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Nouveauté, nouveautés : les métamorphoses de Janus

de prendre la mesure de cette polysémie. Cela nous permettra d’entendre ce que dit la nouveauté, avant de chercher à dire ce qu’elle est. En somme, que cherche-t-on généralement à dire lorsqu’on recourt à ce terme à la fois fort et banal de « nouveau » ? Le terme est si répandu et si ancien qu’il n’est pas envisageable d’en proposer un recensement à proprement parler. Afin, néanmoins, de cerner les contours et les principales déterminations de cette notion, nous procéderons d’abord à trois exercices, qui traceront autant de chemins dans le champ de la nouveauté.

Le premier exercice sera d’ordre linguistique : nous y considérerons brièvement l’étymologie et la constitution du vocabulaire de la nouveauté. Le second exercice se concentrera sur la pluralité des sens et connotations de l’élément de nouveauté dans un même cas, soit celui du Nouveau Monde, qui nous permettra d’apercevoir plus concrètement la variété et la circulation des sens de la nouveauté. Le troisième, enfin, consistera à approcher la notion de nouveauté de manière analytique. Ce parcours initial fera ressortir le fait que le complexe sémantique de la nouveauté se laisse lier, de manière très générale, en fonction d’un rapport de différence avec le passé, et d’un élément de puissance d’avenir.

Exercice linguistique : étymologie et lexicographie

La notion de nouveauté n’a elle-même rien de nouveau. Le vocabulaire du nouveau dérive de racines anciennes qui sont, depuis les origines, associées aux principaux sens qu’on lui prête aujourd’hui, allant du jeune à l’extraordinaire, en passant par le simple ajout. La nouveauté est d’emblée de l’ordre d’un positionnement temporel, elle est liée à ce qui est récent, soit ce qui s’est récemment produit ou qui est d’apparition récente. De ce point de vue, l’étymologie ne révèle pas tellement de significations oubliées ou de parentés improbables. Néanmoins, elle permet de prendre en vue les différents sens dont se charge la nouveauté, et d’apercevoir la manière dont cette idée prend forme, à travers les oscillations, les échanges sémantiques et lexicaux, ainsi que les appropriations et contaminations, et ainsi d’esquisser un parcours qui mette en lumière ses principaux axes sémantiques.

Étymologie

On peut ainsi remonter jusqu’à la racine indo-européenne neu̯os, que l’on retrouve notamment dans le sanskrit nava, désignant ce qui est nouveau, frais, récent, jeune. Cette racine est parente de nū̆-, qui veut dire « maintenant » (comme dans le grec ancien νῦν, ou l’allemand nun),19 par quoi on reconnaît une proximité entre le récent et l’actuel. Le sanskrit

nutana signifie ce qui est actuel, ce qui concerne le présent ou l’aujourd’hui, ainsi que ce qui

est nouveau, jeune, récent, mais aussi l’étrange et l’inhabituel. Nous reconnaissons d’emblée des orientations aujourd’hui familières de la nouveauté, mais aucune ne ressort comme une catégorie dominante ou une racine première. L’actuel, le jeune, et l’inhabituel, partagent un « air de famille »20 plus ou moins marqué avec l’idée générale du récent, sans toutefois se

présenter comme un tout homogène.

Au regard de cette diversité sémantique, l’héritage grec est particulièrement intéressant, puisque les différents sens que nous concentrons aujourd’hui dans le terme de nouveauté y sont autrement inscrits dans la langue. Ainsi, l’adjectif νέος exprime le jeune, le récent, de même que l’étrange et l’inattendu, ou en général le changement, petit ou grand. Étant positivement ou négativement connoté selon le contexte, il peut aussi bien évoquer la jeunesse et la fraîcheur qu’un récent malheur. Le mot a donc un sens assez large, mais il désigne souvent ce qui est jeune, particulièrement en parlant de personnes, comme on le voit dans les formes substantivées telles que οἱ νέοι, qui signifie « les jeunes », et νέοτης, qui désigne la jeunesse, et par suite la « fougue ou témérité de la jeunesse ». Pierre Chantraine, dans son Dictionnaire étymologique de la langue grecque, explique à ce sujet que νέος fait plus de place à la dimension de la jeunesse que ne le font les mots de la même racine dans les autres langues, le grec ne disposant pas par ailleurs d’un équivalent du latin juvenis (jeune).21

19 Julius Pokorny. Indogermanisches Etymologisches Wörterbuch. Bern; München: Francke, 1959, p. 769 ;

Pierre Chantraine. Dictionnaire étymologique de la langue grecque : histoire des mots. Tome III. Paris: Klincksieck, 1974, p. 746.

