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L A NOUVELLE PREUVE DE LA CONJECTURE DE H OOKE ET L ’ HYPOTHESE DE LA PROPORTIONNALITE ENTRE ESPACES ET CARRES DES TEMPS

Dans le document Newton (Page 95-98)

Le premier théorème du De motu est le même que celui de la note de 1680 qu’on a énoncé et démontré la section V.5. Aussi le preuve est la même, mais Newton prend soin d’expliciter les présupposés dont ce théorème et ceux qui lui font suite dépendent44

. Il présente d'abord trois définitions où, sans définir la force en général, il distingue entre trois types de force : la force d'attraction dirigée vers un centre, qu'il appelle désormais « centripète » en l'honneur de Huygens ; la force inhérente (insita, en latin), connue aujourd'hui comme force d'inertie ; et la résistance due à l'opposition d'un moyen. Il avance ensuite, à coté du principe d'inertie et de la loi du parallélogramme, une « hypothèse » nouvelle qui lui permet de simplifier sa preuve de la conjecture de Hooke : au tout début d'un mouvement dû à n'importe quelle force centripète, les espaces parcourus sont proportionnels aux carrés des temps. En supposant qu’une force peut être représentée ponctuellement par la trajectoire d’un mouvement rectiligne virtuel, cela revient à supposer que cette trajectoire doit être conçue comme étant celle d’un mouvement rectiligne uniformément accéléré ; car, comme l'a montré Galilée, pour un tel mouvement (et seulement pour un tel mouvement) les espaces sont proportionnels aux carrés des temps. Or, on vient de le voir45

, c’est bien ainsi que Newton représente ponctuellement une force censée agir continuellement. Son hypothèse ne fait donc qu’éclairer la nature mécanique de cette représentation : elle rende manifeste qu’une force qui agit continuellement est représentée ponctuellement par l’espace qu’un corps soumis à cette force parcourrait en un temps donné s’il était investi par cette force en un état de repos et que celle-ci agissait continuellement, en restant constant, au cour de ce temps46

.

Comme dans le premier théorème Newton avait démontré qu’un corps orbitant soumis à une force centripète obéit à la deuxième loi de Kepler — c’est-à-dire que les aires décrites par les rayons vecteurs qui joignent ce corps au centre de force sont proportionnelles aux temps qu’il est pris pour les décrire —cette hypothèse revient à assurer que, si l'on considère des portions infiniment petites de la trajectoire des corps, la composante scalaire de la force centripète dans le point initial de cette portion peut être prise comme proportionnelle au carré de l'aire décrite par le rayon vecteur joignant le corps en mouvement au centre de force, en correspondance avec cette portion de la trajectoire .

C'est le point clef de la preuve du troisième théorème du De motu47 .

Newton y considère (fig. 6) un corps qui orbite sur une trajectoire quelconque autour d'un centre fixe S vers lequel il est attiré par une force centripète. Il prend deux points P

44 Le nombre et le contenu des propositions liminaires du De motu changeront dans les versions successives. On ne rend compte ici que de la première version.

45 Cf. la section V.4.

46 Dans les Principia, Newton transformera facilement cette hypothèse en un lemme, le lemme 10 du premier livre, démontré par des moyens purement mathématiques : il lui suffira de montrer que les aires de deux triangles rectangles similaires — dont un côté est pris comme une représentation d'un temps et l'autre comme une représentation de la vitesse ponctuelle générée au cours de ce temps — sont entre elles comme les carrés du premiers de ces côtés.

47 Avant d’y arriver, Newton emploie le deuxième théorème pour énoncer son vieux résultat sur le mouvement circulaire, en le référant, sans autre changement, à la force centripète plutôt qu'à l'effort pour s'éloigner du centre. Pourtant ce théorème n'a plus désormais qu'un rôle marginal.

et Q sur cette trajectoire, infiniment proches l'un de l'autre et, sur la tangente en P, un point R tel que QR soit parallèle à PS. Ce segment QR représente alors, en direction et intensité, la force centripète en P : si l'intensité de cette force était donnée, la longueur de ce segment lui serait proportionnelle ; si le temps employé pour passer de P à Q était donné, ce segment serait proportionnel à son carré.

