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Troisième chapitre : La découverte du terrain et des enjeu

B- Nouvelles pratiques

L'abandon des prérogatives techniques

Les premières directives de la commission du CNR pour les CDL portent sur les domaines techniques, sur la presse et le ravitaillement679. Dans ces deux domaines, le

particularisme parisien fait que des organismes indépendants du CPL traitent déjà de la question. Si les problèmes de la presse sont totalement délégués à la Fédération de la presse clandestine, pour le ravitaillement, le CPL est tenu au courant. L'analyse technique des stocks et de la distribution, les mesures conservatoires à prendre, sont le fait de Pierre Miné, dit Pain, le responsable national délégué par le CFLN pour ce délicat secteur. Roger Deniau, délégué chargé du ravitaillement intervient régulièrement à ce sujet au bureau, ainsi que les autres membres, mais dans le sens de l'agitation populaire autour des pénuries, complémentaire du plan technique dont les CDL ont normalement la charge, mais dont le

673 AN, 397AP/10 rectificatif du 13 avril de l'instruction du 11 avril.

674 AN, 397AP/10 CNR, Commission des CDL, instructions aux CDL, Municipalités, 11 avril 1944 675 AN, 397AP/10 Ibid.

676 MRN, 14/ATOL/1 Procès-verbal de la 20e séance, 7 avril 1944

677 MRN, 14/ATOL/1 Ibid. 678 MRN, 14/ATOL/1 Ibid.

CPL est dépossédé.

Les autres directives techniques concernent les relations avec le Comité d'action contre la déportation (CAD), le Noyautage des administrations publiques (NAP), et l'épuration. Cette dernière question, bien qu'elle soit très peu apparente dans les procès-verbaux du CPL, est d'une grande acuité au sein de la commission des comités de libération680 et fait l'objet de

deux directives, les 11 avril et 15 mai681. Les directives distinguent deux types d'épuration :

celle des fonctionnaires trop zélés de Vichy et celle des traîtres. L'idée générale est que le CDL doit pouvoir être en mesure d'identifier les personnes dont le maintien en place serait une menace pour le succès du mouvement libérateur, qu'il faut donc mettre hors d'état de nuire le plus rapidement possible. Le personnel administratif et les policiers sont les plus susceptibles d'être arrêtés, en raison de leur capacité de nuisance supposée plus grande. L'instruction du 11 avril 1944 demande aussi le remplacement de toutes les chambres de commerce. Le rôle du CDL est de préparer et faciliter la tâche du préfet. Celle du 15 mai 1944 demande de mettre hors d'état de nuire dès que possible, miliciens, policiers, dirigeants de la collaboration, membres des cours martiales, ainsi que les « individus à l'attitude et aux discours scandaleux au cours des derniers mois »682, et, pendant la période insurrectionnelle,

de s'occuper des traîtres avérés. Ensuite, jusqu'à l'installation du préfet, c'est le CDL qui est chargé, « sous la responsabilité de son président, de conduire les arrestations prévues »683.

Lourde charge que le CPL met pourtant de côté, et laisse le champ libre au NAP, et aux comités de libération des administrations et des ministères, sur lesquels il n'a que peu d'autorité. Le CPL est même assez discret dans sa dénonciation des traîtres. Ses appels publics abordent assez rarement le sujet au printemps 1944, sauf occasion exceptionnelle, comme la visite du maréchal Pétain en avril. À cette occasion, les rumeurs selon lesquelles le gouvernement pourrait se déplacer de Vichy à Paris font dire au CPL que naît « l'espoir pour les patriotes d'être ceux qui, le jour venu pourront mettre la main au collet des traîtres afin de les déférer à la justice du pays libéré »684.

680 Francis-Louis CLOSON, Le temps des passions, op. cit., p. 164.

681 AN, 397AP/10 Instruction de la commission des CDL, 11 avril 1944, Épuration des collectivités locales et CNR, commission des CDL, Instructions aux CDL, concernant les arrestations, 15 mai 1944

682 AN, 397AP/10 Commission des CDL, Instructions aux CDL, concernant les arrestations, 15 mai 1944 683 AN, 397AP/10 Ibid.