20 Nous faisons ici référence à la notion wittgensteinienne désignant des rapports de ressemblance entre des

éléments qui demeurent pourtant irréductibles à une véritable unité conceptuelle ou réelle.

Or la notion du nouveau telle que nous la connaissons n’hérite pas uniquement de νέος. Elle puise aussi dans la notion grecque de καινός, signifiant « nouveau, nouvellement inventé, qui innove, inattendu », ou encore « étrange, extraordinaire ».22 Le terme recoupe à

certains égards le sens de νέος : les deux mots peuvent prendre le sens de l’inattendu ou de l’extraordinaire et ainsi s’appliquer à l’invention ou à l’initiative, et les révolutions politiques, par exemple, sont tour à tour désignées par l’un et l’autre terme.23 Une différence importante

les sépare cependant, du fait que seul νέος désigne la jeunesse et s’applique à des êtres vivants, et que καινός s’applique beaucoup plus spécifiquement à l’ordre des « premières fois ».24 Les formes verbales marquent assez clairement cette distinction. Ainsi νεόω a le

sens de « renouveler » alors que καινόω signifie « créer du nouveau, inventer, innover » ou « inaugurer ».25 Le καινός s’oppose le plus souvent au παλαιός, terme général désignant

l’ancien, ce qui existe de longue date, qui remonte à autrefois, ou encore le vieux, en parlant de personnes âgées, de choses désuètes, ou encore de vins. Ceci étant dit, les distinctions ne sont pas parfaitement tranchées, et ces termes sont ailleurs mis en rapport avec le νέος, qui est parfois l’opposé du παλαιός, un usage que Chantraine repère notamment chez Homère.26

Le νέος s’oppose plus naturellement au γῆρας, qui désigne le vieux, ce qui concerne le vieillard, et au γέρων, terme proche indiquant la part d’honneur réservée aux aînés, ce qui s’oppose aussi à l’impétuosité des νέοι. Il s’oppose aussi à l’ἀρχαῖος, désignant l’archaïque ou le primitif.

Le caractère distinct de καινός apparaît toutefois clairement dans certains cas exemplaires. Ainsi, dans l’Apologie de Socrate de Platon, Socrate affirme qu’on l’accuse de créer des divinités nouvelles à la place des anciennes, celles-ci étant respectivement

22 Anatole Bailly. Dictionnaire grec-français. Paris: Hachette, 1901, p. 450.

23 Par exemple, dans ce passage d’Hérodote, le terme de nouveauté a un sens péjoratif :

« εἰ δέ τις τοὶ ὄψις ἀπαγγέλλει παῖδα τὸν ἐμὸν νεώτερα βουλεύειν περὶ σέο, ἐγώ τοι παραδίδωμι χρᾶσθαι αὐτῷ τοῦτο ὅ τι σὺ βούλεαι ». Ici, le mot « νεώτερα » prend un sens péjoratif, et désigne une conspiration ou une révolution redoutée. (Histoires, livre 1, chap. 210.)

24 Chantraine, notamment, précise que καινός est « franchement distinct de νέος qui peut se dire d’êtres vivants

et signifier "jeune" ». (Chantraine, Tome II, p. 479.)

25 Assez proche, le verbe καινίζω signifie « faire une chose pour la première fois, innover, inaugurer » ou « faire

quelque chose de nouveau, d’inusité, d’étrange ». (Bailly, p. 450.) On a aussi le composé καινοτομέω, initialement relatif au creusage des mines, qui signifie « ouvrir une nouvelle voie », d’où dérive le sens de « inventer, innover », et par abstraction est aussi appliqué au fait d’innover dans l’État, de faire une révolution politique. (Chantraine, Tome II, p. 479.)

désignées comme καινά et παλαιά, l’opposition impliquant alors la question de l’ancienneté et de la légitimité. Plus encore, le caractère distinct de καινός n’est sans doute nulle part plus apparent que dans la dénomination grecque de l’Ancien Testament (Ἡ Παλαιὰ Διαθήκη) et du Nouveau Testament (Ἡ Καινὴ Διαθήκη), ou le καινός marque clairement un événement décisif, où la nouveauté chrétienne se démarque d’un ordre ancien. Nous remarquons en effet que dans ces deux cas, la désignation de la nouveauté implique d’emblée la question des valeurs et de la légitimité.