Comme, dans le cas considéré, ni l'intensité de la force, ni ce temps ne sont donnés, le segment QR est proportionnel au produit de la (composante scalaire de la) force pour le carré du temps, et donc, grâce au premier théorème, au produit de la (composante scalaire de la) force pour le carré de l'aire du triangle curviligne infiniment petit SPQ.

Si on note par « F » la (composante scalaire de la) force et qu’on tire la perpendiculaire

QT au rayon vecteur SP, on en déduit la relation F ! QR

(SP)2(QT)2 , qui exprime justement le contenu de troisième théorème. D’après ce théorème la force centripète en un point est donc proportionnelle à (et est donc mesurée par) une grandeur géométrique déterminée en calculant le rapport QR

(SP)2(QT)2 qui ne dépend que de la trajectoire du corps soumis à cette force. Par à ce théorème, Newton fournit donc une mesure purement géométrique d’une force centripète. Pour démontrer la conjecture de Hooke, il suffit à ce point de démontrer que si l'orbite est elliptique et si le point S coïncide avec un foyer, alors le rapport QR

(SP)2(QT)2 est inversement proportionnel au carré de SP. C'est précisément ce que Newton fait48

. La preuve de Newton est longue, mais elle est mathématiquement simple. Il ne sera pas nécessaire de l’exposer ici. Ce qui est essentiel est qu’elle n’est désormais qu’une preuve géométrique d’une propriété purement géométrique d’une ellipse et d’un arc PQ infiniment petit pris sur celle-ci. La force centripète n’y entre en effet qu’en tant que grandeur mesurée par le rapport QR

(SP)2(QT)2 . V.7.2. LA TRANSFORMATION DES TROIS LOIS DE KEPLER EN THEOREMES

De même que celle donnée en 1680, la nouvelle preuve de la conjecture de Hooke fait intervenir les deux premières lois de Kepler : la première loi est prise comme une prémisse et la deuxième est d’abord démontrée comme une conséquence d’une autre prémisse — la présence d’une force centripète dirigée vers un centre fixe —, et ensuite employée comme un lemme49. Pour construire un théorie complètement mathématique des mouvements des planètes, Newton devait pourtant dépasser ce stade : il lui fallait montrer qu’autant la première que la troisième loi de Kepler sont des conséquences de certaines prémisses fonctionnant comme des conditions décrivant un modèle

48 C’est la solution du problème 3 du De motu : trouver la (composante scalaire de la) force centripète dirigée vers un foyer d'une ellipse prise comme orbite.

49 On appelle « lemme » un théorème employé comme prémisse dans la preuve d’un autre théorème. En mathématique, comme en toute autre discipline déductive, un théorème n’est qu’une conséquence d’un ensemble de prémisses acceptées au préalable, soit en tant que théorèmes précédents (fonctionnent de ce fait comme des lemmes), soit en tant qu’axiomes (prémisses acceptées sans démonstration en vertu soit d’une convention, soit de leur pouvoir représentatif d’une réalité donnée que la théorie qui emploie ces axiomes vise à décrire formellement).

mathématique apte à représenter formellement ce même mouvement. C’est bien ce qu’il fait.

Dans le quatrième théorème du De motu Newton prouve d’abord qu'un corps qui décrit une orbite elliptique sous l'action d'une force dirigée vers un foyer et inversement proportionnelle au carré de la distance de ce foyer satisfait la troisième loi de Kepler (c’est-à-dire que le carré du temps employés à parcourir cette orbites est proportionnel au cube de l’axe majeur de cette même orbite). Il emploie pour ce faire un argument issu d’une extension à l'ellipse de l’argument inverse de celui qui l'avait conduit entre 1665 et 1669 à conclure que la force centripète responsable d'une orbite circulaire est inversement proportionnelle au carré du rayon50

. En prouvant la conjecture de Hooke, Newton avait fourni une loi pour la variation d’une force centripète responsable d’une orbite elliptique au long de cette orbite. En démontrant que toute orbite de cette sorte se soumet à la troisième loi de Kepler — qui vaut aussi pour toute orbite elliptique due à une force centripète —, il semble suggérer que cette force soit la même pour toute planète. C’est un premier indice de ce qui deviendra plus tard la loi de la gravitation universelle.

