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De manière générale, tout événement est confronté d’une façon ou d’une autre à des informations temporelles et peut être caractérisé en fonction d’un calendrier ou d’un horaire. Les concepts tem- porels que nous manipulons, sans même plus y penser, et avec tant de facilité, représentent pourtant, à divers points de vue, une notion fondamentale. Ces concepts sont tellement intégrés dans notre perception du monde qu’il est parfois difficile de se rappeler qu’ils constituent un système de repré- sentation et non une réalité en tant que telle. Il existe par contre, bien évidemment, un lien entre les concepts temporels et le monde réel.

Les notions de temps que nous utilisons proviennent principalement de divers phénomènes naturels cycliques. Ce type de phénomène possède une caractéristique intéressante qui consiste à retrouver son état initial après le passage successif dans divers états intermédiaires. Lorsque le cycle est assez régulier, il possède une propriété remarquable : à partir d’un événement quelconque, il est possible de compter le nombre de fois que le cycle s’opère jusqu’à un autre événement2. Il s’agit donc d’un moyen de matérialiser et de mesurer le temps qui passe, en termes de nombre de cycles.

Concrètement, un certain nombre de ces phénomènes ont effectivement servi de base à l’élaboration de concepts temporels. La rotation de la Terre autour de son axe implique une alternance de périodes d’obscurité et de clarté. Ce phénomène a donné naissance au concept de jour. Il s’agit du temps nécessaire à une rotation complète de la Terre sur son axe. La succession des saisons provoquées par les révolutions de la Terre autour du Soleil a donné naissance à la notion d’année. Enfin, la révolution de la Lune autour de la Terre, et l’alignement Lune-Terre-Soleil, a lui donné lieu à l’observation des différents quartiers de lune dont découle le concept de mois. Notons que si ces phénomènes sont effectivement cycliques, leur réalisation n’est pas toujours tout à fait constante en raison de l’interaction avec divers autres phénomènes astronomiques.

Au cours de l’histoire de nombreux systèmes de calendriers ont été utilisés. Ceux-ci sont en rapport avec les phénomènes astronomiques que nous venons de citer. Pour les calendriers lunaires, le mois se calque sur la période d’une lunaison alors que pour les calendriers solaires une année doit corres- pondre à une révolution complète de la Terre autour du Soleil. Le calendrier communément utilisé dans une grande partie du monde est le calendrier grégorien, qui est solaire.

2« [...] Galilée a découvert que le pendule était une bonne horloge. La légende dit que, dans l’église de Pise, observant

un grand chandelier suspendu osciller lentement, il a compté le nombre de ses battements cardiaques entre chaque oscilla- tion. Comme c’était toujours la même, il en a conclu que le pendule est une bonne façon de mesurer le temps. Depuis, la plupart des horloges utilisent un pendule. » (Le Meur [2010])

3.2 La notion de temps 101

De ces concepts de base découlent toute une série d’autres notions, telles que celles de passé, présent et futur. Il faut cependant remarquer que la conceptualisation du temps est culturellement variable. Núnez et Sweetser [2006], cité par Girault [2007], exposent le cas du peuple Aymaras pour qui le temps est inversé. Ils considèrent en effet que le passé est devant, et le futur derrière, ce qui a des répercussions au niveau de leur langue. Une expression telle que « nayra mara », qui signifie « l’année dernière », est traduite littéralement par « l’année devant ».

Un autre exemple peut être trouvé dans l’interprétation de la mort qu’ont les différentes religions. Alors que certains considèrent le décès comme la fin de la période de vie, qui court donc sur un intervalle de temps fini, cet événement est très souvent perçu d’une autre façon. De nombreuses religions ou cultures considèrent, d’une manière ou d’une autre, une certaine continuité de l’être. C’est entre autres le cas de la croyance en la réincarnation, très répandue dans les religions orientales et asiatiques. Cette manière d’envisager la mort amène une vision moins finie du temps.

De même, l’expression des notions de temps dans les différentes langues ne passe pas par les mêmes mécanismes linguistiques, comme cela a été montré par divers travaux en apprentissage des langues, par exemple par Paprocka-Piotrowska et Demagny [2004]. Ceux-ci ont observé que l’acquisition de la maîtrise des aspects temporels d’une langue est très différente selon qu’il s’agit d’un apprenant natif (enfant) ou d’un apprenant d’une langue seconde :

« l’apprenant d’une langue seconde, qui a acquis les concepts fondamentaux dans l’en- fance, n’a pas à effectuer ce travail cognitif important mais doit aussi en quelque sorte déconstruire la grammaire de sa langue maternelle afin d’être au plus proche du discours de la L2 en cours d’acquisition. » (Paprocka-Piotrowska et Demagny [2004], p. 73)

De plus, on peut remarquer que, comparé au français ou à l’anglais qui disposent de nombreux temps verbaux pour véhiculer des informations temporelles et marquer la localisation chronologique, d’autres langues sont moins bien dotées à cet égard. En japonais par exemple, il existe seulement deux temps, le passé et le non-passé (utilisé à la fois pour le présent et le futur). L’expression du temps passe alors par d’autres mécanismes ou registres du langage.

