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tas »

L’ancien cadre juridique trop restrictif éclaire l’attitude parfois réticente des dirigeants de TPE vis-à-vis de la formation professionnelle, jugée inutile et coûteuse par certains de nos enquêtés. En effet, c’est très souvent en dehors de ce système que leurs salariés développent leurs compétences et leur professionnalisme, qui peut être néanmoins très pointu. Dans le second-œuvre du Bâtiment par exemple, le professionnalisme d’une entreprise enquêtée repose sur dix années de montée en compétences de ses compagnons, d’abord en apprentissage, puis en travaillant avec des collègues plus expérimentés.

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o Les limites de la formation « sur le tas » en termes de sécurisation des

parcours

Si l’entreprise peut être un bon lieu d’apprentissage informel lorsque tout va bien, elle peut aussi se révéler insuffisante en cas de difficulté de l’entreprise ou de désengagement du salarié. Il est alors utile de pouvoir faire état de son professionnalisme auprès des autres employeurs potentiels, en attestant des formations suivies, à travers une certification reconnue par exemple.

La formation sur le tas peut alors présenter certaines lacunes pour sa transférabilité dans d’autres contextes professionnels, si elle ne s’accompagne d’aucune garantie externe à l’entreprise. En particulier, dans le cas où l’entreprise accuse un retard sur l’évolution d’un secteur, la formation sur le tas intègre moins les dimensions prospectives que pourraient apporter une ouverture sur l’extérieur ou un échange avec des experts du secteur. Et plus généralement, la dimension d’anticipation des parcours professionnels n’est pas une priorité dans le cadre de la formation « sur le tas » traditionnelle. En cas de difficulté économique de l’entreprise – ou de reprise incertaine lors du départ en retraite du dirigeant – une mise à jour des compétences et la validation d’une certification peuvent être nécessaires pour se repositionner sur le marché du travail.

C’est pourquoi la consolidation et la reconnaissance de la formation informelle dans le cadre des dispositifs de formation en situation de travail (Afest), au sein de la loi du 5 septembre 2018, est potentiellement une véritable avancée pour permettre aux salariés des TPME de faire valoir l’expérience et la formation qu’ils ont acquises en travaillant.

o La formation en situation de travail reconnue par la loi, une perspective de

qualité pédagogique et de traçabilité des compétences des salariés des TPME

La loi du 5 septembre 2018, clairement positionnée au service de la société de compétences, pose un cadre favorable au développement de formations et de certifications de qualité. Elle renforce aussi les moyens d’accompagnement des salariés.

La nouvelle définition de l’action de formation, beaucoup plus ouverte, est une des principales avancées de la réforme en cours. Désormais, l’action de formation est « un parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel ».

En particulier, la formation en situation de travail y est encouragée dans le cadre des différents dispositifs de financement existants (contrats en alternance, POEI, POEC, CDDI, emplois tremplin etc.), mais aussi pour accéder à la certification (certificats de qualification professionnelle notamment).

Le rapport Beauvois rappelle et explicite le nouveau cadre légal de l’action de formation (voir encadré ci-après).

Rapport Beauvois (extrait)

a. Une nouvelle définition de l’action de formation qui contribue à placer l’accompagnement au cœur de la démarche du développement des compétences.

Ainsi, l’article L. 6313-2 CT issu de la loi du 5 septembre 2018 pose une nouvelle définition des objectifs et de l’action de formation, désormais définie comme « un parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel ». Une action de formation doit donc faire l’objet de modalités d’apprentissage identifiées :

- Pouvant comprendre des séquences de positionnement pédagogique, de formation et d’accompagnement de la personne qui suit l’action et dont les acquis sont évalués,

- Réalisée en tout ou partie à distance et/ou en situation de travail.

Cette définition est une invitation faite aux acteurs de revenir aux fondamentaux d’une approche de la compétence conçue comme « une combinatoire de ressources finalisées, contextualisées, construites et reconnues » (ANI de février 2018).

106 Il est impératif de renforcer les dimensions « contextualisées, construites et reconnues » de la formation professionnelle quelle que soit la modalité de formation/développement des compétences choisie :

- Développer les formations en entreprise au poste de travail (contrats en alternance, POEI, POEC, CDDI, emplois tremplin etc.) avec la mobilisation active des entreprises.

- Développer les pédagogies mobilisant des contextes réalistes de travail (qualité des plateaux techniques, serious game, réalités augmentées ...), et accompagnant la sélection de stages en entreprises associés à une vraie démarche pédagogique partagée entre l’organisme de formation, le stagiaire et l’entreprise.

Il importe que l’ensemble des professionnels concernés, et particulièrement les opérateurs du CEP, prennent la mesure des évolutions de pratiques que cela va induire, par exemple dans la façon de parler de l’opportunité́ de suivre une formation à un adulte peu enclin à̀ « retourner sur les bancs de l’école ».