La distinction entre le νέος et le καινός, sauf dans le cas de quelques termes spécialisés, ne se maintient cependant pas dans la lignée latine, qui ne conserve que la racine νεό-. Cependant, plusieurs langues modernes expriment par des termes distincts ces différents sens que les langues latines concentrent dans le lexique du nouveau. Ainsi, par exemple, le grec moderne conserve la racine καινo-, une innovation étant alors appelée καινοτομία, et le russe exprime par des mots tout à fait différents ce qui a trait au récent, au moderne, d’une part, et ce qui a trait à la jeunesse, à la vitalité et à la fraîcheur d’autre part.27

Cela fait donc ressortir une distinction entre deux grands « pôles » de la nouveauté : la jeunesse, la vitalité d’un côté, et les premières fois de l’autre. Peut-être serait-il souhaitable de restaurer dans notre langue de semblables démarcations, qui à tout le moins apparaissent indirectement à travers la vaste gamme des termes utilisés comme synonymes de la nouveauté. Plus encore, loin d’être parfaitement disparue du vocabulaire, cette polarité s’est cristallisée, dans l’usage moderne, à travers les formes verbales préfixées, telles que rénover et innover.

Comme nous l’avons mentionné, une certaine circulation a bien lieu, dans le grec ancien, entre les deux ordres de nouveauté, et le νέος sert souvent à exprimer l’innovation. C’est que, malgré tout, une certaine logique ressort de ce mariage. Chantraine explique d’ailleurs que la racine de καινός se rapporte probablement elle aussi, de manière plus

27 Le russe exprime différemment la nouveauté du Nouveau Testament (Новый завет) et celle du vin nouveau

(молодое вино), recourant selon les cas à des mots différents pour exprimer ce qui est jeune, récent, frais (молодой), ce qui est vigoureux ou vivifiant (свежий), et ce qui est neuf ou moderne (новый) – ce dernier se rattachant à la même racine que « nouveau ». (Voir par exemple, Pauliat, Paul. Dictionnaire français russe. Mars. Paris: Larousse, 1991, p. 278.)

lointaine, à une idée de jeunesse.28 Cela souligne une véritable parenté de sens entre ces idées

pourtant différentes de jeunesse et d’innovation, parenté fondée sur l’idée générale du récent, du commençant. Ces différentes orientations sémantiques se rejoignent bel et bien dans l’usage.

Ainsi, la racine καινo- n’étant pas préservée dans le latin, les sens qui lui étaient associés sont absorbés par le terme novus, dérivé de νέος, dont il reste sémantiquement proche. Novus veut dire « neuf », « ce dont on n’a pas l’habitude », qui est « étranger, singulier », ou encore de ce qui est « autre, second », ainsi que ce « qui est varié, qui se renouvelle ». Le sens du « jeune » y est, comme nous l’avons mentionné, largement pris en charge par le lexique du juvenis, mais il y conserve une présence significative, notamment dans le contexte agricole. Le terme s’applique ainsi à ce qui est jeune ou frais, par exemple le vin nouveau (novum vinum) ou le printemps nouveau (novum ver).29 Mais il s’applique

particulièrement aux personnes, aux choses et aux événements, auquel cas il penche vers le sens du καινoς. Ainsi, par exemple, la locution res novæ désigne des changements politiques, ou même une révolution. La locution tabulæ novæ désigne l’abolition des dettes, par l’ouverture d’un nouveau livre de comptes.30 Cela évoque d’ailleurs le sens initial de la

locution française « à nouveau », originellement un terme bancaire signifiant « sur un nouveau compte »,31 par quoi on retrouve l’idée, chère à l’esprit moderne, de repartir à zéro,

de faire « table rase », d’abolir symboliquement les dettes envers le passé. Mentionnons enfin la notion intéressante de l’homo novus dans la cité romaine. Il s’agit d’un homme d’origine plébéienne ayant pourtant accédé à des fonctions de haute magistrature – comme ce fut le cas de Cicéron. Cet homme est alors l’initiateur de la noblesse de sa famille, et en ce sens, devient symboliquement le premier d’une lignée. Cela se traduit notamment dans l’interdiction où se trouve l’homo novus de posséder des masques de ses ancêtres, un privilège réservé aux nobles, et dont ne pourront jouir que ses descendants après sa propre mort. La novitas concerne donc une sorte de statut social et politique transitoire dans la hiérarchie de la cité,

28 Chantraine, Tome II, p. 480.

29 Félix Gaffiot et Pierre Flobert. Le Grand Gaffiot : Dictionnaire Latin-Français. Paris: Hachette, 2000. p.

1054.

