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Une nouvelle forme de raisonnement dans le domaine des probabilités 49

2.4 Les travaux didactiques portant sur l’enseignement et l’apprentissage de la

2.4.3 Une nouvelle forme de raisonnement dans le domaine des probabilités 49

À partir des travaux de Lahanier-Reuter (1999), Gaydier (2010) souligne que l’ensei-gnement du domaine des probabilités au niveau secondaire en France suppose la pratique d’une nouvelle forme de raisonnement mathématique faisant notamment intervenir la sta-tistique inférentielle et la notion de modèle. Gaydier (2010) précise que cette nouvelle forme de raisonnement pose la question de sa validité. En s’appuyant sur l’exemple du lancer de deux dés, Gaydier affirme que :

« la validation ne porte pas particulièrement sur la probabilité égale à 1 36 de sortir le double six, résultat d’un calcul mené sous l’hypothèse que les dés sont parfaitement équilibrés. Sous une autre hypothèse, ce 1

36 pourra être faux » (Gaydier, 2010, p. 81).

Ici, Gaydier pose clairement la question du modèle dans lequel la probabilité a été déter-minée. En effet, la valeur 1

36 résulte d’un calcul au sein d’un raisonnement lorsque l’espace probabilisé (avec lequel l’expérience aléatoire a été modélisée) a été choisi. Et c’est préci-sément sur le choix de cet espace probabilisé que porte la validation (Gaydier, 2010). Par conséquent, nous avons une nouvelle forme de validation des résultats en mathématiques qui ne s’effectue pas seulement

« par la seule « démonstration mathématique » qui s’appuie sur la règle du modus ponens, démonstration qui est la norme visée par les programmes de mathématiques à partir de la classe quatrième » (Gaydier, 2010, p. 81).

À ceci, Gaydier (2010) ajoute que l’enseignement des probabilité (au niveau du secondaire en France) est

« le seul lieu où apparaît (ou devrait apparaître, ou pourrait apparaître) le fait que la validité du modèle dépend du choix des « axiomes » ([...] liés à l’expérience étudiée), et que se pose la question de leur validation » (Gaydier, 2010, p. 81).

Illustrons les propos de Gaydier à l’aide de l’exemple1 ci- dessous :

Un square est équipé de trois bancs à deux places. Deux personnes arrivent succes-sivement et s’installent au hasard. Quelle est la probabilité que ces personnes soient assises côte à côte ?

Le terme « au hasard » désigne de manière implicite l’équiprobabilité des is-sues. Tel qu’il est formulé, l’énoncé de cet exemple nous conduit à considérer : les bancs (notés A, B et C) ou bien les places (A1, A2, B1, B2, C1, C2) afin de répondre à la question.

Cas 1 :

Si l’on considère uniquement les bancs, sans distinguer les places, on a donc la répartition uniforme de la probabilité sur l’univers ⌦ “ tA, B, Cu ˆ tA, B, Cu. Donc les issues réalisant l’événement D : « les deux personnes sont assises côte à côte » sont les couples : (A,A), (B,B) et (C,C) ayant la même probabilité. Dans ce cas, la probabilité de l’événement D est égale à 3

9 soit 1 3. Cas 2 :

On pose U “ tA1, A2, B1, B2, C1, C2u. Si on considère cette fois-ci les places des bancs, on a la répartition uniforme de la probabilité sur l’univers

⌦“ U ˆ U ´ tpA1, A1q, pA2, A2q, pB1, B1q, pB2, B2q, pC1, C1q, pC2, C2qu.

Les issues réalisant l’événement D : « les deux personnes sont assises côte à côte » sont les couples : (A1,A2), (A2,A1), (B1, B2), (B2,B1),(C1,C2), (C2,C1) ayant la même probabilité égale à 1

6 ˆ1

5. Dans ce cas, la probabilité de l’évé-nement D est égale à 6 ˆ 1

6 ˆ 1 5 soit 1

5.

