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Ainsi, les évolutions récentes de la formation professionnelle en faveur des apprentissages expérientiels – reconnaissance de la formation en situation de travail, accès à la certification mixant formation et VAE, débats sur les compétences transversales… – dans un contexte de très forte transformation du travail – révolution numérique, transition énergétique…–, remet au goût du jour des réflexions anciennes sur les fondements même de la formation professionnelle, nécessaires dans un contexte de forts changements. Paul Santelmann, Directeur de la Veille "emploi & qualifications" à l'AFPA, est revenu avec nous sur les grandes périodes de la formation professionnelle depuis l’après-guerre de 1939-1945, autour de la formation intégrée au travail et de la formation en situation de travail.

Paul Santelmann rappelle en effet que la Formation intégrée au travail est un système initié par l’Afpa dans les années 1980 afin de réformer le système d’externalisation des fonctions formatives de l’entreprise, qui avait fondé l’Afpa dans l’après-guerre. La reproduction dans les centres Afpa des conditions de travail s’était en effet avérée trop coûteuse à l’usage, en particulier le renouvellement d’équipements techniques à jour de modernisations de plus en plus rapides. Ainsi, « l’anti-modèle d’alternance » à l’origine du développement des centres Afpa est remis en cause par l’introduction de la Formation intégrée au travail, qui sera pratiquée en partenariat avec les entreprises dans les années 1980-1990, permettant en particulier une meilleure articulation avec leur GPEC. Au début des années 2000, l’Afpa devra interrompre ces démarches de FIT à la demande du Ministère du travail. Notons aussi qu’à la même époque, les démarches hybrides de formation et de validation de l’expérience de l’Afpa en vue de l’accès à un titre professionnels prennent fin, en application de la loi de 2002 sur la VAE, qui rattache ceux-ci au directement ministère.

La récente reconnaissance de la formation en situation de travail par la loi de 2018 a d’ailleurs conduit l’Afpa Transition à s’inspirer des anciens dossiers de formation intégrée au travail pour définir une ingénierie pédagogique dédiée au CPF de transition professionnelle : celle-ci est fondée sur des démarches d’analyse du travail dans une optique de transferts de compétences d’un emploi à un autre…

Dans le secteur du Bâtiment, le dispositif de formation intégrée au travail que nous avons décrit en partie 1, observé sur le chantier d’Hornaing (Hauts-de-France) doit s’enrichir d’un module réalisé dans le cadre de la Formation en situation de travail. On l’a vu en première partie, la FIT2.0, réalisée dans des containers d’expérimentation pédagogique sur les sites des chantiers, permet de commenter au fur et à mesure les techniques d’isolation thermique mises en œuvre et de débattre entre professionnels des différents métiers impliqués sur le chantier en cours. Cette démarche pédagogique de terrain est animée par des formateurs externes pointus en matière de rénovation énergétique et de connaissance des chantiers. Dès 2020, le parcours de formation sera complété par un module réalisé en situation de travail réelle dans les logements à rénover. Constructys se mobilise avec les deux organismes de formation impliqués dans la FIT pour définir le nouveau programme de formation consacré aux techniques d’intervention sur la ventilation, qui sera réalisé dans le cadre de l’Afest. Ils travaillent aussi sur un référentiel de compétences relatif à la coopération entre les différents corps d’état sur le chantier. La dimension de réflexivité de l’Afest renforcera la démarche pédagogique existante dans le cadre de la FIT, explique Ronan Segalen.

L’intervention des formateurs de l’organisme à côté du chantier est un atout incontournable du dispositif qui sera maintenu. Elle répond bien au cadre réglementaire de la Construction, qui prévoit une délimitation stricte des responsabilités. De plus, le container pédagogique permet de tester à loisir les différentes techniques avant leur mise en œuvre réelle. En revanche, la nouvelle législation sur la Afest permettra de compléter le parcours FIT 2.0 par un retour d’expérience effectué avec les compagnons à la fin du chantier : l’explicitation sera réalisée lors de la visite de plusieurs logements rénovés ayant soulevé des problématiques spécifiques

111 au cours du chantier. Ce débriefing permettra de consolider les acquis, dans la philosophie de la formation en situation de travail.

L’assouplissement de la notion d’action de formation par la loi du 5 septembre 2018 (cf. paragraphe 3.1) et l’opportunité qu’elle ouvre de combiner au sein d’un parcours plusieurs modalités pédagogiques, présente ainsi des perspectives intéressantes pour les entreprises et les acteurs de la formation. En effet, notre enquête a permis de relater deux projets d’Afest, répondant respectivement à des enjeux d’intégration de nouveaux salariés ou de montée en compétences de salariés au sein de petites entreprises. Dans les deux contextes, l’Afest est combinée avec un programme de formation assuré par des formateurs externes : formation aux normes de sécurité et aux savoir-être professionnels dans la restauration à Arras, formation aux techniques de rénovation énergétique des bâtiments sur le chantier-école d’Hornaing.