30 Ibid.

31 Cet usage est daté du XIXe siècle. Alain Rey (dir.). Dictionnaire historique de la langue française. Tome 2.

qui se situe entre le noble et le non-noble, entre la nobilitas et l’ignobilitas, et qui constitue un honneur en même temps qu’il inspire la réticence envers le « parvenu ».32

Outre ce cas particulier, novus se définit généralement par opposition aux adjectifs

antiquus, priscus et vetus.33 L’antiquus désigne ce qui est ancien, qui existe depuis

longtemps, ou n’existe plus. Le priscus désigne ce qui concerne les premiers temps, les temps anciens, ce qui n’existe plus aujourd’hui, ayant parfois la connotation du suranné et de l’austère. Le vetus désigne ce qui est vieux, usé, défraîchi, en somme ce qui est détérioré par le temps, mais il désigne aussi celui qui est expérimenté et habile, auquel cas les connotations se renversent.

Le latin dispose par ailleurs de formes verbales variées pour exprimer l’apparition ou la production de nouveauté. Les formes novo, renovo, renovello et innovo, se conservent toutes, d’ailleurs, dans l’usage moderne, bien que les sens se soient quelque peu transformés. Ces verbes, en latin, peuvent tous prendre le sens général de « rendre nouveau », de « renouveler », les sens de l’invention et du changement profond étant plutôt portés par le verbe, plus large, novo. En effet, le latin innovo n’a pas, à l’origine, le sens fort de l’introduction de l’inédit qu’on lui confère plus tard, mais prend le sens de « renouveler ». Certaines nuances, toutefois, distinguent ces termes, notamment celui de renovo, qui est plus chargé et plus large, et prend le sens général de ce qui revient, de ce qui recommence, mais s’applique aussi à la réitération de paroles, ou même à la reprise des auspices dans des cas litigieux. Le terme a également le sens spécifique de la restauration, de la remise en état – ce qui est aussi le sens dominant, mais non exclusif, de son équivalent moderne. Le renovator est ainsi « celui qui répare », ou le « restaurateur ».34 La renovatio a d’ailleurs, après

l’Antiquité, pris ce sens historique de la restauration d’une grandeur politique et culturelle, dans les multiples revendications de la renovatio imperii au Moyen Âge. C’est aussi le même terme latin qui est plus tard utilisé par certains lettrés pour désigner la Renaissance,

32 William Smith (éd). Dictionary of Greek and Roman Antiquities. vol. 2. Boston: Longwood Press, 1977,

p.798-799. Voir aussi Harry Thurston Peck. Harper’s Dictionary of Classical Literature and Antiquities. New York: Cooper Square Publishers, 1962, p. 1100-1101.

33 F. Balsan, Étude méthodique du vocabulaire latin-français, Paris, Hatier, 1941, p. 327-328. 34 Gaffiot, p. 1361.

initialement désignée Rinascità ou Rinascimento en italien.35 Mais le terme de renovatio, à

cette époque, était fortement attaché à la Réforme, qu’il désignait plus souvent, et dont l’esprit combinait le retour à l’origine et la seconde naissance (le baptême, par exemple, étant

regeneratio, ou seconde naissance).36

La langue moderne est plus précise de ce point de vue, et les verbes équivalents, soit

nover, rénover, renouveler et innover, reçoivent graduellement des sens plus spécifiques. La

forme simple nover est d’usage très rare, sauf dans les domaines juridique et financier.

Rénover et renouveler (dérivant respectivement de novus et de novellus), comme le reflète la

particule itérative re-, expriment bien l’idée de rendre nouvelle une réalité déjà existante, où la nouveauté se marie à l’idée du retour. Dans l’usage moderne, rénover prend plus spécifiquement le sens de restaurer, de rétablir quelque chose à son état initial, particulièrement un artefact à réparer, alors que renouveler prend le sens général d’un recommencement, signifiant le remplacement de quelque chose, ou s’appliquant à des ententes contractuelles ou encore aux cycles naturels.37 Ce dernier sens est toutefois plutôt

pris en charge par le terme « renouveau », qui évoque plus clairement les renaissances, le printemps, le retour de la vie.38 Ces formes itératives de la nouveauté se distinguent ainsi

clairement de l’innovation, associée à l’introduction d’idées inédites, à l’invention, à la création.

