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Un nouveau fossé intergénérationnel

Dans le document Les enfants dans un monde numérique (Page 108-112)

Les parents, les éducateurs et les personnes intéressées par la santé et le bien-être des enfants semblent se préoccuper chaque jour un peu plus du fait que les enfants passent un temps croissant devant des dispositifs numériques. À chaque nouvel article ou nouvelle étude qui affirme que plus de connectivité est mauvais pour les enfants, une autre publication vient contredire ces affirmations avec des éléments de preuve différents.

Les adultes qui pensent que les enfants passent trop de temps devant un écran

se demandent si ces derniers ne vont en effet pas passer à côté de choses importantes dans la vie, ou de choses qui étaient importantes pour eux lorsqu’ils étaient enfants : ricaner avec un ami après avoir fait une farce, grimper à un arbre ou rester bouche bée face à des fourmis qui cheminent sur un trottoir.

Certaines inquiétudes parentales transcendent les contextes culturels. Ainsi, un rapport du Conseil suédois des médias a décrit comment, en Suède, les parents étaient à la fois plutôt positifs au sujet des avantages que leurs enfants pouvaient obtenir en jouant à des jeux numériques mais aussi inquiets du temps qu’ils y consacraient4. De même, en Afrique du Sud, des groupes représentatifs de parents reconnaissaient les bienfaits d’Internet pour leurs enfants tout en se déclarant préoccupés par le temps que ces derniers passaient en ligne et par les risques potentiels qu’ils couraient5.

Sociologues et psychologues affirment que les enfants d’aujourd’hui interagissent plus avec leur téléphone qu’entre eux. Ils estiment également qu’ils passent à côté d’expériences sociales importantes6. D’autres spécialistes ont remarqué que les préoccupations relatives aux compétences sociales des enfants étaient affectées de façon négative, ou tout au moins altérées, par le fait que leurs amitiés et leurs communications avec leurs camarades passaient par le numérique7.

Certains experts estiment que les enfants continuent d’interagir les uns avec les autres autant qu’avant et que la qualité des interactions est comparable. Seul le contexte de ces interactions sociales a changé pour passer au numérique8.

Du côté peu ou non connecté de la fracture numérique, parents et personnes qui ont la charge d’enfants peuvent s’inquiéter du fait que leurs enfants ne puissent développer leur aisance sociale, une identité numérique ou les compétences et les savoirs dont ils auront besoin pour être compétitifs sur le marché de l’emploi (voir chapitre 2).

Les enfants connectés soulignent que ce sont les adultes qui passent à côté « du monde entier », comme l’a décrit une jeune fille dans une interview avec le Washington Post9. D’autres enfants se plaignent d’être mis en concurrence

Il convient

d’accorder davantage d’attention à ce que font les enfants en ligne et pourquoi.

04 L’ENFANCE À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE : LA VIE EN LIGNE 101

avec des dispositifs numériques pour capter l’attention de leurs parents en raison du temps élevé que ces derniers passent en ligne10. Malgré ces points de vue divergents, enfants et parents trouvent des solutions

pour combler le fossé qui les sépare en discutant régulièrement au sujet des comportements numériques réfléchis et responsables (voir encadré : La nouvelle frontière numérique de l’éducation parentale).

Certains affirment que les enfants d’aujourd’hui interagissent plus avec leur téléphone qu’entre eux. D’autres estiment que seul le contexte de ces interactions sociales a changé pour passer au numérique. © UNICEF/UN036679/SHARMA

Les adultes

dépeignent souvent les jeunes comme des individus technologiquement connectés, mais socialement déconnectés.

Les participants aux ateliers portant sur La situation des enfants dans le monde 2017*

ont reconnu qu’ils n’avaient pas tout à fait tort.

Que pensent

les adolescents …

de l’incidence des TIC sur la vie de famille ?

