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Le CPL, un comité à part dans l'organigramme de la Résistance A Entre CFLN et CNR

Deuxième chapitre : Les pratiques de la coordination de la Résistance parisienne

C- Mobiliser la population

3- Le CPL, un comité à part dans l'organigramme de la Résistance A Entre CFLN et CNR

Le processus d'organisation de la Résistance parisienne par la Délégation générale du CFLN qui a abouti à la création du comité parisien n'est pas terminée, loin s'en faut, avec sa création. Celui-ci, nous l'avons vu, ne bénéficie pas d'un blanc-seing pour gérer l'ensemble des affaires civiles de la Résistance départementale, les délégués généraux, aussi bien que les comités directeurs des organisations de résistance observent de très près ce qui se dit et se fait au cours des réunions du bureau. Jean Mons, représentant du CFLN et du CNR, assiste à toutes les réunions à parti du printemps 1944, après que plusieurs délégués se soient succédé avant lui. D'après Francis-Louis Closon, cette surveillance est motivée par la volonté d'éviter qu'une tendance de la Résistance ne prenne une place trop grande, car « la ville où siège le gouvernement ne peut être un fief d'aucun parti quel qu'il soit »448.

La surveillance de la Délégation générale du CFLN

À Londres et à Alger, l'intérêt pour cette question est pourtant assez mesuré, si on en croit les agents du CFLN en poste à Paris qui déplorent le manque d'instructions spécifiques jusqu'en août 1944. La priorité est donnée à la préparation militaire de la Libération et à la mise en place des cadres administratifs de la France libérée. Cela n'empêche pas les délégués généraux de faire part à leurs chefs des avantages et des réalisations du Comité. Dans son rapport de janvier, Jacques Bingen annonce ainsi à ses interlocuteurs londoniens qu'un « appel du Comité Parisien au Peuple de Paris (…) est à l'impression »449. Il demande que ce

texte, une fois qu'il sera reçu par le commissariat à l'intérieur, reçoive toute « la publicité désirée »450.

Ce qui se passe au CPL remonte jusqu'aux responsables du Commissariat à l'intérieur du CFLN. Un retour est aussi fait au CNR, et Georges Bidault assiste à une séance le 1er

juillet 1944. D'après Jacques Bingen, le président du CNR a également assisté à une séance du comité parisien, en décembre 1943 ou janvier 1944, le comité souhaitant, d'après lui,

448 AN, 72AJ/234 Note sur les problèmes politiques de la RP, 21 juillet 1944 449 AN, F1a/3728 Rapport de Cléante, janvier 1944

« marquer par ce geste son rattachement au Conseil national de la Résistance »451. On ne

retrouve aucune trace de cette rencontre et il est étonnant que le procès-verbal de séance n'ait pas fait mention de cette visite si elle a bien eu lieu. Il s'agit plus sûrement d'une entrevue entre le président du CPL et celui du CNR, mentionnée dans le procès-verbal de la 5e séance

du 26 novembre.En théorie, la commission du CNR pour les CDL doit recevoir chaque mois un compte rendu de l'action du comité452, mais cette pratique n'est pas attestée. Enfin, les

états-majors et comités directeurs des mouvements reçoivent aussi des rapports, au moins verbaux de la part de leurs délégués. Par le biais du CPL, le contact est ainsi direct et régulier entre les cercles dirigeants de la Résistance, autant voire plus qu'au CNR, où la Délégation générale n'est pas systématiquement représentée.

Dans le discours, les choses sont très claires, le CPL fait partie du dispositif établi par le général de Gaulle. Dès la 6e séance, le délégué du CFLN est nommé dans le procès-verbal

« le représentant du gouvernement »453. Cette dénomination perdure, avec quelques nuances,

jusqu'à la libération. Le général de Gaulle est un chef incontesté, garant de l'indépendance de la France. C'est pourquoi le comité souhaite la reconnaissance par les Alliés du Gouvernement d'Alger à partir de décembre 1943454. Le CPL suit de très près l'évolution de

De Gaulle face aux Alliés, il se félicite de l'entrevue Churchill-de Gaulle, du 12 janvier 1944 à Marrakech, qui permet « une plus grande compréhension par nos alliés des possibilités et du rôle de la France »455.