La perception du temps a également évolué au cours des années et des siècles. On peut remarquer qu’il y a un lien fort entre la finesse et la précision des notions de temps utilisées et le niveau de développement technologique. La division du jour en heures a commencé à être utilisée aux environs du moyen-âge car elle a permis d’organiser les activités de prière et de travail au cours de la journée. Dans nos sociétés technologiquement (plus) avancées, nous avons des notions temporelles beaucoup plus fines (Comrie [1985]). Il en découle un impact direct sur le lexique qui va contenir des mots tels que « nanoseconde ». A ce propos, il faut souligner que les unités temporelles modernes, définies par des organismes internationaux (BIPM [2006]) diffèrent quelque peu des unités telles que présentées au début de cette section. En effet, l’horloge astronomique a cédé sa place à l’horloge atomique. L’unité de base actuelle, la seconde, est maintenant définie par rapport à la période d’une certaine radiation, choisie dans le spectre du césium 1333.

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La seconde est la durée de 9.192.631.770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133 (BIPM [2006]).

102 3 La notion de temps

Enfin, notons que le temps a été au centre d’une multitude de recherches et de réflexions. En phy- sique, l’approche classique de Newton, soutient qu’un événement ponctuel est parfaitement déter- miné lorsque sa localisation dans l’espace et le temps est connue. Le temps est vu comme « une grande horloge extérieure à l’Univers dont les aiguilles indiquent un même temps absolu pour tout le monde » (Le Meur [2010]). Cette conception est remise en cause par la théorie de la relativité d’Ein- stein. Celle-ci conteste le statut du temps et de l’espace et conduit à des théories qui les considèrent comme des notions qui ne sont plus indépendantes. En effet, « en relativité générale, l’évolution et la localisation d’un corps ne se repèrent pas par rapport à un espace-temps cadre, mais relativement à l’évolution et à la localisation d’autres corps » (De Saint-Ours [2010]). Les derniers développe- ments de la mécanique quantique tendraient même à éjecter la variable du temps des équations qui la régissent4.

La définition du temps a également beaucoup occupé les philosophes, sans pouvoir cependant déga- ger un avis unanime :

« De fait, au cours... du temps, les philosophes ont convoqué à peu près autant d’argu- ments pour prétendre que le temps existe que pour prétendre qu’il n’existe pas. » (Klein [2010])

Ce constat poussa Pascal à déclarer que le temps est de ces notions qu’il est impossible et même inutile de définir :

« Qui pourra le définir ? Et pourquoi l’entreprendre, puisque tous les hommes conçoivent ce qu’on veut dire en parlant du temps, sans qu’on le désigne davantage ? » (Pascal [1838], p. 27).

Dans notre société, il existe de nombreux domaines dans lesquels le temps a pris une importance particulière. Dans le contexte professionnel, de nombreuses personnes sont payées « à l’heure » ou engagées pour prester un certain nombre d’heures par semaines. Un grand nombre d’entreprises importantes ou d’administrations ont instauré une procédure de « pointage » permettant de mesurer le temps de travail de chacun. Toujours dans le monde du travail, on a vu apparaître des expressions telles que « les 35 heures » ou « travail à temps partiel », soulignant bien l’importance de la dimension temporelle dans cet univers.

D’un point de vue juridique, on note également le caractère fondamental du temps, que ce soit pour dater les lois, prononcer des peines (« cinq ans de prison »), établir l’antériorité de tel élément sur un autre (par exemple en propriété intellectuelle). Dans le cadre des archives d’entreprises et de la

gestion de la preuve, le temps joue également un rôle fondamental (temps de conservation légal des

documents, preuve en matière de délit d’inité, etc.). De même, de nombreux documents officiels nécessitent la présence d’une date afin d’être valides et certaines procédures qui exigent l’envoi de courrier font appel au cachet ou à la date de la poste (« la date de la poste faisant foi »).

On remarque aussi la présence du temps pour l’organisation de nombreux aspects de la vie quoti-

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