Il restait à prouver la première loi de Kepler51

. Tout de suite après avoir démontré la conjecture de Hooke, dans la scholie au problème 3, Newton avait déjà affirmé que « les planètes majeures orbitent en ellipses ayant un foyer [placé] au centre du soleil », mais il n’avait pas encore démontré qu’il devait en être ainsi : ni sous l’hypothèse que ces planètes soient attirées vers le soleil par des forces inversement proportionnelles aux carrés des distances qui les en séparent, ni sous n’importe quelle autre hypothèse relative à la nature de la force. Il n’avait donc pas encore transformé la première loi de Kepler en un théorème.

Cette transformation fait l'objet du problème 4, où, en supposant une force dirigée vers un centre fixe, inversement proportionnelle au carré de la distance de ce point, agissant sur un corps doté d'une certaine « vitesse initiale », Newton se propose de chercher l'ellipse qui fournit la trajectoire de ce corps. En résolvant ce problème, il montre, grâce à un argument assez complexe que ces données suffisent pour déterminer le second foyer de l'ellipse (le premier étant donné par le centre de force), et que sous certains conditions particulières l'ellipse en question se transforme en un cercle (ce qui a lieu si les deux foyers coïncident), une parabole (si le deuxième foyer s'éloigne à l'infini), ou une hyperbole (si la somme des distances entre le corps est les deux foyers est plus petite que la distance entre le corps et le foyer donné).

Quelques compléments techniques

Ce qui nous importe ici ce n’est pas l’argument de Newton, ma plutôt la nature de sa conclusion. On a déjà observé qu’en se limitant à démontrer la conjecture de Hooke, Newton

50 Cf. les compléments techniques de la section V.2.

51 Cette loi affirme, comme on l’a vu, que les planètes orbitent autour du soleil en suivant des trajectoires elliptiques dont le soleil occupe un foyer. Jusqu’ici Newton a tout au plus supposé que les corps qu’il a considéré tracent de telles orbites sous l’action d’une certaine dirigée vers un foyer qu’il a cherché à déterminer (preuve de la deuxième loi) ou qu’il a supposée être inversement proportionnelle au carré de la distance à ce foyer pour en tirer des autres propriétés de ces orbites (preuve de la troisième loi). Pour prouver la première loi, il lui rester à montrer que si une certaine force centrale est inversement proportionnelle au carré de la distance à son centre, alors un corps orbitant investi par cette force décrit une ellipse dont ce centre est un foyer. Pour ceci il devait résoudre le problème inverse des force centrales : cf. la section V.6.

n'avait guère résolu le problème inverse des forces centrales52. Il est alors naturel de se

demander si en résolvant comme l’on vient de dire le problème 4 du De motu Newton donna finalement une solution à ce problème inverse des forces centrales et donc une réponse satisfaisante à la question posée par Halley en 1684.

À première vue, Newton semble ne résoudre ce problème que dans un cas très particulier, en supposant qu'on sache a priori que la trajectoire cherchée est une conique. C’est en particulier l'objection qui, après la publication des Principia — où le problème 4 du De motu est présenté sans grande modification comme proposition 17, problème 9 du premier livre — sera plusieurs fois adressée à Newton par des mathématiciens continentaux.

Mais si on prend garde aux détails du problème 4 du De motu et la solution de ce dernier, cette objection paraît infondée : Newton ne fait que chercher la trajectoire du corps en question dans la classe des coniques, en montrant que, quelles que soient les conditions données, il est toujours possible de déterminer la conique qui fournit cette trajectoire53.

Newton ne semble donc pas présupposer que la trajectoire cherchée est une conique, c'est-à- dire qu'il existe une conique donnant cette trajectoire. Plutôt, il le démontre, en démontrant que pour n'importe quelle condition initiale il est possible de déterminer une telle conique.

S'il reste quelque chose à prouver pour parvenir à une solution satisfaisante du problème inverse de forces centrales ce n'est donc que l'unicité de la solution ainsi déterminée. Newton ne le fait naturellement pas (et on sait aujourd'hui qu'en général le problème n'a pas une solution unique). Pourtant, dans la deuxième édition des Principia, il ajoute à la fin du corollaire 1 de la proposition 13 (du premier livre) — ce qui correspond à la scholie du problème 3 du De motu — une observation qui montre qu'il sut plus tard saisir la difficulté : il affirme, bien qu'à tort, qu'à la même force centrale agissant sur un corps dont la position et la vitesse sont données ne peuvent pas correspondre plusieurs trajectoires distinctes.

Dans le document Newton (Page 95-98)