Les rapports de Jean Mons au délégué général sont réguliers, quand ce n'est pas un des délégués successifs (Francis-Louis Closon, Jacques Bingen, Roland Pré, Émile Laffon, Alexandre Parodi) qui se déplace. Bingen souligne d'ailleurs cette assiduité dans un de ses rapports à Londres, comme pour montrer à ses interlocuteurs le sérieux avec lequel la question parisienne est suivie sur le terrain :

451 AN, F1a/3728 Rapport de Cléante, janvier 1944

452 AN, 397AP/10 Questionnaire (en blanc), mensuel à remplir par le président ou par le secrétaire du CDL, s.d.

Cette volonté semble se dessiner à partir du printemps 1944, étant donné la teneur des question posées : Combien de comités d'arrondissement, de canton, locaux?

Contact avec les FFI? Si oui, quelles directives données? Et quels résultats? Parution d'un journal et de tracts? Exemplaires?

Résumé de l'activité (joindre les PV et les exemplaires des journaux et tracts édités) Quelles difficultés?

Quelles suggestions? Dépenses et budget.

453 MRN, 14/ATOL/1 Procès-verbal de la 6e séance, 3 décembre 1943

454 MRN, 14/ATOL/1 Procès-verbal de la 8e séance, [17] décembre 1943

Depuis le 1er décembre, après avoir manqué la première séance un cas de force majeure, j'ai assisté à chacune des séances hebdomadaires.456

De ce fait, la Délégation du CFLN sait toujours ce qui est en jeu au CPL. Il est d'ailleurs à noter que, du côté de la Délégation, le souci de contrôler l'organisation parisienne n'est pas vraiment partagé par le CFLN, qui, d'après les rapports envoyés à Londres et Alger, n'est vraiment pas pressé de donner ses directives. Ce mutisme est considéré comme la validation de la politique menée par les représentants457, et incite même la Délégation

générale à s'investir de la charge de l'organisation parisienne. En avril 1944458, Émile Laffon

fait part au commissaire à l'Intérieur de la décision de ne pas nommer de commissaire de la République pour la région parisienne. Cette décision, prise collégialement par l'ensemble des délégués généraux présents en France, n'est pas expliquée mais il est clair que le collège des membres de la Délégation présents à Paris est appelé à jouer ce rôle. Le commissaire de la République n'étant que le représentant du gouvernement dans sa région, en région parisienne, les délégués généraux remplissent ce rôle et le gouvernement, dès qu'il sera installé à Paris après la libération, sera à même d'assumer toutes ses responsabilités sur ce territoire.

Le CNR, autorité morale ou effective ?

Rien de plus normal que de soutenir le CFLN, qui représente à partir du mois de novembre 1943, avec la mise en place de l'Assemblée consultative provisoire, l'ensemble des organisations de la Résistance. Le CPL se réfère pourtant fréquemment à d'autres tutelles, en l’occurrence le CNR, comme prescripteur de ses missions. En janvier 1944 – mais les exemples sont plus nombreux–, le bureau annonce vouloir demander au CNR de « lui indiquer rapidement les dispositions à prendre pour le déclenchement et le déroulement de l'Insurrection nationale »459.

Dans ce contexte, le rôle du représentant de la Délégation est régulièrement questionné. Début juin 1944, le Jean Mons prend la parole pour préciser son rôle. Il doit « s'assurer de

456 AN, F1a/3728 Rapport de Cléante, janvier 1944

457 AN, F1a/3728, Rapport n°4 de Fouché (Francis-Louis Closon), notes sur le Comité parisien de la libération, [mars 1944]

458 AN, 72AJ/234, Rapport de Guizot au COMIDAC, 22 avril 1944 : « Quartus, le CGE et moi-même ne voyons aucune utilité à la création d'un poste de Haut-Commissaire ou de commissaire de la République en Région Parisienne. »

l'application des décisions du CNR » en région parisienne et « recueillir des informations pour l'édification du gouvernement »460. Cette mise au point est extrêmement importante, car

la position adoptée par Jean Mons répond à une situation conflictuelle au CPL, pour savoir qui parmi le CNR et la Délégation générale est la tutelle véritable du CPL. Le CNR apparaît ici en majesté, présenté comme l'instance auprès de laquelle le CPL doit en référer et dont il doit appliquer les décisions. Jean Mons personnifie l'harmonie entre le CNR et le gouvernement en étant délégué de ce dernier mais faisant appliquer les décisions du premier. Le délégué pointe régulièrement le fait que CNR et GPRF461 sont en harmonie. Pour autant, à

