporter sur cette dernière, divinité ou autre force surnaturelle, la dimension de continuité ou d’identité qui est exclue du devenir des choses. En ce sens, la nouveauté est déjà relativisée : ce qui apparaît comme nouveau devient relatif à l’histoire, mais à un autre niveau, existait de tout temps, dans la volonté divine par exemple. La pensée relativise naturellement la nouveauté, puisque la question de la nouveauté absolue converge avec la recherche d’une cause première.

181 « Dès lors que vous êtes l’artisan de tous les temps, s’il exista un temps, avant la création par vous du ciel et

de la terre, pourquoi dit-on que vous restiez oisif? Car ce temps même, c’est vous qui l’avez créé, et les temps n’ont pas pu s’écouler avant que vous fissiez les temps. Si, au contraire, avant le ciel et la terre, nul temps n’existait, pourquoi demande-t-on ce que vous faisiez alors ? Il n’y avait pas d’"alors" là où il n’y avait pas de temps. » Saint Augustin, Les Confessions. Tome deuxième, p. 193.

l’imprévisibilité, c’est-à-dire qu’est considéré nouveau ce qui est irréductible aux conditions antérieures, ce qui d’aucune manière ne peut être exprimé dans les termes de ce qui préexistait, et d’aucune manière n’aurait pu être anticipé par un observateur qui aurait disposé d’une entière connaissance de ces conditions. Or l’auteur souligne, précisément, le caractère problématique d’une telle réflexion :

Malheureusement, il n’est pas légitime de débattre sur la question de savoir si une intelligence disposant d’une connaissance complète de l’inanimé aurait pu prévoir le passage à l’animé à quelque période éloignée. Car si cette intelligence était de quelque manière semblable à la nôtre, elle aurait déjà effectué ce passage ; si elle ne l’était pas, alors elle aurait dû prendre sa source hors de l’ordre naturel considéré, auquel cas ses caractéristiques n’auraient aucun fondement nécessaire. Il est fort peu profitable de demander ce qui aurait pu être prédit par un type

d’observateur qui, étant donné la nature des choses, n’aurait pas pu être présent.182

En somme, si la nouveauté considérée est relative à une situation antérieure excluant même la possibilité d’une conscience, de la mémoire, elle est proprement impensable. Qu’il s’agisse d’un passé antérieur à une nouveauté radicale, ou d’un avenir qui lui succéderait, l’idée d’une telle nouveauté reconduit la pensée à ses limites. On le voit dans le fait que nous en venons nécessairement à nous représenter cette situation radicalement autre comme nous étant accessible, comme ressemblant au connu.

Les chantres modernes de la nouveauté n’ont d’ailleurs pas ignoré ce fait, et la perspective d’une nouveauté radicale, cette fois projetée dans l’avenir, chez un Baudelaire ou un Poe, va de pair avec une perte de soi, et même avec la mort. Le célèbre appel à la nouveauté qui conclut les Fleurs du mal est adressé à la mort, ce « vieux capitaine », elle pointe hors de ce monde, que le narrateur a parcouru sans trouver jamais de source d’étonnement profond. Découragé, il s’abandonne tout entier au souhait d’« autre chose », d’une différence radicale, où il se perdrait lui-même, puisqu’elle n’adviendrait qu’au prix de son existence.

Or cette nouveauté dans la mort est proprement impensable. Non seulement en raison de l’inconnu qu’elle recèle naturellement pour tout vivant, mais en raison de la perte de soi qui annule même la possibilité d’une inscription dans le temps, de la liaison dans une même conscience d’un avant et d’un après, précisément parce que le passage de l’un à l’autre

implique une dissolution de soi. Baudelaire n’est d’ailleurs pas dupe de cela : c’est précisément parce que cet au-delà de l’existence résiste entièrement aux projections de la pensée et de l’imagination qu’il en attend la plus grande nouveauté. C’est ce que Baudelaire évoque dans « Le rêve d’un curieux » :

J’étais comme l’enfant avide du spectacle, Haïssant le rideau comme on hait un obstacle... Enfin la vérité froide se révéla :

J’étais mort sans surprise, et la terrible aurore M’enveloppait. - Eh quoi ! n’est-ce donc que cela ? La toile était levée et j’attendais encore.183

Le narrateur rêve qu’il rencontre la mort, et s’attendant à en découvrir les mystères, ne découvre en fait que du déjà connu, puisqu’il ne peut se la représenter en tant que vivant. On ne peut penser la nouveauté de la mort que si l’on pose l’immortalité d’une âme qui, effectuant la grande traversée, se rappellera sa vie d’avant. Autrement dit, il faut, minimalement, qu’elle reste « la même », sans quoi le désir de la nouveauté retombe dans un désir du néant.