Les deux cas ci-dessus traduisent le choix de deux modèles probabilistes différents dans lesquels nous avons traité le problème posé dans l’exemple. Le traitement de ce problème donne lieu à deux raisonnements tous deux valides au sein du modèle dans lequel ils ont été élaborés. Cependant, ces deux raisonnements aboutissent à deux valeurs (de la probabilité de l’événement D) qui sont différentes. Que peut-on conclure ? Quelle est alors la probabilité de l’événement D ?

Nous avons ici une démarche de raisonnement qui n’est pas habituelle dans l’ensei-gnement des mathématiques au niveau secondaire. Les enseignants sont donc confrontés à l’enseignement d’une nouvelle manière de raisonner en mathématique.

2.5 Conclusion

De notre enquête épistémologique, nous concluons que c’est la preuve en probabilité qui est « coupable » de son émergence tardive puisque, à l’origine, la probabilité faisait partie des « basses sciences », un domaine dans lequel la preuve était basée sur l’opinion. En revanche, la probabilité était exclue du domaine des « hautes sciences », dans lequel la seule preuve admise était la démonstration par le raisonnement hypothético-déductif. Or, la formation du concept de mise en évidence factuelle a donné naissance à un nouveau mode de preuve s’appuyant, non pas sur l’opinion, mais sur des observations empiriques des faits. C’est donc ce nouveau mode de preuve qui a permis à la probabilité d’accéder au domaine des « hautes sciences » au même titre que la géométrie. De plus, cette mise en évidence factuelle est le fondement du courant objectiviste dans lequel la probabilité d’un événement est interprétée suivant deux approches : laplacienne et fréquentiste. Nous avons vu également que dans le courant subjectiviste, la probabilité bénéficiait d’une autre approche, l’approche bayesienne.

Du point de vue didactique, on constate que l’enseignement du domaine des probabilités peut susciter des difficultés chez les enseignants. Ces difficultés résultent de la spécificité de la démarche de raisonnement dans ce domaine qui fait intervenir la notion de modèle mais également la statistique. Dans ce cas, quelles peuvent-être les formes de validation pratiquées par les enseignants ? Ces formes de validation sont-elles différentes des autres formes de validation pratiquées dans les autres domaines des mathématiques enseignées ? Cerner la question de la validation dans l’enseignement du domaine des probabilités à la fin de la scolarité obligatoire nous conduit à étudier du point de vue didactique la question de la validation dans l’enseignement des mathématiques au niveau secondaire.

Chapitre 3

L’éclairage didactique sur la question

de la validation dans l’enseignement des

mathématiques

L’objectif de ce chapitre est d’apporter un éclairage sur la question de la validation dans l’enseignement. Pour ce faire, nous avons mené une investigation sur les travaux didactiques portant sur notre questionnement. Dans un premier temps, nous expliciterons les différents contextes de la validation. Ensuite, nous discuterons les différents types de validation existants dans l’enseignement afin d’établir une typologie de la validation en fonction de la nature de l’argumentaire. Pour terminer ce chapitre, nous proposerons une analyse de l’architecture d’un argumentaire de validation, appuyée sur les travaux de Toulmin (1993), pour examiner la structure d’un argument.

3.1 Les contextes de validation

Dans la théorie des situations didactiques, Brousseau (1998) a distingué trois phases dans la démarche de la résolution d’un problème dans le cadre scolaire : l’action, la formulation et la validation. Il insiste particulièrement sur le fait qu’

« un problème de validation est bien plus un problème de comparaison d’évalua-tion, de rejet des preuves que de recherche de la démonstration » (Brousseau, 1998, p. 127).

Margolinas (1993) ajoute que dans la résolution d’un problème,

« la phase de conclusion est une phase d’évaluation quand, dans cette phase, la validité du travail de l’élève est évaluée par le maître sous la forme d’un jugement sans appel [...] la phase de conclusion est une phase de validation si l’élève y décide lui-même de son travail » (Margolinas, 1993, pp. 30-31).