partir de juin 1944, certains membres du CPL, en particulier le représentant du parti communiste, n'ont eu de cesse de réclamer que le CPL renforce ses liens avec le CNR, au détriment de la Délégation, accusée d'autoritarisme dans ses décisions concernant le CPL. Cette attaque n'est pas propre au CPL, et sourd dans tous les comités de coordination. Jean Mons, dans son rapport à Alexandre Parodi, l'évoque ainsi :

Les critiques formulées contre la délégation l'ont été sur un ton vif. J'y ai répondu. Mon impression est que le bloc UD, PC, FN (le FN est cependant plus réservé) cherche querelle à la délégation. Le prétexte de l'offensive déclenchée et la désignation des préfets de la Seine à l'insu du CPL. Les causes me paraissent autres ; je crois les discerner dans le désir exprimé par le PC de voir le CNR plus actif et « seul maître en France ». Cette position n'est d'ailleurs pas particulière au CPL : je l'ai observée de plusieurs militants communistes.

Le CPL ou plus exactement les représentants de l'UD, du FN et du PC au CPL voudraient ignorer la délégation et ne traiter directement qu'avec le CNR.

C'est ainsi qu'à une proposition de rendez-vous au sujet de la désignation des préfets, fait par Lachaud [Émile Laffon] au Président du CPL, celui-ci m'a répondu qu'il voulait d'abord voir le président du CNR.462

Avant cette grave crise, que n'atténue pas vraiment la visite au CPL du président du CNR, Georges Bidault, le 1er juillet 1944, puis celle du délégué général Alexandre Parodi

quelques jours plus tard, les relations du CPL et du CNR, si elles sont fortes, n'ont pas forcément ce caractère exclusif qu'une partie des membres du CNR souhaite au mois de juin 1944. Le CPL se place à part égale sous l'égide des deux grandes institutions. Certes, le CNR

460 MRN, 14/ATOL/1 Procès-verbal de la 26e séance, [8] juin 1944

461 Le CFLN devient Gouvernement provisoire de la République française le 2 juin 1944 462 BDIC, FΔ 183221/4, Vallat à Cérat, 18-6-1944

est sollicité en ce qui concerne les questions d'actions, mais le CFLN est quant à lui régulièrement mentionné dans les textes produits par le CPL, pour des questions de principe, mais aussi pour lui soumettre un certain nombre de revendications.

Le CPL se place assez régulièrement sous l'égide du CNR, et le cite régulièrement dans ses motions et appels. Il écrit même un courrier au CNR, à la fin du mois de novembre 1943463 pour lui faire part du dynamisme de la classe ouvrière en région parisienne, qui

s'organise en Milices patriotiques, qui a manifesté en masse le 22 octobre et le 11 novembre, et demande des armes pour se battre. Par la suite, ce type de demandes est fait systématiquement au CFLN, soit par le biais de son représentant au bureau, soit par des motions464.

Le CNR, de son côté, semble craindre la concurrence du CPL. Au moins une des réunions du CNR, en novembre 1943, a lieu au même moment que celle du CPL, ce qui empêche un certain nombre de délégués d'y participer. Il est impossible d'affirmer que cette concomitance ait été voulue par le CNR, cependant les rares membres du CPL présents ce jour ne manquent pas d'en faire remarquer les conséquences fâcheuses pour le CPL :

Nous allons intervenir pour que cesse le cumul et que soit pris au sérieux le CPL.465

Deuxième fait qui tendrait à confirmer cette hypothèse, une remarque sibylline de Jacques Bingen à la fin de son rapport sur le CPL en janvier 1944 :

[Le CPL] ne fait pas preuve pour l'instant d'un très grand dynamisme ni de réelles qualités constructives, ce qui selon moi n'est pas pour déplaire au bureau du Conseil de la Résistance...466

Des courriers et des documents émanant du CNR parviennent évidemment jusqu'au CPL, ce qu'attestent les papiers de Roger Deniau, qui contiennent des échanges de courrier, ou encore des procès-verbaux de séances, mais les réunions du CPL sont rarement centrées autour de l'analyse de l'action ou des discours du CNR, à l'exception notable de la diffusion