Dans l’esprit de la loi du 5 septembre 2018, la mise en œuvre concrète de l’Afest est laissée à la main des acteurs, avec une approche de la compétence conçue comme « une combinatoire de ressources finalisées, contextualisées, construites et reconnues » (ANI de février 2018). Très opérationnelle, l’Afest repose sur la formalisation des activités et des savoir- faire à transmettre, une prestation qui sera désormais proposée aux petites entreprises par les Opco.

o Les prémisses de la loi et les expérimentations Afest de 2015-2018

Des approches similaires ont déjà été pratiquées antérieurement à la réforme au sein de plusieurs branches, notamment dans le cadre des expérimentations lancées par la DGEFP en 2015 et qui ont permis pendant plus de trois ans, de répertorier des pratiques diversifiées, adaptées aux contextes professionnels concernés. En particulier, deux secteurs de notre terrain d’enquête ont été impliqués dans ces expérimentations, la Construction (Capeb et Constructys) et la Culture (Afdas).

La Capeb et Constructys ont expérimenté l’Afest dans le cadre de la mise en œuvre d’un nouveau CQP Métallier serrurier8 – Fabricant installateur d’ouvrages métalliques du bâtiment, pour lequel les CPNEFP conjointes du BTP avaient décidé de privilégier la formation chez l’artisan dès sa création en 2015. Mis en œuvre dans un premier temps à titre expérimental, ce CQP visait à renforcer l’autonomie des salariés, tout en mobilisant un financement qui permette aux artisans de prendre le temps de transmettre dans le cadre des travaux à réaliser. Les artisans ayant participé à l’expérimentation Afest estiment que l’objectif a été atteint, avec des salariés qui ne sont plus seulement des exécutants, mais sont capables de s’organiser et de dialoguer avec le client. La formation en situation de travail les a entraînés à travailler sur l’organisation de leur travail et sur leurs méthodes, à chercher eux-mêmes les solutions. Elle a également modifié leurs habitudes en multipliant leurs échanges avec les autres corps de métier, avec les interlocuteurs extérieurs et avec leurs propres collègues. Enfin elle leur a permis d’accéder à de nouvelles activités. Du point de vue des conditions d’organisation de l’Afest, l’expérimentation a permis de mettre en évidence le besoin incontournable d’accompagnement des petites entreprises par un cabinet ou un organisme de formation qui joue en quelque sorte le rôle d’un service formation externalisé. Cette recommandation a été intégrée par l’Opco Constructys, en mobilisant des financements pour cet accompagnement à deux étapes : celle de l’ingénierie de formation en amont de l’Afest et celle de l’accompagnement des salariés formés dans une démarches de réflexivité sur leur travail et leurs apprentissages.

De son côté, l’Afdas a expérimenté l’Afest dans neuf entreprises, dont trois comptent moins de 50 salariés : une entreprise de publicité, une d’audiovisuel/production cinéma et une

107 d’exploitation cinéma.9 Une enquête réalisée auprès des apprenants et de leurs managers à l’issue de l’expérimentation a confirmé l’efficacité de l’Afest à différents niveaux. Tout d’abord elle a relevé un bénéfice important pour l’apprenant. Les managers pointent principalement le développement de compétences directement utiles dans l’activité du salarié, la qualité des productions et la consolidation de la confiance en soi des apprenants en tant que professionnels. Les apprenants eux-mêmes estiment avoir amélioré la compréhension de leur rôle dans l’entreprise, avoir pris du recul sur leur activité, mais aussi avoir développé de nouvelles relations au sein de l’entreprise. Selon les managers et dirigeants des entreprises, l’Afest a également eu des retombées positives plus larges sur l’ensemble de l’entreprise, en matière de relations de travail et de qualité du management (managers ayant renforcé leur expertise et leur démarche pédagogique), d’organisation de l’activité (structuration des process de travail) et de gestion des ressources humaines (la démarche Afest a été l’occasion d’outiller la fonction RH).

Dans un autre secteur concerné par ces expérimentations, Nathalie Lucas, coordinatrice du dispositif Afest d’Opcalim en Bretagne, nous a rappelé l’existence de pratiques similaires antérieures, à travers l’Opération Transfert de Savoir-faire qui fonctionne avec succès depuis une dizaine d’années dans l’Alimentaire à destination des PME : destinée aux formateurs internes, cette action leur permet d’acquérir les basiques de la posture de formateur, avec l’appui solide d’un consultant à la formalisation des compétences attendues et des activités : deux jours sont consacrés à la formalisation et deux jours à la création d’outillage pédagogiques et à l’animation-délivrance du message.

Aujourd’hui, analyse Nathalie Lucas, l’Afest va un peu plus loin dans la description des prérequis en amont de la formation. Cela amène à s’interroger sur les compétences de base des salariés pour partir d’où ils sont, pour adapter la pédagogie en fonction, voire pour envisager une formation aux savoirs fondamentaux en amont de la formation. Toutefois, l’Afest semble répondre à un réel besoin des entreprises et présenter des opportunités en termes d’accès à la certification des salariés de l’Alimentaire : « L’Afest est souple, on la met en place quand on veut et on revient autant de fois qu’il faut sur un geste pour l’assimiler. Pour des gens concrets, c’est tout à fait parlant »(voir infra).

Nous examinons plus particulièrement au sein du paragraphe ci-après les suites des expérimentations Afest au sein de deux secteurs : l’alimentaire et l’hôtellerie restauration.