« Je pense qu’Internet nous rapproche de ceux dont nous sommes loin et nous éloigne de ceux dont nous sommes proches. Parfois, dans ma famille, nous sommes tous dans la même pièce, mais nous n’échangeons pas un mot parce que nous sommes tous collés à l’écran de notre téléphone. »

FILLE, 16 ANS, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Cependant, dans l’ensemble, les participants ont dressé un tableau bien plus positif de l’incidence des technologies numériques sur la vie de famille. Ils ont parlé avec enthousiasme, par exemple, du rôle que joue la technologie pour resserrer les liens entre les différents membres de leur famille, en leur permettant d’échanger, de communiquer et de partager …

« Quand nous regardons des fi lms qui nous font rire […], ce qui nous rend heureux, c’est de nous sentir en harmonie. »

FILLE, 10 ANS, PORTUGAL

« [Avec ma sœur], ce qu’on aime, c’est jouer ensemble à des jeux sur l’ordinateur de bureau. » FILLE, 17 ANS, NIGÉRIA

« Parfois, je montre des vidéos rigolotes à mes grands-parents sur YouTube. »

GARÇON, 17 ANS, PÉROU

et en leur donnant des sujets de conversation.

« On discute de tous les trucs intéressants qu’on voit sur les médias sociaux. » FILLE, 16 ANS, TUNISIE

Les technologies numériques permettent également aux participants de rester en contact avec les membres de leur famille qui se trouvent à l’étranger …

« Mon père vit en Syrie et moi, en Jordanie.

Grâce aux médias sociaux, je peux communiquer et parler avec lui. »

FILLE, 16 ANS, JORDANIE

« Ma sœur a effectué un appel vidéo depuis l’Espagne et a rempli de joie toute la famille. » GARÇON, 16 ANS, PÉROU

de partager des moments de leur vie …

« Ma mère est partie vivre en Espagne quand j’étais enfant. Nous pouvons partager chaque moment de notre vie quotidienne. »

FILLE, 17 ANS, PARAGUAY

« Les téléphones portables nous servent à fêter les anniversaires, […] on s’appelle ne serait-ce que pour se dire joyeux anniversaire. » FILLE, 14 ANS, TIMOR-LESTE

et de créer un sentiment de proximité qu’ils n’auraient pas pu ressentir autrement.

« Mon frère vit à l’étranger et Internet nous a aidés à rester proches. Nous parlons tout le temps sur Skype, si bien que j’ai l’impression qu’il n’est jamais parti. »

FILLE, 16 ANS, TUNISIE

« Maintenant, grâce à WhatsApp, je peux parler avec ma mère qui est à l’étranger sans aucun problème. Avant, je devais acheter du crédit, mais maintenant, avec 100 francs CFA [20 centimes de dollars], je peux me connecter pour discuter avec elle et voir ses photos.

La technologie nous simplifi e vraiment la vie. » FILLE, 14 ANS, SÉNÉGAL

Les technologies numériques aident aussi les familles à faire face à des situations d’urgence ou à soutenir un parent en détresse.

« Ma petite sœur était malade, donc j’ai utilisé mon téléphone portable pour appeler ma mère et l’emmener à l’hôpital. »

FILLE, 17 ANS, VANUATU

« Ma cousine qui vit en Afrique du Sud a dû se faire opérer. Après l’opération, elle ne pouvait pas sortir de chez elle. Avec ma sœur et des cousins qui vivent à l’étranger, nous avons créé un groupe, juste pour nous raconter des histoires drôles et lui changer les idées. »

FILLE, 14 ANS, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

« Ma grand-mère a besoin de médicaments qui [ne sont pas disponibles] dans notre pays.

Grâce à mon ordinateur portable, j’ai pu les trouver et les commander. »

GARÇON, 15 ANS, RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

Les participants ont toutefois mentionné quelques points négatifs. Par exemple, beaucoup ont rapporté que l’accès aux appareils provoquait des tensions avec leurs frères et sœurs.

« On se bat parfois avec mes frères et sœurs pour regarder des fi lms sur l’ordinateur de ma mère. »

FILLE, 17 ANS, VANUATU

Pour en fi nir avec ces confl its, certains ont essayé de convaincre leurs parents de les aider à s’acheter leur propre appareil …

« Pour économiser suffi samment d’argent pour m’acheter l’appareil que je veux, je dois demander à mes parents d’augmenter mon argent de poche. »

GARÇON, 17 ANS, THAÏLANDE souvent sans grand espoir.

« J’essaie de convaincre mon père, mais je pense que je ne vais pas y arriver. » GARÇON, 14 ANS, BANGLADESH

La propension des TIC à détourner les participants de leurs devoirs ou de leurs tâches ménagères est également source de disputes avec leurs parents ou les personnes qui s’occupent d’eux.

