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L ES DERNIERS RESULTATS ENONCES DANS LE D E MOTU

Dans le document Newton (Page 98-100)

Si la direction de la vitesse initiale d’un corps sur lequel agit une force centripète est la même que celle de cette force, le corps ne peut que tomber tout droit vers le centre de cette force de sorte que sa trajectoire se réduira à un segment de droite. Cet dernier peut pourtant être conçu comme une ellipse dégénérée, c’est-à-dire comme une ellipse si étroite de se transformer en deux segments superposées. C'est en employant un tel artifice que, dans le problème 5, Newton arrive à déterminer les espaces couverts dans des temps donnés par un corps qui tombe vers le centre d’une force.

C'est le dernier résultat du De motu concernant des mouvements ayant lieu en absence de toute résistance opposée par un milieu. Les deux derniers problèmes supposent la présence d'une résistance uniforme : dans le premier il est supposé qu'aucune force centripète n'accompagne l'action de cette résistance, qui ne s'oppose ainsi qu'à un mouvement inertiel ; dans le second il est supposé que la force centripète est constante et dirigée comme la vitesse du corps. Les situations considérées sont donc fort simples, mais le seul fait que Newton ait considéré la possibilité d'une résistance due à l'opposition d'un milieu montre qu’il cherchait à sortir du modèle mathématique très simple proposé par la conjecture de Hooke : corps réduits à des points ; absence de toute forme de

52 Cf. encore la section V.6.

53 On note que parmi les coniques seulement l'ellipse est une courbe fermée (les autres coniques étant la parabole et l’hyperbole ; quant au cercle, il n’est, comme on l’a déjà vu, qu’une ellipse particulière : cf. la noter (19) ci-dessus). Une fois admis que la trajectoire cherchée est celle d'un corps parcourant une orbite fermée, il est ainsi naturel de supposer que cette trajectoire est une ellipse (c'est-à-dire que les conditions qui transforment cette trajectoire en une parabole ou une hyperbole ne se réalisent pas) : cf. Cohen (1971), pp. 51-52.

résistance ; présence d'une seule force centripète agissant sur un corps unique qui, à son tour, n'interagit nullement avec le centre de cette force. L'évolution qui conduit Newton de la première version du De motu aux trois livres des Principia tient pour l'essentiel à l'effort pour sortir de ce cadre limité54

, et construire un cadre mathématique plus proche de la réalité du cosmos.

V.8. La structure des Principia et le « style newtonien »

Se rapprocher de la réalité du cosmos ne signifie pas que Newton cherche à annuler toute distinction entre les configurations mécaniques passibles d’une étude mathématique et les phénomènes physiques.

Au début du chapitre 4, on a suivi la suggestion d’I. B. Cohen et on a parlé de style newtonien pour indiquer la séparation opérée par Newton entre l'édification d'un cadre mathématique abstrait et l'interprétation des phénomènes physiques comme des spécifications particulières de ce cadre. Cela est particulièrement clair pour la théorie des phénomènes cosmiques : d'après Newton, celle-ci ne saurait être possible sans l'édification préalable d'une mécanique abstraite, étudiant des configurations non seulement simplifiées, mais réduites à des pures constructions mathématiques, où toutes les données pertinentes sont supposées connues. L'idée n'est donc pas tant de faire abstraction de certains aspects des phénomènes physiques, que de choisir des aspects de ces phénomènes et de les étudier séparément en étudiant des configurations mécaniques uniquement caractérisées par des données qui relèvent de ceux-ci. Si le but est certainement de construire des modèles de plus en plus complexes, cela ne tient pas à l'espoir de parvenir enfin à une représentation complètement fidèle de la réalité. Il s’agit plutôt de parvenir à fournir une image de celle-ci qui, tout en étant certainement simplifiée, soit telle que, pour les aspects qu’on cherche à étudier, les phénomènes réels ne diffèrent de ces modèles que pour la richesse des données qui les caractérisent, la structure selon laquelle ces données s’organisent restant en revanche la même. En d'autres termes, le but est de parvenir à repérer l'ensemble des systèmes de causes formelles55

pertinents pour l'étude des phénomènes cosmiques et de comprendre les relations mathématiques entre ces systèmes.

C’est l'objet des deux premiers livres des Principia, qui constituent de ce fait un traité de mécanique abstraite : le premier consacré au mouvement des corps soumis à des forces centripètes en absence de résistance ; le deuxième consacré à ce même mouvement, dans un milieu opposant une résistance obéissant à différentes sortes de lois. Dans le troisième livre, Newton compare enfin ces modèles abstraits aux données astronomiques, en montrant que les deuxièmes s'accordent fort bien aux premiers, de telle sorte qu'il est même possible, en s'appuyant sur ces modèles, d'avancer de prévisions, de déduire des propriétés des astres, et de fournir de ce fait une explication du « système du monde », c’est-à-dire une cosmologie.

Il est clair cependant que cette explication ne consiste que dans une reconduction des phénomènes cosmiques à un cadre de causes formelles préalablement établi. Rien n'est dit des causes efficientes, c'est-à-dire des raisons qui justifient la façon d'opérer de ces causes formelles dans la nature. À ce propos, Newton est dans le Principia autant réticent qu'il l'avait été dans son mémoire de 1672 sur la théorie des couleurs et dans le De motu.

54 Cf. Cohen (1971), p. 61.

La question concerne en particulier les forces centripètes agissant à distance, que — on va le voir plus loin — Newton réduit à des manifestations particulière d'une seule force, la gravitation universelle. Si on en reste à des modèles mathématiques abstraits, comme dans le De motu ou dans les deux premiers livres des Principia, on n’a guère besoin de justifier la présence de ces forces. Mais la chose change lorsque l’on affirme que l'action de ces forces fournit une explication des phénomènes cosmiques. Il devient alors fort naturel de se demander comment cette action est à son tour justifiée.

Un épistémologue moderne n'aurait pas de difficultés à montrer qu'une telle question est mal posée, par exemple en observant qu'une explication des phénomènes cosmiques à l'aide de la supposition d'une gravitation universelle n'entraîne pas nécessairement la supposition d'une action réelle de cette force dans l'univers, car — il pourrait argumenter — une explication ce n’est pas le même chose qu’une description. Ce n’est pas l'attitude de Newton. Pour lui la question de la justification de l'attraction universelle était une véritable question. Newton se limita simplement à distinguer cette question d'une autre question qui est la seule qu'il aborda dans les Principia : la supposition de l'action de cette force permet-elle de rendre compte des phénomènes cosmiques ? La réponse de Newton est positive ; c'est cette réponse qui constitue sa contribution la plus célèbre au développement de la science moderne.

V.9. Un regard sur les Principia

Le cadre ayant été tracé, les préalables ayant été posés, il reste à présenter quelques uns des grands apports des Principia.

Dans le document Newton (Page 98-100)