L'aire géographique du CPL en question

La structuration des cadres départementaux et municipaux de la Résistance oblige à déterminer clairement quelle est l'aire géographique du Comité parisien de la libération. Certes, il est un comité départemental de libération, certes, il s'adresse surtout à la population parisienne, cependant, une équivoque existe tant que les comités de Seine-et-Marne et de Seine-et-Oise ne sont pas constitués. Même après leur constitution685, le destin du CPL est lié

à celui des départements voisins de la Seine. Dès octobre 1943, Jacques Bingen propose de créer un comité commun aux deux autres départements de la région parisienne, composé « du bureau permanent du Comité de la Seine, auquel on adjoindrait 2 délégués de S&M et 2 délégués de S&O »686. De son côté, le CPL, en décembre 1943, émet l'idée d'organiser une

réunion constitutive du CDL de Seine-et-Marne687, et prend des « dispositions pratiques »688

pour ce département et celui de Seine-et-Oise puis charge le représentant du FN de préparer une réunion plénière d'un comité pour la Seine-et-Oise, au mois de janvier. Là encore, la gestation est longue, et c'est la commission des comités départementaux qui reprend le travail, au début de l'année 1944. Pour Francis-Louis Closon, il faut « éviter la constitution d'un Comité du Grand Paris »689, qui serait une concurrence pour le CNR. Il s'attache donc à

la constitution de deux CDL, malgré la mauvaise volonté où l'incapacité des mouvements. Le CPL est quand même tenu au courant des discussions, et certains membres du bureau font pression pour amender la composition des comités :

Les "Trois" ont laissé entendre que l'on ne pourrait écarter des comités de SM et SO les organisations agissantes qui existent dans ces départements.690

Quand le CDL de Seine-et-Marne se réunit enfin, le représentant du CFLN l'annonce aussitôt au bureau691. Cette proximité s'explique en partie par l'organigramme des

mouvements. André Carrel est le responsable du FN pour les trois départements, tout comme

685 Le CPL continue de recevoir des résolutions de comités de toute la région parisienne, et pas uniquement du département de la Seine, par exemple d'Achères-sur-Seine et de Sevran en juin 1944 (CHSP, PA/6) 686 AN, F1a/3728 Lettre de Verdon à André Philip du 27 octobre 1943

687 MRN, 14/ATOL/1 Procès-verbal de la 6e séance, [3 décembre 1943]

688 MRN, 14/ATOL/1 Procès-verbal de la 8e séance, s.d.

689 AN, F1a/3728 Rapport n° 4 de Fouché, avril 1944

690 AN, 72AJ/1902/CPL Vincent à Rabaud, note A/S de la réunion du CLRP dans la semaine du 26 février au 4 mars [1944]

Léo Hamon pour CDLR, ce dernier siège également de façon éphémère à la fois au CPL et au CDL de Seine-et-Oise, en mai 1944692. Il doit également prendre position quand un différend

éclate au sujet de la composition du CDL de Seine-et-Marne693, différend qui remonte

jusqu'au CNR. La création des FFI est également source de confusion, autant pour les acteurs que pour les observateurs et oblige le CPL à envisager son territoire autrement, car les frontières militaires ne sont pas forcément les mêmes, et il doit s'adapter. En janvier 1944, la région dite « P », également appelée Condé, est une grande région divisée en quatre circonscriptions : P1, qui regroupe Paris et la Seine, P2, la Seine-et-Marne, la Seine-et-Oise et l'Oise, P3, l'Eure-et-Loir, le Loiret, le Loir-et-Cher et la partie nord du Cher, P4 l'Yonne, l'Aube, la Nièvre, et la partie nord de l'Allier694. Le CPL, CDL de la Seine, est naturellement