« Je me suis brouillée avec ma mère parce que je passais trop de temps sur Internet et pas assez sur mes devoirs. »

FILLE, 13 ANS, RÉPUBLIQUE DE CORÉE

« Je me suis disputée avec ma famille parce que je passe tellement de temps sur l’ordinateur que je délaisse mes responsabilités. »

FILLE, 14 ANS, URUGUAY

Certains ont des problèmes avec leur famille lorsqu’ils utilisant les technologies numériques au moment d’aller se coucher ou à un moment inapproprié.

« J’ai dérangé mon père avec mon téléphone pendant l’heure de la prière. » GARÇON, 16 ANS, JORDANIE

Cependant, les adolescents ne sont pas les seuls à se laisser distraire par les écrans.

« Quand ma mère allume son ordinateur pour travailler à la maison, elle n’a pas le temps de parler avec nous. »

FILLE, 18 ANS, BURUNDI

« Un soir, nous sommes allés au restaurant en famille et ma mère s’est sentie blessée parce que mon père et moi avons passé la soirée à regarder notre téléphone. »

FILLE, 14 ANS, RÉPUBLIQUE DE CORÉE

Les participants ont également

mentionné d’autres sources de tensions.

Des malentendus émergent parfois du contrôle que les parents exercent sur les activités en ligne de leurs enfants …

« Ma famille a tendance à espionner ma vie privée sur les médias sociaux. Cela crée des malentendus qui provoquent des disputes. » FILLE, 16 ANS, TUNISIE

« Mes parents ne comprennent pas que des sites pornographiques apparaissent dans des fenêtres contextuelles, ils pensent que c’est nous qui allons dessus et ça génère des malentendus. »

FILLE, 16 ANS, GUATEMALA sans parler des malentendus intergénérationnels …

« Sur Internet, ma mère utilise des émoticônes qui ne refl ètent pas ses sentiments dans la réalité. Du coup, j’ai beaucoup de mal à savoir ce qu’elle ressent vraiment. » FILLE, 17 ANS, JAPON

et des inquiétudes sur la sécurité en ligne …

« Quand le compte de mon père a été piraté, toute la famille s’est inquiétée. »

GARÇON, 16 ANS, PÉROU

qui provoquent parfois des confl its entre les parents ou les personnes qui s’occupent des enfants.

« J’ai partagé un truc sur Facebook que ma mère a jugé inapproprié, ça a provoqué une énorme dispute entre mes parents. » FILLE, 15 ANS, PARAGUAY

Cependant, la manière dont les enfants utilisent la technologie n’est pas la seule source de tensions au sein de la famille.

« Je suis contrariée lorsque ma mère publie une photo de moi sans ma permission. » FILLE, 15 ANS, PARAGUAY

« Je ne trouve pas ça bien que des parents négligent leurs enfants parce qu’ils sont absorbés par leur appareil. »

GARÇON, 16 ANS, FIDJI

EN BREF :

Pour les adolescents, les technologies numériques ont à la fois une incidence positive et négative sur la dynamique familiale. Quel que soit l’endroit où ils se trouvaient dans le monde, les participants avaient tous un avis très comparable sur la question. Ce résultat inattendu suggère que les pays pourraient réfl échir ensemble à des solutions pour aider les familles à utiliser les technologies à bon escient.

* Les réponses des participants ont été raccourcies et éditées à des fi ns de clarté, le cas échéant.

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La nouvelle frontière numérique de l’éducation parentale

Les parents sont les premiers responsables de protéger leurs enfants et de les aider à apprendre et à devenir des adultes productifs. Il est aussi de leur responsabilité d’aider leurs enfants à prendre conscience des avantages d’un monde numérique.

De nombreux parents ne sont toutefois pas préparés à ce rôle. Dans un univers fait de nouveautés et de changements rapides, ils doivent relever un défi séculaire : permettre une exploration indépendante tout en offrant une supervision parentale11. Alors que les médias numériques se font sans cesse plus personnels et complexes, l’angoisse des parents au sujet de l’utilisation que font leurs enfants d’Internet peut être forte. Beaucoup de parents et de personnes qui ont la charge d’enfants n’ont pas le temps, les connaissances ou les ressources nécessaires pour mettre en avant les occasions offertes par le numérique à leurs enfants ou minimiser les risques qu’ils courent. Nombre d’entre eux bataillent également avec des messages contradictoires : d’une part, ils devraient limiter le temps passé devant un écran et, d’autre part, ils devraient se procurer le dernier appareil pour que leurs enfants puissent suivre le rythme.