La possibilité de combiner formation réalisée en situation de travail, formation externe en présentiel, e-learning et évaluation à distance dans un même parcours apporte à la fois les avantages de l’individualisation, de l’opérationnalité et de l’économie de moyens. La loi de 2018 permet d’encourager des initiatives pédagogiques de qualité non seulement en mixant ces moyens mais aussi en leur apportant un soutien financier, l’accompagnement d’experts, etc. Des atouts pour les dirigeants comme pour les salariés, mais aussi pour l’amélioration qualitative des pratiques pédagogiques et de leurs résultats en termes de développement des compétences dans les petites entreprises.

Mais la nouvelle définition légale de l’action de formation ouvre aussi une perspective plus large à la formation tout au long de la vie, qui pourrait investir davantage un rôle de capacitation des collectifs de travail et de consolidation des identités professionnelles au sein même des entreprises. Dans un contexte de fort changement des univers professionnels, elle contribuerait ainsi à répondre davantage aux besoins de salariés désormais concernés par des changements réguliers de poste, d’entreprise, voire de métier au cours de leur vie professionnelle, qui s’interrogent sur le sens de leur engagement au travail. En retour, des salariés remobilisés répondraient mieux aux attentes exprimées par les employeurs en termes de savoir-être et d’engagement de leurs équipes.

On peut ainsi faire l’hypothèse que le rétablissement du lien formation-emploi – au-delà des efforts pour adapter l’offre de formation et de certification aux besoins de l’activité des entreprises - passe par l’exigence d’une véritable évolution en profondeur de la pédagogie des adultes. La démarche de réflexivité sur le travail, officialisée par la loi de 2018 dans le cadre de l’Afest, est en l’occurrence un axe de développement pédagogique intéressant à plusieurs titres. En effet cette démarche, prônée par L. Vygostski dès le début du XXème siècle, a fait ses preuves en matière de développement de l’individu et de ses apprentissages. Elle a été notamment utilisée pour consolider les acquis de l’expérience dans le cadre de la VAE (Clot Y., Prot B., 2013 ; Prot, 2015). Pratiquée en groupe, elle peut favoriser un développement de l’autonomie et du sens des responsabilités, en contribuant à consolider les identités professionnelles au sein du collectif de travail. Pour Yves Clot et Sandrine Caroly, c’est en effet la discussion entre deux ou plusieurs professionnels sur la manière de bien pratiquer leur métier qui permet de « capaciter » les collectifs de travail pour qu’ils deviennent une ressource pour chacun, notamment en termes de compétences et de développement de l’autonomie professionnelle : « La capacitation des collectifs de travail constitue une dynamique permettant au collectif de devenir une ressource pour faire face aux multiples tensions qui le traversent. En permettant l’acquisition de capacités individuelles et collectives d’exercice du métier, de délibération et d’imputation, un collectif de travail « capacité » peut devenir une ressource pour ses membres en permettant le partage des connaissances, les régulations de l’activité, la construction d’un sens du travail, la protection de l’autonomie professionnelle, la prise de risque face à l’aléa et l’incertitude. Un tel collectif, et dans ces conditions, permet aux individus de ne pas être isolés, de pouvoir créer des zones d’action dans et en dehors des marges de manœuvre disponibles, d’apporter des références et des moyens de réélaborer les règles en fonction des conflits de but rencontrés » (Caroly, Clot, 2004).

112 Au-delà de sa dimension pédagogique, la formation en situation de travail pourrait donc contribuer à résoudre les contradictions actuelles d’un univers de travail de plus en plus changeant et individualisé. Elle pourrait réduire le mal-être observé dans de nombreuses entreprises, qui conduit à une perte d’efficacité des collectifs de travail lorsque chacun « surveille ses arrières » ou se protège en rejetant les responsabilités. Les sociologues Christine Audoux, Anne Gillet (2019) et Florent Champy (2012) insistent sur la dimension de prévention des risques professionnels des méthodes d’analyse du travail : « En effet, l’exercice du jugement conforté par une interprétation collective de la situation (de travail) offre une résolution à la tension individuelle vécue par les acteurs et conforte leurs identités individuelles, en préservant leur autonomie professionnelle. (…) Elle préserve des risques provoqués par l’individualisation de la responsabilité » (Audoux, Gillet, 2019), (Champy, 2012).

Ainsi, la capacitation des collectifs de travail à travers une formation « sur le tas » revisitée dans le cadre de l’Afest, pourrait être une solution favorable aux petites entreprises. Adaptée à leurs pratiques, économe en temps et en moyens financiers, l’Afest et sa démarche de réflexivité bien comprise pourraient non seulement contribuer au développement des compétences dans les petites entreprises, mais aussi réduire les risques professionnels encourus par leurs salariés dans un contexte de forte instabilité économique.

5 R

ECONNAITRE LES COMPETENCES DES SALARIES POUR ANTICIPER LES

PARCOURS

:

LES MOYENS RENFORCES DES BRANCHES SUR LA

GPEC

ET

L

INGENIERIE DE CERTIFICATION

En 2019 comme de tout temps, les branches ont un rôle de veille prospective, de négociation collective, de structuration et de mutualisation des efforts de formation (au niveau financier mais aussi en matière d’organisation, d’information, d’ingénierie, etc.). Ces services de la branche sont particulièrement utiles aux petites entreprises, qui en sont devenues les principales bénéficiaires.