463 AN, 72AJ/2304 Lettre au Conseil national de la Résistance, fin novembre 1943

464 Par exemple, au cours de la 22e séance, le président propose l'écriture d'une lettre au CFLN pour demander

des armes pour la Résistance parisienne (MRN, 14/ATOL/1) 465 MRN, 14/ALEG/4 Réunion du bureau du 26/11/43

du texte sur l'insurrection, à la fin du mois de mai 1944. Cependant, les mouvements de Résistance relaient les débats qui agitent le CNR à l'échelon inférieur. Par exemple, Auguste Gillot, le représentant du PC au CNR, adresse à son président, le 25 juin 1944 un courrier dans lequel il demande que soient choisis au sein de son parti des secrétaires généraux destinés à prendre en charge les ministères à la Libération. Sur cette copie figure une mention explicite :

Document transmis aux membres du bureau du CPL par le délégué du PC de la RP.467

Le CNR est aussi un lieu de débat. Ce qui est décidé au CNR fait jurisprudence. La représentation équilibrée des différentes organisations de Résistance à la libération qui est discutée dans ce courrier, trouve un écho particulier au CPL à la date à laquelle ce courrier est communiqué. C'est en effet exactement à ce moment que le président du CPL, soutenu par les représentants PC et FN, se lance dans une campagne contre la désignation des préfets effectuée sans la consultation du Comité parisien.

La commission du CNR pour les CDL est un lieu d'interpénétration entre CPL et CNR. Deux membres du CPL y sont représentés, mais sa situation particulière est rarement évoquée. Jean Mons est le président de cette commission, et Robert Salmon en est membre, au titre du Mouvement de libération nationale (MLN). Robert Salmon n'est pas membre du bureau du CPL, mais participe aux travaux de certaines commissions. Cependant, force est de constater que les directives de cette commission, qu'on retrouve pourtant dans les archives des membres du CPL468, ne sont pas l'objet de discussions spécifiques au cours des séances

du bureau du Comité parisien de la libération.

Soumis à ces puissantes tutelles dont il a du mal à s'affranchir, étant donné leur proximité, le CPL n'est pas l'incontestable organe de direction de la Résistance parisienne, si on considère que la Résistance parisienne correspond à l'ensemble du monde résistant agissant à Paris. Toutes les instances de décision sont ici, prennent leur propre décision et en

467 AN, 397AP/10, Monsieur Manin à Monsieur Jean Jacques, 25/6/1944

468 Les papiers de Roger Deniau, agglomérés dans le fonds Marie Granet (AN, 397AP/10) sont très utiles de ce point de vue. À la différence d'autres acteurs de cette histoire, le siège au CPL est la seule fonction de Roger Deniau. Ces papiers sont sans doute tous liés de près ou de loin à cette charge. Cela permet d'avoir une idée un peu plus précise de la circulation des informations, point toujours délicat dans le contexte de la vie clandestine.

réfèrent au CNR et à la Délégation générale directement. CAD, NAP, CGE, COMAC n'ont de contacts avec le CPL que pour transmettre leurs directives, qui le plus souvent arrivent au bureau par l'intermédiaire de la délégation ou d'un représentant en contact avec l'un ou l'autre de ces comités469. Le fait que le CPL ait un contact direct avec les plus hautes autorités de la

Résistance, CNR et Délégation générale est unique pour un CDL le met sur le même plan que les autres organisations citées plus haut, ce qui oblige à pondérer ce jugement. De plus, si on considère la Résistance parisienne comme un ensemble plus restreint, comme la conjonction des forces agissant localement, ayant une influence directe sur la base, dans les arrondissements et les communes de banlieue, il est évident que le CPL en est le principal inspirateur. Le tiraillement entre son ancrage national de fait et ses responsabilités départementales est bien la principale caractéristique du Comité parisien de la libération. À la croisée de deux mondes, le CPL ne choisit pas l'un ou l'autre et est à la fois un lieu où les problématiques nationales, voire internationales, de la Résistance sont évoquées, et où s'expriment les revendications de la base, dont le CPL se fait l'interprète. Ce mélange déroute, mais définit sans doute au mieux la spécificité de ce comité.