Vers qui se tournent les enfants lorsqu’ils sont confrontés à des problèmes en ligne ? En règle générale, pas vers les adultes12. Les recherches montrent invariablement que les enfants ont tendance à d’abord consulter d’autres enfants pour discuter de leurs expériences en ligne.

Une étude menée en Afrique du Sud a révélé que le nombre d’enfants qui s’adressaient à leurs camarades lorsqu’ils étaient exposés à des risques en ligne était deux fois plus élevé que ceux qui faisaient appel aux adultes13. Les recherches de Global Kids Online en Argentine, aux Philippines et en Serbie sont parvenues à des résultats comparables14. La raison n’est pas surprenante : dans des pays comme l’Argentine, les enfants estiment que leurs camarades en savent plus sur la technologie, les médias sociaux et Internet que les adultes15. Sur ce nouveau front de la parentalité, les parents peuvent se sentir déresponsabilisés et ignorants des activités en ligne de leurs enfants.

Ils sont donc plus susceptibles d’exagérer les préoccupations relatives aux prédateurs et à la pornographie en ligne. De nombreux parents adoptent dès lors une gestion restrictive de l’accès à Internet de leurs enfants.

Comme toujours face à une supervision parentale, les enfants trouvent des méthodes pour la contourner. Elles peuvent consister à créer plusieurs profils sur les médias sociaux et à limiter l’accès à certains pour ne partager que certaines données sélectionnées, ou à créer plusieurs profils pour avoir un compte

« ami » de leurs parents et utiliser réellement les autres16. Les parents risquent donc de connaître encore moins leurs agissements, ce qui expose peut-être encore plus les enfants aux menaces qu’ils craignent.

En outre, une telle « médiation » parentale restrictive, l’une des méthodes de contrôle parental les plus fréquentes quand il s’agit d’Internet, peut limiter la qualité de l’expérience en ligne des enfants et les empêcher de trouver toute une gamme de contenus appropriés, informatifs et divertissants17.

Bien que les inquiétudes des parents au sujet des activités en ligne de leurs enfants soient plutôt constantes, leurs façons de les gérer ne le sont pas. La médiation parentale diffère en fonction de l’âge de l’enfant : dans une étude à grande échelle menée dans huit pays européens, les parents ont semblé adapter leur style et passer d’une stratégie plus restrictive avec de jeunes enfants à une approche plus permissive pour les plus âgés. Elle varie également selon le sexe. Une étude portant sur des enfants de 7 à 18 ans à Bahreïn et au Royaume-Uni a découvert qu’à Bahreïn, les restrictions sur l’utilisation des médias sociaux par les filles les ont poussées à dissimuler les activités en ligne que leurs parents ne considéreraient pas comme « appropriées »18. Une troisième variable porte sur les parents : les recherches montrent que des parents plus pauvres et moins éduqués préfèrent la

« médiation restrictive »19 et ce sont ces mêmes familles qui éprouvent des difficultés pour mettre à jour les technologies numériques au domicile et acquérir les compétences nécessaires pour les utiliser et orienter l’utilisation par leurs enfants20. Une chose est sûre, les pôles essentiels définis par l’Organisation mondiale de la Santé en 2007 pour les rôles parentaux s’appliquent autant en ligne qu’hors ligne. Liens familiaux, surveillance des comportements, respect de la personnalité de l’enfant, modèle de comportement et vie quotidienne et protection ont un effet positif sur le bien-être de l’adolescent.

UNICEF – LA SITUATION DES ENFANTS DANS LE MONDE 2017

Jasmina Byrne est spécialiste de la protection infantile ; elle dirige les travaux du Centre de recherche – Innocenti de l’UNICEF sur les droits de l’enfant à l’ère numérique ainsi que la recherche sur la famille et le soutien aux parents.

Dans le document Les enfants dans un monde numérique (Page 108-112)