proche de l'état-major de la région P1. Pierre Lefaucheux est le commandant de la région P1 entre mars et juin, ce qui facilite le contact. Pendant ce temps, c'est Jacques Piette, puis Marie-Hélène Lefaucheux, qui font la liaison entre le bureau et l'état-major. Au même moment pourtant, André Carrel et André Tollet ont eux des relations suivies avec les éléments FTP, qui disposent de leur propre organigramme, et même avec Henri Rol-Tanguy, le responsable du 3e bureau de la région Condé695. De plus, le commandement FFI de Condé et

de P1 est bouleversé par les arrestations jusqu'en juin, il est donc difficile de nouer des relations suivies. Condé est d'abord dirigée par Roger Coquoin, puis par Pierre Pène. Quand ce dernier est arrêté, en mai 1944, une longue négociation a lieu pour connaître sa succession, et même la nécessité de conserver un état-major régional. Il semble que se reproduit exactement pour les FFI la problématique de la création du CPL, sur la nécessité de créer des structures locales proches du centre de décision. Finalement, sur l'insistance des FTP, l'échelon régional est conservé696, bien que réorganisé avec la fusion de P1 et P2. C'est Rol,

membre de l'état-major régional depuis sa création, qui est nommé. Ce changement fait passer l'action armée à l'échelle de la région.

Transformation des pratiques du bureau

Les nouveaux cadres influent également concrètement sur les pratiques du bureau du CPL, bien que son activité ne semble pas rythmée par l'analyse et l'application de ces textes.

692 AN, 72AJ/42 Journal de Léo Hamon, p. 114 693 AN, 72AJ/42 Ibid., p. 148

694 Roger BOURDERON, Rol-Tanguy, Paris, Tallandier, 2013, p. 242.

695 Ibid., p. 243. 696 Ibid., p. 248.

On en trouve quelques mentions dans les procès-verbaux, parfois très longtemps après leur adoption697. Pourtant, pour l'action immédiate et les comités locaux, les recommandations

contenues dans les textes de la commission du CNR pour les CDL sont scrupuleusement respectées. Deux commissions spécifiques sont créées dans le courant du mois d'avril et cette création est bénéfique pour l'action du CPL, qui se concentre encore plus sur ces deux questions. Il n'empêche que l'opposition entre la dynamique et l'organigramme continue, mais sous une autre forme. La césure entre ces deux visions de la résistance, divisées par les pratiques se reproduit dans la répartition des commissions. Francis-Louis Closon remarque que cette répartition est assumée, au moins par les « représentants de la tendance communiste »698, qui ont la majorité dans les commissions du CAD, des comités locaux et de

la presse, tandis que « les représentants de l'autre tendance sont invités à s'intéresser plus spécialement au NAP et au ravitaillement »699. Par ailleurs, la mise en place des commissions,

qui introduit de l'efficacité dans les pratiques du CPL, enlève au bureau certaines prérogatives. La constitution d'une vraie commission de la presse enlève à André Carrel la responsabilité personnelle de la rédaction du Patriote parisien700.

La répartition des tâches entre les membres du bureau est abandonnée, au profit d'un réflexion collective, qui intègre aussi les organisations non membres du bureau. La commission des CLL prend ainsi complètement en charge la question, qui n'est plus traitée par le bureau. Autre changement manifeste, l'infléchissement voulu par le CNR vers l'action immédiate et le resserrement des liens avec la population se fait sentir très fortement au sein du bureau. Au mois d'avril 1944, André Tollet relate l'« action des boulangers dans différents quartiers et banlieues »701, une action publique sur les difficultés du ravitaillement. Il propose

d'appuyer cette démarche en envoyant un représentant du CPL accompagner une délégation de boulangers « qui doit être reçue par le préfet de la Seine »702. Il ne s'agit pas, comme au

cours de l'hiver, d'essayer de trouver un terrain d'entente avec les autorités actuelles, mais bien d'être à l'avant-garde du combat pour les questions matérielles. Le CPL met également en œuvre les préceptes du CNR en utilisant l'intensification des bombardements alliés à partir

697 La directive sur les municipalités du 11 avril est évoquée au bureau du CPL le 23 juin, à la 28e séance

(MRN, 14/ATOL/1 Procès-verbal de la 28e séance, 23 juin 1944).