Au-delà de la validation empirique de son action, l’élève construit des preuves de la vali-dité et de la pertinence de son modèle d’action. Il ne s’agit donc pas de communiquer des informations mais de chercher à convaincre les autres élèves et le professeurs en construi-sant des ensembles d’énoncés de référence et en organiconstrui-sant des énoncés en démonstration. L’objectif de la phase de validation est donc de « prouver ce que l’on affirme autrement que par l’action » (Douady, 1999, p. 5). La validation dans la démarche de la résolution de problème au niveau scolaire est une phase dans laquelle on élabore des justifications des résultats qui ont été produits dans la phase d’action.

Cette distinction entre ces trois phases rejoint, d’une certaine manière, celle qui a été faite par Giaquinto (2005) lorsqu’il décrit le travail global d’un mathématicien expert, en appelant la première découverte, la deuxième explication, et la troisième justification. Chacune de ces trois phases a un objectif précis :

Phases Objectifs Découverte Connaissance Explication Compréhension Justification Certitude relative

Dans la phase de découverte, il y a trois sortes d’activités qui lui sont propres : « making a discovery, presenting a discovery, taking in a discovery » (Giaquinto, 2005, p. 77), que l’on peut traduire respectivement par élaboration, diffusion, et appropriation des découvertes. Ceux qui font les découvertes sont en général les mathématiciens experts, autrement-dits les chercheurs. La diffusion des découvertes se fait généralement par les chercheurs, mais également par les enseignants. Ces découvertes sont utilisées par la suite par les chercheurs, les enseignants mais également par les apprenants. Le rôle de la phase d’explication est selon Giaquinto :

« to help make a theorem that one already knows more intuitive. Often this can be done for a theorem in analysis by means of geometric illustration » (Ibid., 2005, p. 78).

Pour illustrer le rôle de l’explication, Giaquinto prend l’exemple du théorème de Pythagore représenté par une séquence d’images qui donnent un aperçu de ce théorème :

Par ailleurs, Giaquinto distingue l’explication de la preuve (ou la démonstration) : « proof and explanation can come apart : there may be a proof that does not explain its conclusion and there may be an explanation that does not prove the fact explained » (Giaquinto, 2005, p. 77).

Il considère que prouver (ou démontrer) relève de la phase de justification : « proving a theorem is not the only kind of justifying, as I aim to show a little later, and so it should not replace justification on the list » (Giaquinto, 2005, p. 76).

Il ajoute que le terme « justifier » est très souvent utilisé comme moyen pour établir la vé-rité d’une proposition : « the locution ‘justifying’ as applied to a statement usually means establishing its truth, it might be better to talk of motivating axioms and definitions, as some authors already do » (Ibid., p. 84). Par conséquence, deux objectifs sont assignés à la phase de justification. Le premier « serait d’atteindre un certain degré de certitude relative à la vérité d’un théorème » (Ibid., p. 84, notre traduction). Le deuxième « serait d’at-teindre un certain degré d’assurance relative à l’opportunité d’adopter cette définition » (Ibid., p. 84, notre tradution).

En résumé, qu’elle soit pratiquée à l’échelle scolaire ou à l’échelle du travail d’un mathématicien expert, la validation est associée à la justification. Toutefois, la validation n’est pas dissociée des deux autres phases. En effet, la résolution d’un problème nécessite d’abord de se placer dans la phase de découverte afin de produire le résultat, qui sera par la suite prouvé dans la phase de justification. Nous avons donc deux contextes liés à la validation : le contexte de découverte où il est question de produire le résultat, et le contexte de justification dans lequel des moyens sont mis en œuvre pour justifier le résultat obtenu. Pour la phase d’explication, nous avons vu précédement qu’elle n’était pas du même ordre que la preuve, mais qu’elle pouvait parfois être indispensable pour accéder à la compréhension d’un résultat avant sa justification. D’ailleurs, cette phase est très souvent observée dans l’enseignement des mathématiques au niveau secondaire. La phase d’explication est alors plus proche de la phase de découverte que celle de la justification.

Dans chacun des deux contextes de découverte et de justification, des moyens, c’est-à-dire des raisonnements, sont mis en oeuvre pour découvrir ou pour justifier un résultat. Dans les deux cas, les raisonnements n’ont pas le même but. Nous proposons dans la suite d’étudier les argumentaires de validation.