Quant à la forme adjectivale actuelle de « nouveau », sa racine la plus directe n’est pas

novus, que l’on traduit en français par « neuf », mais le diminutif novellus.39 Ce dernier est

généralement utilisé pour désigner ce qui est jeune, particulièrement les animaux et les

35 Dictionnaire historique de la langue française, tome 3, p. 3172.

36 Louis Quicherat. Dictionnaire Latin-Français. Paris: Hachette, 1916, pp. 1169 et 1178.

37 Cette répartition de sens spécifiques est attestée historiquement par le Robert historique de la langue française,

qui dans l’article « Rénovation » indique : « Lors du partage de sens entre rénovation et renouvellement, le premier n’a conservé que le sens de "fait de redonner tout sa force à ce qui a été affaibli, de rétablir un être déchu de son intégrité" (fin XIVe s.). Il s’est répandu dans l’usage courant pour "remise en état (d’un bâtiment,

d’un local)" (v. 1490). Comme rénovateur, le mot a pris vers 1985 une valeur politique, désignant une réforme visant à renouveler et rajeunir un parti. » Dictionnaire historique de la langue française, tome 3, p. 3178.

38 « Le déverbal RENOUVEAU n. m. (v. 1200, renouvel) a pris à renouvellement le sens de "renaissance de la

végétation, retour à la vie" qui en fait par métonymie une désignation du printemps (v. 1480). Avec une valeur plus générale, il empiète sur l’aire d’emploi de renouvellement tout en insistant sur l’idée de regain de vigueur (1280), mais cède presque toujours à son concurrent le sens neutre d’ "action de remplacer". » Ibid., tome 2, p. 2402.

plantes, de sorte qu’il apparaît à son tour surtout dans le domaine de l’agriculture. Le substantif novella, par exemple, désigne une jeune vigne ou un jeune plant. Initialement secondaire par rapport à novus, novellus en viendra pourtant à le supplanter dans l’usage et à en absorber les sens.40 De cette version tardive d’un novellus élargi dérive le français novel,

qui devient nouveau autour du XIIIe siècle. Le mot « nouveau », comme ses dérivés, absorbera, pour l’essentiel, la plupart des significations que nous venons de rencontrer, et que l’usage favorise diversement selon les contextes et les époques.

Dans ce « nouveau » du français, donc, la dimension de jeunesse ressort encore une fois particulièrement dans le contexte agricole. Ainsi, vers le XIIe siècle, le substantif « nouveau » désigne une terre nouvellement défrichée, selon un usage qui se rapproche du latin novalis (la jachère), ou même du substantif grec νεός.41 Ce thème de la jachère,

durablement associé à l’idée de nouveauté, fait ressortir la dimension de régénération et de restauration, par quoi celle-ci ne se limite pas à une situation temporelle (le récent), mais, dans le contexte biologique, reflète un état relatif à cette dernière, soit un état de vitalité, de fécondité, qui continue de connoter l’idée de nouveauté, de manière à la fois littérale et figurée. Mais plus généralement, « nouveau » s’applique aussi bien aux personnes qu’aux choses, aux événements et aux vivants. Il signifie ce qui est récent, soit ce qui est jeune ou qui est récemment créé ou apparu, ce qui succède ou remplace une chose semblable, comme la nouvelle année, ou encore, qui évoque une autre réalité semblable – comme lorsque l’on parle de la nouvelle Athènes ou du nouvel Adam –, et bien sûr ce qui est inédit, original, inattendu. Ainsi, à l’époque classique, « nouveau » est notamment utilisé comme synonyme de « surprenant ».42

Ce sens se rapproche de l’anglais novel, distinct du terme plus général new. L’anglais conserve en effet la paire novus-novellus, bien qu’il renverse en quelque sorte les rapports d’origine : novel est plus spécifique et est réservé à l’inhabituel, au différent, à l’étrange,

40 Ibid. Cette transformation est datée de la basse époque impériale.

41 Chantraine explique que ce terme désigne une terre en jachère, et que sa forme dérive d’une contamination

avec la famille de νειός. (Chantraine, Tome III, p. 745.)

comme on le retrouve par exemple dans les inquiétants récits d’Edgar Allan Poe.43 Ici ressort

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