698 AN, 72AJ/1902 Vincent à Rabaud, note A/S de la réunion du CLRP dans la semaine du 26 février au 4 mars [1944]

699 AN, 72AJ/1902 Ibid. 700 AN, 72AJ/1902 Ibid.

701 Henri DENIS, Le Comite parisien de la Liberation, op. cit., p. 199. Procès-verbal de la 21e séance, avril

1944 702 Ibid.

d'avril 1944. Deux idées sont avancées703. André Carrel propose de noyauter le Comité

ouvrier de secours immédiat (COSI), organisme de soutien aux victimes des bombardements soutenu par le RNP et le PPF, les principaux partis collaborationnistes. Roger Deniau reprend quant à lui une idée d'André Tollet, l'organisation de comités de sinistrés, dans la droite ligne de ce que demande le CNR. La création de comités de base, tout comme la multiplication de textes dénonçant l'incurie des autorités est un moyen de remplir l'objectif, et permet également à la Résistance d'avoir un discours cohérent sur l'épineux sujet des bombardements.

La recherche du soutien d'une grande majorité de la population amène également le CPL à s'intéresser un peu plus à l'opinion publique. Les frémissements de celle-ci, que le CPL analyse comme les prémices d'une opposition ouverte à Vichy et aux Allemands, sont l'objet de plus d'attention. La visite du maréchal Pétain à Paris est mentionnée au bureau du CPL pour mettre en avant la digne réaction de rejet des Parisiens. Le CPL se félicite aussi du fait que, à la fin du mois d'avril, le général Puaud, le commandant de la LVF a reçu un accueil « d'un froid glacial »704 dans les usines de la région parisienne dont il a fait la tournée705. Que

Jean Bichelonne et François Chasseigne, respectivement ministres de la Production industrielle et secrétaire d'État à l'Agriculture et au Ravitaillement, aient été « conspués et durent sortir »706 dans une usine de Levallois est aussi pour le CPL une indication qui montre

que le travail fait par la Résistance porte ses fruits707.

Dernière évolution, il semble qu'on assiste enfin à la prise de conscience, de la part des représentants de l'OCM, Libération et CDLR, du rôle qu'ils peuvent jouer au CPL. Il est plus facile de s'appuyer sur les directives d'une autorité reconnue par tous pour aborder certains sujets. Cette autorité est un garde-fou, autant qu'un stimulant. Le 31 mars, Roger Deniau « estime que le CPL devrait se pencher plus particulièrement sur les questions pratiques et regrette que l'on passe trop de temps sur les questions générales »708. À la séance suivante,

c'est Henri Bourdeau de Fontenay qui se trouve d'accord avec Albert Rigal pour convenir

703 Ibid.

704 MRN, 14/ATOL/1 Procès-verbal de la 22e séance

705 Le Matin, n° 21780, 29, 30 avril et 1er mai 1944

706 MRN, 14/ATOL/1 Procès-verbal de la 22e séance

707 Le journal clandestin La Marseillaise, n° 10, de mai 1944 (MRN, 1/29), édité par le Front national relate les mêmes événements que le CPL et ajoute « Et si le Maréchal félon n'est pas satisfait, qu'il demande au Maire du XXème arrondissement par exemple ce que pensent de lui les ménagères de Ménilmontant et de Belleville ; ou bien qu'il téléphone – il aime tellement ça – à son valet Barthélémy qui lui donnera avec plaisir la température de nos métalos de Puteaux ».

qu'il faut se « soucier avant tout de la lutte immédiate et l'insurrection nationale »709, et qui

livre, pour le deuxième numéro du Patriote parisien, un projet d'éditorial, qui est un début d'adaptation parisienne du programme d'action du CNR. Il invite les Parisiens à lutter, au sein des comités locaux, « à tous les échelons sociaux »710 et de toutes les manières possibles, « de

l'action militaire à l'action revendicative, de l'action à l'amélioration du ravitaillement à l'action pour du courant »711 , et quotidiennement :

Parisiens, que pas une de vos journées ne s'écoule sans que vous ayez participé à une action de résistance.712

C- Dessiner les contours de l'action militaire à Paris