La résistance de l’expérience

La nouveauté au-devant de laquelle veut se lancer Baudelaire est celle de l’inconnu et de l’imprévisible, c’est la nouveauté la plus « originale » possible, que rien, dans le présent, ne permettrait de préfigurer. Celle-ci doit donc se manifester par la résistance qu’elle oppose aux repères et aux catégories dont nous disposons pour saisir le réel. Elle se présente, comme nous l’avons bien vu avec la découverte du Nouveau Monde, comme extériorité par rapport au connu et au familier, comme étrangeté, comme manifestation de la réalité qui se refuse à l’absorption dans l’ancien.

Subjectivement, cela se manifeste dans ce jeu entre la compréhension et l’incompréhension qui était évoqué par Whitmore, et où se dessine l’étranger dans le familier, la discontinuité sur un fond de continuité, où l’on voit forcés les repères et les habitudes et les concepts en vigueur. L’impression de nouveauté est alors le propre d’une expérience- frontière. Elle apparaît dans une tension avec l’ancien ou le familier, qui ressortait si

nettement dans le mélange de doute et de fascination exprimé par Paul Valéry au sujet du « Coup de dés » de Mallarmé.184 Mais ce qui signalait véritablement la nouveauté dans cette

expérience était l’intérêt qui y était pris, et l’intention d’en explorer les possibilités. De manière semblable, la parenté entre le regard d’enfant et l’expérience de la nouveauté vient, comme nous l’avons signalé, de la disposition de l’enfant à apprendre, autrement dit à se laisser transformer par ses rencontres avec le monde.

C’est qu’en fait, la résistance est une occasion de nouveauté, voire un signal de la nouveauté qui arrive, mais elle ne lui suffit pas. L’étrangeté qui demeure dans son étrangeté n’est pas en elle-même une nouveauté. Cette dernière n’advient qu’en fonction des rapports qui s’établissent entre le familier et l’étranger – ce qui implique, encore une fois, que la nouveauté conserve une certaine dimension de continuité qui la rapporte à l’antérieur. L’étrangeté n’a pas la portée d’une nouveauté si elle n’est pas attestée comme un événement significatif, si elle ne marque pas un commencement d’une manière ou d’une autre. La femme est l’autre de l’homme et inversement; la nouveauté est l’enfant qui naît de leur union. Ainsi la nouveauté n’est pas dans l’altérité même, mais dans le développement de rapports avec cet autre : rapports antagoniques, tendus, problématiques parfois, mais néanmoins transformateurs. En ce sens, vouloir la nouveauté, ce n’est pas simplement vouloir l’autre, c’est vouloir se transformer soi-même par l’autre.

Le défi du nouveau est de s’imposer dans un ordre ancien, et celui de l’ancien est de survivre à l’assaut du nouveau. Cela signifie que la part active qui doit être jouée dans l’avènement de la nouveauté ne concerne pas uniquement l’affirmation de soi dans l’action ou la création. Pour que l’étrangeté, l’altérité ou l’événement soient nouveauté, il faut qu’ils soient reçus comme significatifs, attestés par la pratique, le langage, les concepts. Cela signifie que reconnaître la nouveauté consiste en fait à porter la résistance de l’expérience à la nouveauté, ce qui exige à son tour une intervention productrice. C’est pourquoi la connaissance de la nouveauté dans sa nouveauté ne peut pas se limiter à l’exaltation de la surprise : elle est une pratique exigeante, une tâche d’adaptation et de création. Une situation

qui excède les limites du connu exige de nouveaux concepts, de nouvelles règles, un nouveau vocabulaire.

Ainsi, la nouveauté originale arrive par ce dont on ne peut rendre compte dans les termes de l’antérieur. Cette résistance se signale donc d’abord négativement, par l’absence du familier et le déjouement des attentes. C’est ce que qu’observe le célèbre musicien et musicologue Charles Rosen lorsqu’il note que, dans l’écoute d’une œuvre « radicalement originale », ce n’est pas tant la nouveauté qui retient notre attention, que « l’absence d’éléments reconnaissables dans le style ou dans le langage ».185 De manière semblable,

Socrate est souvent désigné comme atopos, notamment par Platon, en raison du caractère

incomparable de sa personnalité, qui ne présente pas d’aspects qui seraient communs à

d’autres personnes. Autrement dit, son originalité ne se signale pas d’abord positivement, comme une catégorie dont il serait l’unique représentant, mais par le fait qu’il ne correspond à aucune catégorie existante, comme l’explique Pierre Hadot :

Le mot [atopos] signifie étymologiquement « hors de lieu » donc étrange, extravagant, absurde,

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